La mode et la photographie sont deux arts qui partagent un point commun essentiel : ils reposent sur l’image et le visuel.
Nulle surprise donc qu’ils soient si étroitement liés depuis deux siècles. Pourtant, tout comme sa cousine la peinture, la photographie a d’abord servi à promouvoir des personnes avant de commencer à promouvoir des habits.
À l’instar des portraits sur toile, il fallait avant tout mettre en valeur le protagoniste. La tenue, les accessoires et le décor n’étaient là que pour renforcer son image et véhiculer son pouvoir ou sa richesse quitte à stimuler l’illusion au maximum.
Un peu comme Photoshop veut aujourd’hui nous faire croire que le temps n’a aucune prise sur les stars d’Hollywood.
La photographie de mode a donc connu un long parcours pour présenter un panorama de styles aussi riche qu’aujourd’hui. Jetons un coup d’œil sur ses acteurs clé au fil du temps !
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Les débuts de la photo de mode et les premiers passionnés de style du XIXème siècle
Si la photo de mode n’était pas connue en tant que tel, il y a bien eu des prémisses, et des personnes qui ont cultivé un sens de l’esthétique indéniable.
Virginia de Castiglione
Une des premières à marquer son intérêt pour la mode dans la photographie est Virginia de Castiglione, alias la Comtesse de Castiglione et accessoirement la maîtresse de Napoléon III.
Cette noble piémontaise est prisée pour sa grande beauté dès l’adolescence, et surnommée « La Perla d’Italia ». C’est suite à son arrivée à la Cour de France à ses 18 ans et à sa scandaleuse relation avec Napoléon que les portes des salons privés d’Europe s’ouvrent à elle.
C’est une occasion fabuleuse de rencontrer tous les grands de l’époque, malgré une réputation controversée, la rumeur lui prêtant un caractère capricieux et assez snob. C’est une diva des temps anciens en somme !
Passionnée de mode et d’accessoires, elle aime jouer de ses parures et se réinventer continuellement. C’est donc tout naturellement qu’en 1856 elle commence à collaborer avec Pierre-Louis Pierson, photographe de l’Empereur qui tient un atelier avec les frères Mayer.
Elle restera son modèle et sa muse quarante ans, si bien qu’il présentera son portrait en « Dame de Cœur » à l’Exposition Universelle de 1867 à Paris.
Virginia aime mettre en scène, jouer avec la lumière et les illusions, créer un contexte dramatique, se déguiser et arborer des tenues incroyables pour les photos.
Sa somptueuse robe « Dame de Cœur », portée lors d’un bal masqué et jugée indécente avec son absence de corset et son cœur cousu à hauteur du vagin, est un parfait exemple de son audace et son amour du style.
Il n’y a pas de styliste pour ces photos, ni de concept de marque ou de « produit ». Ce n’est donc pas encore à proprement parler de la « photographie de mode » mais c’est le début d’une mise en avant des vêtements et de la recherche de style sur papier glacé.
La fameuse robe Dame de Cœur (source : le catalogue Drouot).
Charles Reutlinger, les tendances avant l’heure dans la photo de mode
À la même époque, le photographe germano-français Charles Reutlinger ouvre à Paris le premier studio photo spécialisé en portrait des personnalités, en particulier celles du monde du spectacle.
Inspiré par les tendances pictorialistes de la peinture, il crée des mises en scène variées et recherchées, entre exotisme et traditionnel dans un univers plein de rêverie.
Il retravaille ensuite ses photos avec de multiples effets. Les modèles deviennent une forme d’art et le look est minutieusement étudié.
Dans le travail de Reutlinger, il y a une volonté de toucher l’imaginaire collectif, d’amener le public à adopter un style et donc de créer une certaine massification du goût et du sens de l’esthétisme.
On retrouve ici le concept de tendances, et bien ficelé puisque les mannequins sont des célébrités aptes à diffuser celles-ci et à influencer le public.
