Il n’est pas rare qu’à la rédac de madmoiZelle, les esprits s’échauffent quand il s’agit de défendre nos goûts en matière de séries.
Pourtant, celle qui semblait toutes nous mettre d’accord, c’était la planante Euphoria, qui à l’été 2019 avait ravi nos yeux et nos cœurs adolescents, mélancoliques et désabusés.
Mais la pomme de la discorde fut vite relancée lors de la sortie de l’épisode spécial de la série le 6 décembre 2020.
Écrit et réalisé par Sam Levinson en équipe réduite à cause du Covid, ce nouvel épisode inattendu offre une respiration pour la série en attendant la saison deux, décalée.
Il met en scène la longue et profonde discussion entre Rue Benett (Zendaya) et son sponsor des narcotiques anonymes, Ali (Colman Domingo).
Je lancerai donc les hostilités en témoignant de mon dépit face à l’épisode, puis mes collègues Caroline Arénas et Mélanie Wanga se feront défenseuses du projet.
Et vous, dans quel camp vous rangerez-vous ?
Épisode spécial d’Euphoria : une déception douce-amère
Euphoria m’avait séduite par sa beauté, son spleen, ses histoires adolescentes aussi troublées que poétiques, sa quête de sens et d’identité perpétuelle.
Alors forcément, j’attendais cet épisode au tournant !
Une discussion en trompe-l’œil qui traîne en longueur
Dès la sortie de l’épisode, je me suis jetée sur OCS pour me plonger dans ce que j’attendais un épisode savoureux.
Les premières images m’ont immédiatement convaincue : j’aime les échanges longs, qui vont en profondeur, qui laissent transparaître les couleurs d’une âme.
Pourtant, dès la 13e minute, la discussion s’essouffle. Le début s’annonçait plutôt prometteur : une conversation honnête, à cœur ouvert, sans bullshit aucun sur la drogue, la maladie qu’est l’addiction, ses ravages et ses contradictions.
J’ai cependant un souvenir plus que brumeux des 40 minutes restantes.
La discussion vire rapidement à l’échange de sentences de développement personnel hasardeuses, un véritable festival de phrases toutes faites. L’échange qui semblait aller en profondeur devient allusif et superficiel.
Ali évite adroitement les questions sur ses filles, sa famille, et ces trous narratifs attendent patiemment que son spectateur les remplisse, transformant les personnages en simples projections de nos émotions et nos fragilités en ces temps troublés.
On caresse du bout des doigts la religion, on théorise vaguement ce que devrait être une « vraie révolution », et on nous demande de croire à la poésie.
Comme dirait Ali lui-même :
« That sounds good, but it doesn’t mean anything. »
Un cadre lassant
Euphoria s’illustre comme une série particulièrement esthétique, avec une identité propre.
Ici, alors qu’on s’enferme dans le huis clos du diner, on tente maladroitement de rappeler cette esthétique en installant un bokeh un peu inutile.
Quelques tentatives d’ouverture du champ et de mise en scène restent à souligner, avec la scène du coup de fil d’Ali qui se déroule dehors, et l’inclusion d’une autre actrice dans la conversation, mais elles ne s’avèrent pas suffisantes pour échapper à cet inévitablement rébarbatif champ-contre-champ, qu’on aurait pu abréger en créant un format de 30 minutes.
Cependant, cet épisode spécial d’Euphoria nous laissera un merveilleux souvenir musical, comme la série sait si bien le faire, en nous offrant l’incroyable morceau de Moses Sumney, Me In 20 Years.
https://www.youtube.com/watch?v=fdBf5h7p09Q
Une relation inégale entre les personnages
Au fur et à mesure de la conversation, on s’aperçoit que ce n’est pas une simple discussion, mais une daronnade infantilisante et agaçante orchestrée par Ali.
C’est sûrement ce dont Rue avait besoin en tant qu’addict dans sa relation avec son parrain, mais je me suis personnellement sentie prise en otage dans une leçon de vie, loin de la discussion à double sens qui semblait émerger au début.
Une relation très inégale s’installe entre les personnages : tandis que la jeune femme se prend de méchantes balayettes verbales à base de : « Tu es une merde », Ali aborde le fait qu’il frappait sa femme, choquant à peine Rue qui continue de l’admirer. Mmmmmh.
