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L’histoire de Khadija, ou la naissance d’un combat contre l’excision

Khadija a été excisée lorsqu’elle était enfant. Du haut de ses 21 ans, elle écrit une pièce pour dénoncer les mutilations génitales féminines – en attendant d’avoir réuni assez de courage pour la jouer.

Publié le 3 mai 2018.

Esther est partie à la rencontre des Sénégalaises durant trois semaines. Elle a réalisé interviews, portraits, reportages, qui s’égrainent au fil des jours sur madmoiZelle.

Pour retrouver le sommaire de tous les articles publiés et la genèse du projet, n’hésite pas à jeter un œil à l’article de présentation : madmoiZelle en reportage au Sénégal !

Khadija* arrive à la répétition de sa troupe de théâtre un peu en retard. Elle vient très régulièrement dans ce centre culturel rural, à défaut d’aller à l’école.

À 19 ans, elle est tombée malade et a dû arrêter les cours. Elle me confie ça en regardant ses pieds. Deux ans plus tard, ses parents n’ont pas les moyens pour qu’elle reprenne une formation.

Le théâtre, pour « réveiller les gens »

Elle a commencé le théâtre à 12 ans, mais pas n’importe quelle forme de théâtre : le sien est engagé, militant.

« Avant je faisais de la danse. Puis j’ai déménagé, je suis arrivée ici… Ma tante m’a conseillé d’aller voir ce que faisait cette troupe, que ça pourrait me plaire.

En voyant que les membres s’engageaient comme ça, essayaient de réveiller les habitants du village, je me suis dit que je voulais faire pareil.

Alors j’ai tenté ma chance, pour défendre les femmes et les enfants. »

L’engagement fait partie d’elle. Le sujet a débarqué dans la conversation bien avant ce à quoi je m’attendais.

En fait, elle se sent révoltée depuis qu’elle est enfant.

« J’ai toujours détesté qu’on me dise ce que je dois faire. Déjà, dans la cour de récréation, je me bagarrais avec les garçons quand ils me donnaient des ordres. »

Conquérir et préserver son libre arbitre

Khadija relève la tête et ne la baissera plus : elle est libre.

« La vie, ça n’a pas de sens si tu la vis en faisant ce que les autres te disent de faire. Il faut la vivre pour toi.

Même ma mère, aujourd’hui, si elle me dit de faire quelque chose qui ne me plaît pas je ne le ferai pas. »

Voir des femmes subir toute leur vie les mauvais traitements de maris odieux, « alors qu’elles leur ont consacré leur existence », ça la révolte.

« Il y en a qui ne peuvent pas ouvrir la bouche, elles ne peuvent pas donner leur avis sans que leur mari les frappe. Alors elles se taisent. »

Qu’est-ce qui lui donne la force, à elle, de prendre la parole ? Il n’y a pas vraiment d’explications selon elle, elle ne peut simplement « pas faire autrement ».

Il y a des femmes qui l’inspirent, de la styliste Diouma Dieng Diakhate à la présidente de la radio locale : « elles ne veulent pas d’hommes pour les diriger, elles veulent la même place qu’eux ».

L’excision, premier combat de Khadija

Alors elle aussi, elle souhaite la même place que les hommes et elle a choisi son outil pour la conquérir : le théâtre.

À lire aussi : Utiliser le théâtre comme outil d’éducation populaire, le pari de la troupe du Noumec au Sénégal

En ce moment, elle travaille sur une pièce au sujet de l’excision. Le sujet était pour elle une évidence.

« Parce que je le connais, j’ai été excisée. »

Elle avait 7 ans mais s’en souvient dans les détails. Elle raconte :

« À 6h du matin, on est venu nous chercher, moi et ma petite sœur. C’était ma tante, qui nous a dit qu’elle voulait nous acheter des bonbons. Il y avait ma grand-mère aussi.

Je sentais qu’elle nous mentait, mais je voulais savoir pourquoi et où elle nous emmenait. On est arrivées dans une autre maison. Il y avait des bruits d’enfants qui pleuraient.