Le début du vingtième siècle : l’expérimentation de la photo de mode
Après ces débuts hésitants mais prometteurs au siècle précédent, la photographie continue de se développer en matière de mode et de style.
Les photographes se lâchent, testent, proposent, innovent et la mode prend un tournant majeur dans leur objectif. Les trois frères Seeberger notamment fondent un atelier en 1905 et se concentrent tout d’abord sur les paysages urbains et les quartiers de Paris.
C’est en 1909 qu’ils se lancent dans la mode et immortalisent par la suite les plus belles créations françaises de l’entre-deux guerre. Nombre de leurs photos paraîtront dans la revue La Mode Pratique et dans la presse mondaine.
Avec ce trio, la mode sort des studios et s’immortalise enfin à l’extérieur.
Tels des « cool hunters » à l’œil avisé, ils ciblent les tendances de la rue pour illustrer un cadre de vie et un environnement en temps réel. S’ils étaient nés à notre époque, ils auraient sans doute formé une équipe de bloggers street-style hors pair.
Sur Vogue.
En parallèle, le photographe franco-allemand Adolf De Meyer suit les traces de Reutlinger et de sa photographie poétique aux mises en scène bien calculées.
Son travail est constitué de jeux de lumières et de contrastes, de flous délicats, d’ambiances fumées et de poses étudiées, toujours avec un accent prononcé sur la tenue vestimentaire et le rendu des tissus.
Ses mannequins apparaissent ainsi fantomatiques et aériennes dans une grâce absolue.
Man Ray et la photo de mode
Enfin, nous l’attendions toutes, il y a eu Man Ray.
Photographe mais aussi peintre et réalisateur, c’est un artiste complet et polyvalent.
Littéralement « homme du rayon de lumière », il a intégré les idées du pictorialisme avec des mises en scène élaborées dans ses photos et a détourné les protagonistes de manière parfois – souvent — farfelue.
L’exemple le plus frappant et célèbre reste sa photo de Kiki de Montparnasse, sa muse éternelle, enrubannée dans un turban et transformée en violon.
Le Violon d’Ingres de Man Ray (pris sur l’Internaute).
Au-delà de l’objectification de ses modèles, Man Ray aimait expérimenter à travers la technique avec une double exposition, des impressions en négatif, la solarisation…
On le fait nous aussi à chaque selfie sur Instagram, sauf que lui n’avait ni logiciel ni téléphone et ne pouvait pas compter sur un simple clic pour se la jouer arty avec ses photos. Il a ainsi amorcé de nombreuses innovations dans le traitement d’image.
De rocaille.it.
La photo de mode dans les années 20 et l’avènement du modernisme
Après l’ambiance feutrée et exagérément poétique du pictorialisme pendant des décennies, de nombreux photographes souhaitent retourner à un style plus simple, à la recherche de l’objectivité.
On passe donc d’une photographie basée sur l’imaginaire à une photographie centrée sur l’image tout court. Celle de la mode n’y échappe pas et retourne à une approche plus épurée.
Avec Edward J. Steichen, les protagonistes connaissent également une autre évolution, de mannequin à top model. Elles ne sont plus statiques mais représentent un corps vivant et dynamique, une personnalité et un style de vie.
De dantebea.com.
Entre les deux guerres mondiales se développent également d’autres concepts dans la photographie en général, dont le photojournalisme, soit les reportages.
Le milieu de siècle : la mode dynamique
Avec Munkacsi et Richard Avedon, les top models autrefois si concentrés et figés peuvent enfin se mouvoir et gambader la truffe au vent tel Snoopy.
Aussi bien en studio qu’à l’extérieur, les photographes veulent apporter plus de souplesse et de dynamisme à leur travail tout en prenant des risques. Parce que le mouvement est flatteur pour les modèles, mais également pour les vêtements qui semblent alors prendre vie.