Il se moque d’elle dans sa façon de gérer sa relation avec Jules, alors que lui n’est pas capable d’en entretenir une avec ses propres filles. Un peu vieux con quand même, non ?
Cependant, impossible de critiquer les impeccables interprétations de Colman Domingo et de Zendaya, qui vient de recevoir avec beaucoup de mérite l’Emmy Award de la meilleure actrice dans une série dramatique, faisant d’elle la plus jeune tenante de ce titre.
Les deux acteurs s’en donnent à cœur joie dans cet échange intergénérationnel. On regrette simplement que la voix de cette jeunesse sans espoir, désabusée et non-croyante soit étouffée, et moins prise au sérieux que dans le reste de la série.
Mais j’attends tout de même avec impatience la réponse de Jules le 24 janvier, dans son épisode spécial dédié.
Bien sûr, comme je vous l’annonçais, mes collègues ne sont pas du tout de mon avis, laissons-leur donc la parole.
Épisode spécial d’Euphoria : la séance de psy dont on avait tous besoin
Mélanie Wanga, directrice des rédactions de madmoiZelle et Rockie, n’était pas aussi enthousiaste que moi sur le reste de la série :
J’ai toujours trouvé que la saison 1 d’Euphoria, malgré ses qualités flagrantes – mise en scène onirique mâtinée du réalisme brutal dont HBO a le secret, acteurs au top -, utilisait le style pour briller parfois un peu trop fort… au détriment de l’écriture.
La continuité des scénarios pouvait souvent s’estomper, cédant la place aux moments chocs, aux relations passionnées ou aux scènes tortueuses. Comme tout le monde, j’aime les paillettes dans les yeux, mais on peut dire que plusieurs épisodes m’avaient laissé sur ma faim.
Du coup, pour Noël, Euphoria nous a offert quelque chose dont on avait tous besoin en 2020 : une séance de psychothérapie de 45 minutes.
Pourtant, cet épisode l’a conquise, elle et Caroline Arénas, rédactrice mode chez madmoiZelle.
Un épisode ancré dans son époque
Au risque de me répéter, nous avons vécu une année difficile. Cet épisode d’Euphoria tombait donc à pic pour Mélanie :
Durant ce long dialogue à huis clos, je peux affirmer que Rue n’était pas la seule personne à avoir besoin d’entendre les mots d’Ali, son sponsor. Quand il parle d’addiction, il ne fait pas référence qu’à l’héroïne : il touche du doigt nos faiblesses, nos envies insidieuses de fuir le monde et ses difficultés insurmontables, en nous réfugiant dans les paradis dont on sait qu’ils finiront par nous abîmer.
Quand Ali parle de révolution, impossible de ne pas y voir un écho de 2020, d’un climat politique chaotique émaillé de morceaux d’Histoire qui nous rattrape dans nos vies jusqu’ici « à peu près normales ». Les violences policières sont récupérées par des entreprises pour nous vendre des chaussures mais la révolution viendra uniquement de nous-mêmes, au cas où vous l’auriez oublié.
Caroline s’est elle aussi enthousiasmée de cet épisode sorti à point nommé :
J’ai trouvé que cet épisode spécial d’Euphoria était génial en tous points. Je savais qu’il avait été tourné en tout petit comité en raison du Covid et je me demandais comment ça allait rendre. Je ne m’étais que très peu renseignée sur le déroulé de l’épisode pour ne pas être spoilée.
C’est avec une certaine surprise que je me suis donc retrouvée à regarder une heure entière de dialogue entre deux personnes seulement, et ce sans m’ennuyer une seule seconde.
J’ai à peine eu le temps de me demander s’il y allait avoir d’autres scènes ou si l’entièreté de l’épisode serait ce fameux dialogue, car le tout est passé comme l’éclair tellement Colman Domingo et Zendaya étaient captivants.
Comme d’habitude avec Euphoria, l’image est évidemment superbe, la façon de filmer est immersive et poétique. L’épisode se déroule la veille de Noël et même s’il n’y a ni décoration ni grande joie, la mise en scène réussit à avoir quelque chose d’aussi réconfortant que tragique, à l’image des propos tenus par les personnages.