J’ai commencé à pleurer aussi, je voulais retourner chez moi, mais elles m’ont maîtrisée, et après je n’ai pas vu car on m’a mis quelque chose sur les yeux. Ils ont fait ce qu’ils devaient faire et m’ont libérée. »

Endormie, elle a compris seulement le lendemain ce qui lui était arrivé, en prenant sa douche et en constatant « [qu’elle n’était] plus pareil ».

Confinées chez sa grand-mère avec sa petite sœur, elles n’avaient pas le droit de sortir avant d’être guéries.

« Il y avait une autre petite fille, mais elle, elle n’a pas survécu » m’explique Khadija.

À lire aussi : « Excision : parlons-en ! » – journée de lutte contre les mutilations sexuelles

S’opposer à l’excision et remporter un premier combat

Plus tard, à 15 ans, elle a fait savoir son opposition à la pratique en évitant à ses autres petites sœurs et cousines d’être excisées à leur tour.

« Ma grand-mère leur avait dit « on ne vous a pas encore excisées c’est pour cela que vous êtes malpolies comme ça. »

Mais ce n’est pas vrai, ce n’est pas lié. Alors je lui ai dit « Non, ça, je ne vais pas l’accepter, leur excision ça ne changera rien à ta vie mais ça détruit celle des filles qui la subissent. […]

Je leur ai dit « n’acceptez jamais qu’on vous excise », et jusqu’à maintenant elles ne sont pas excisées, les plus vieilles ont 14, 15 ans… Leur mère elle-même dit qu’on l’a forcée à faire exciser son aînée mais qu’elle n’acceptera pas les plus jeunes. »

Défier les traditions pour défendre les petites filles contre l’excision

Mais pour en arriver là, il a donc d’abord fallut qu’elle se batte contre sa grand mère, qu’elle impose l’idée que oui, on peut respecter les traditions, mais pas à n’importe quel prix :

« Dieu n’a pas dit [qu’il faut pratiquer l’excision] : il faut voir si nos traditions nous apportent quelque chose, là ça ne nous apporte rien. Au contraire il y a beaucoup d’enfants qui sont mortes à cause de ça ! »

Mais même l’argument de la vie de ces fillettes ne convainc pas tout le monde :

« Les gens estiment que si une personne meurt, c’est Dieu qui le veut. Mais non, on est responsable de ses actes, si une petite fille meurt suite à une excision et qu’une enquête est menée, on envoie les responsables en prison parce que c’est la faute des personnes qui l’ont pratiquée ! »

À lire aussi : Des drapeaux occidentaux mutilés… pour dénoncer l’excision

Lutter contre l’excision a un prix

Khadija construit sa pièce avec l’aide des membres de la troupe. Mais si raconter son histoire devant eux l’a « libérée, soulagée », elle ne se sent pas prête à la dévoiler sur devant un public.

« Même ma grand-mère, elle dit que je vais être menacée. »

Les membres de la troupe de théâtre sont du même avis, faire ce genre de choses, c’est risquer d’être « maraboutée », qu’un marabout ou sorcier attire sur soi le mauvais œil en somme.

« Les gens sont très compliqués, ça peut me causer des problèmes. Dans le village, ils vont faire de moi leur ennemie.

Peut-être que dans quelques années, j’aurais le courage, mais pas pour l’instant. Je me contente de l’écrire. Je suis encore très jeune après tout ! »

Et c’est vrai, qu’elle est jeune et d’autant plus impressionnante du haut de ses 21 ans. Alors pour l’heure Khadija écrit. Et peut-être qu’un jour, elle la jouera, cette pièce.

Elle ne sait pas encore si elle fera le choix de s’engager publiquement, mais quoi qu’il en soi à son échelle, Khadija a déjà fait beaucoup.

*Le prénom a été modifié

À lire aussi : Rencontre avec Jaha Dukureh, nommée au Nobel de la Paix pour son combat contre l’excision


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