Sans surprise, un climat sportif se développe en même temps dans la photographie de mode au milieu de cette effervescence. Les modèles gagnent en autonomie et pouvoir, et leur rôle devient bien plus central et intéressant car elles doivent communiquer le décor et le mouvement telles des actrices.
On se détache un temps de la pop-culture mais on y retourne assez rapidement dans les années 60 avec le mouvement « Swinging London » et un esprit ultra pop bardé de néons et de lumières.
Photo de Veruschka par Richard Avedon en 1967 (trouvée sur 8x10p).
La photo de mode, témoin de la révolution sexuelle des années 70
C’est un tournant majeur pour le rôle de l’habit dans la photographie de mode : on ne cherche plus à couvrir le corps mais à le révéler, le sublimer et l’exalter sans retenue.
Si bien que la nudité – partielle ou totale — devient quasi omniprésente. Si c’est un paradoxe, ce n’est pas le seul : la femme devient une femme objet exposée, à la sensualité exploitée sous tous les prétextes, et en même temps elle gagne en pouvoir.
De passive et délicate, elle devient dominatrice, puissante et manipule les hommes. Elle endosse même leurs rôles en revêtant des vêtements (smoking, cravate) ou attitudes (cigarette, alcool) autrefois considérés comme masculins.
Maîtres dans le jeu de ces nouveaux codes, Guy Bourdin et Helmut Newton s’en donnent à cœur joie et photographient sans filtre la femme sous toutes ses coutures et toutes ses courbes.
Suite à cette ambiguïté des rôles et la suggestion de séduction entre les femmes et les hommes, ceux-ci finissent par intégrer la photographie de mode.
Ils n’échappent pas non plus à l’hypersexualisation ambiante. Leur nudité est cependant moins flagrante et joue plus sur la sportivité du corps à travers l’exposition des muscles saillants, comme on peut le voir dans le travail de Bruce Weber ou de Herb Ritts.
Les années 90 se font bien plus sobres après toute cette frénésie, et on prêche un retour au minimalisme et au basique avec par exemple Peter Lindbergh. C’est la décennie de l’élégance et de la simplicité.
Photographie d’Helmut Newton (de brandarex.fr)
Le XXIème siècle : la photo de mode immortalise un souffle de liberté
Une seule règle d’or pour ce début de siècle : liberté !
Il n’y a plus de limites, et cet âge d’or de la photographie de mode permet à chacun de développer son propre style. Certains comme David LaChapelle choisissent d’aller à contre-courant du minimalisme des années 90 en recréant des décors complètement excentriques avec des couleurs flashy et acidulées, des paillettes et du clinquant, narration fantastique et culture pop à l’extrême…
On est en plein dans le glamour kitsch, pour mon plus grand bonheur. D’autres visent le réalisme et la provocation, à la limite de la pornographie pour Terry Richardson, le très controversé photographe des stars.
De chicquero.com.
Enfin, on retrouve un mix des deux avec de la photographie suggestive dans un contexte commun, loin des studios monochromes ou des décors sophistiqués.
Pour le photographe Juergen Teller, cela peut être Kate Moss déchirée dans un vieux salon ou Vivienne Westwood nue comme un ver les jambes écartées sur un fauteuil.
Sur artribune.com.
Comme l’ensemble des arts, la photographie de mode innove continuellement tout en puisant régulièrement dans le passé, en remodelant ce qui fut pour créer la tendance de demain.
Sans surprise également, les limites sont constamment repoussées dans la technique comme dans les sujets et la provocation ne passe jamais de mode.
Le corps de la femme est devenu une clé de ce phénomène, on déshabille pour promouvoir les habits, on casse les codes des genres, on censure puis on surexpose.
Quels nouveaux paradoxes nous présentera la photographie de mode dans les décennies à venir ? Suspense… Mais avec cette petite rétrospective, nous sommes parées pour détecter toute inspiration découlant du passé !
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Les Commentaires
il n'y a donc eu aucune femme ayant participé à l'histoire de la photo de mode ( sauf en temps que mannequin) ?