Qui d’autre avait besoin d’Euphoria en cette fin d’année ?
Deux personnages percutants et réalistes
Les fêtes de fin d’année ne sont pas toujours synonymes de liesse. Il faut alors reconnaître à Euphoria cette force d’avoir su mettre en scène des personnages qui nous ressemblent plus qu’ils ne nous inspirent, à l’heure où nos parfaites muses s’affichent partout et continuellement sur nos feeds Instagram.
Mélanie a été touchée par Rue et Ali :
Quand Ali appelle, seul sur un parking, ses filles adultes le soir de Noël et qu’elles peinent à lui adresser la parole sans lui cracher leur mépris et leur douleur, la série rappelle à toutes celles et ceux qui n’arrivent pas à pardonner leurs parents ou leurs enfants que là aussi, le changement ne peut venir que de l’intérieur. Le jeu de Colman Domingo, tout en pénitence et en force intérieure arrachée aux griffes de la lutte contre l’addiction, m’a bouleversée.
Pour moi, les dialogues de Sam Levinson apportent enfin ce qui manquait jusqu’ici à la série ; ils explicitent les combats intérieurs de ses personnages, et crucialement, celui de Rue.
Ses problèmes psychologiques et la mort de son père l’ont amenée à se détruire avec la drogue, certes. Mais c’est en retour, qu’elle ne supporte plus la personne qu’elle est devenue : quelqu’un qui retourne la colère contre ceux qu’elle aime.
Quant à Caroline, elle a tant cru à ces personnages qu’elle s’est éprise du réalisme de la série qui lui a fait sortir du sien :
J’ai tout bonnement eu l’impression d’être présente avec Rue et Ali dans ce dinner, et de faire partie de la conversation.
De plus, j’ai trouvé leur échange vraiment intéressant et j’étais complètement investie dans la discussion, exprimant régulièrement mon soutien pour les propos de Rue, totalement obnubilée par leurs débats, oubliant tout le reste.
C’est comme si l’on assistait à une réelle conversation, et on en oublie que ce sont des acteurs en train de livrer une performance. Il n’y a pas beaucoup de films ou de séries qui font cet effet.
C’est quelque chose qui arrive rarement, mais quand je sors d’un film en ayant besoin de prendre quelques secondes pour me rappeler où je suis, c’est qu’il a réussi son coup.
D’habitude, je ne suis pas vraiment attirée par les scénarios trop réalistes, et préfère me laisser emporter par une histoire loin du quotidien. Pourtant, la discussion entre Rue et Ali dans cet épisode était extrêmement réaliste et ancrée dans la réalité, portant un regard sur le monde et la société, les différentes perceptions de la vie par deux personnes de générations différentes mais avec des parcours similaires.
Une leçon d’écriture
Mélanie, très emballée par cette discussion, conclut avec espoir pour la saison 2 d’Euphoria, qui paraîtra en 2021 :
Alors, celles et ceux qui attendaient de ce spécial une soirée costumée entre ados en sont pour leurs frais, mais personnellement, cet épisode est un sommet d’écriture dont j’aimerais qu’Euphoria tire les leçons pour sa saison 2. Le makeup à paillettes et les effets spéciaux hallucinés, c’est cool, les dialogues ciselés qui révèlent les failles intérieures des personnages, c’est encore mieux.
Mais avant cette saison 2, rendez-vous le 24 janvier sur OCS pour un nouvel épisode spécial, cette fois-ci du point de vue de Jules !
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Les Commentaires
Je me suis beaucoup retrouvée dans ce que dit Rue et j’ai envie de la prendre dans mes bras. Moi aussi à 16-17 ans j’étais tellement au fond du trou que je pensais que je n’allais pas rester là très longtemps.
J’ai apprécié le tacle sur Nike qui récupère le mouvement BLM mais qui exploite des Ouïgours à l’autre bout du monde...
Et j’avais aussi beaucoup de peine pour Ali quand il essaie de joindre sa famille au téléphone.
bref hâte de découvrir l’épisode sur Jules!