— Article initialement publié le 17 décembre 2016
Ce 15 décembre, la Région île-de-France et par extension sa Présidente Valérie Pécresse a choisi de retirer son soutien financier aux études de genre. Tollé chez les universitaires, applaudissements du côté de la Manif pour tous… Qu’en est-il vraiment ?
Comment fonctionne le financement de la recherche par la région Île de France ?
En Île de France, depuis 2004, le Conseil Régional et plus spécifiquement son Conseil Scientifique définit les « DIM », c’est à dire les Domaines d’Intérêts Majeurs pour la recherche.
Ce sont des secteurs dont le développement est considéré comme étant prioritaires pour la science d’aujourd’hui et de demain, et autour desquels se sont constitués des réseaux de recherche.
Pour être certaine d’avoir bien compris, j’ai contacté le numéro azur indiqué si l’on veut obtenir davantage de renseignements sur la question. Au bout du fil, on m’a confirmé que seules les recherches entrant dans le cadre des DIM pouvaient être subventionnées par la région.
Les études de genre, exclues des DIM, ne peuvent plus être financées par la région île de France.
Ces DIM sont régulièrement re-définis à l’aide d’appels d’offres auxquels doivent candidater les réseaux de recherche. La dernière fois, c’était en 2012, et celui de 2016 pour les années 2017 à 2020 vient de se conclure : alors que le genre faisait partie des domaines couverts depuis 2006 grâce à l’impulsion du vice-Président Les Verts de la région, Marc Linpiski, la thématique est désormais exclue.
Quel sera l’impact du désengagement de la région pour les études de genre en île de France ?
Geneviève Fraisse, qui fut présidente du Conseil scientifique durant les quatre premières années, de 2006 à 2010 m’explique que la mise en place des DIM à cette époque-là revêtait un « côté pionnier » :
« Ce moment fut l’occasion de soutenir des travaux innovants, et de toutes disciplines. […]
Marc Lipinski, qui a lancé ce programme était à la fois un chercheur et un élu vert ; d’où son ouverture à ces questions là.
Les 4 premières années, il y avait chaque année, un peu plus de 150 candidatures pour une dizaine de bourses (doctorales et post-doctorales). L’enthousiasme était là ; je me souviens d’une soirée à la région, nous étions plutôt « conquérantes ». »
« Ce sont les thèses futures qui vont s’en trouver affectées »
Hélène Périvier, à la direction du Programme de Recherche et d’Enseignement des Savoirs sur le Genre (PRESAGE) mené conjointement par l’OFCE et Sciences Po, regrette le désengagement de la région sur ces sujets :
« Nous ne comptions pas que sur ça pour financer nos recherches, mais de petits financements nous ont permis de lancer certaines études. C’était surtout pour les bourses doctorales, donc ce sont les thèses futures qui vont s’en trouver affectées. »
Un frein mis à l’innovation des jeunes chercheurs et chercheuses donc, qui ne pourront plus bénéficier du soutien de la région. Ce n’est pourtant pas faute d’une certaine motivation selon Hélène Périvier, qui considère que « ce qui est sûr c’est qu’il y a une demande de la part des étudiants. »
Un retrait dû à l’absence de sollicitation des universitaires travaillant sur le genre ?
Cependant, de l’autre côté, on se défend de vouloir stigmatiser les études de genre. Bien qu’ils n’aient pas répondu à mes sollicitations, le service de presse a indiqué à LCI « ne pas avoir retenu la thématique »
au prétexte qu’ils n’aient « reçu aucune demande » concernant la thématique du genre.
Ce dernier était en effet supposé être ouvert à toutes candidatures, mais il faut noter qu’il indique cependant la chose suivante :
« Une attention particulière sera portée aux projets dont les objectifs intègreront un ou plusieurs des grands enjeux identifiés par l’éxécutif régional, à savoir :
- Médecine personnalisée et santé
- Technologies de rupture
- Energie, climat et ressources
- Sécurité et territoires
- Données massives (big data), sciences numériques et calcul haute performance
- Production collaborative (« crowdsourcing ») et sciences citoyennes
- Sciences du texte et connaissances nouvelles. »
L’absence de proposition pourrait donc s’expliquer suite au découragement induit dès le départ. Mais j’ai tout de même tenté de savoir si les 60 propositions reçues par le Conseil Scientifique ne contenaient effectivement aucune suggestion concernant le genre.
Le genre ne faisait pas partie des domaines visés spécifiquement par l’appel d’offre.
Surprise : pour le savoir, il faut joindre la Direction du développement économique et de la recherche du Conseil Régional… Ce qui peut n’être fait que par voie postale ! (Bienvenue au XXème siècle donc.)
Une décision stratégique et politique ?
En réalité, le retrait de la Région concernant ces thématiques a commencé bien en amont. Si en 2006, le genre faisait l’objet d’un DIM à part entière, son importance a par la suite été minorée, comme me l’explique Geneviève Fraisse :
« Le recul a commencé en 2010, ou 11, avec la fusion des programmes anti-discriminations ; le « genre » a perdu en autonomie… et en argent. »
Une décision qui caresse la Manif pour tous dans le sens du poil.
La décision d’aujourd’hui n’est donc que la suite logique d’un retrait progressif, qui culmine avec l’accession de Valérie Pécresse à la présidence de la Région, elle qui avait déclaré pendant la campagne qu’« on ne subventionnera pas la théorie du genre » (qui rappelons-le, pourtant n’existe pas).
La publicisation de cette nouvelle apparaît donc presque davantage comme une opération de communication pour satisfaire l’électorat hostile aux questions de genre en général, dont le vivier est la Manif pour tous. Valérie Pécresse s’était d’ailleurs exprimée devant ses adhérents à l’approche des élections en 2015.
Hélène Périvier, sans trop s’avancer, fait le même constat :
« Il faudrait demander à un politologue, mais oui ça apparaît comme un signe politique, la volonté de se démarquer pour un certain type d’électorat. »
Quoi qu’il en soit, le symbole est fort et négatif pour les études de genre et pour les sciences sociales en général.
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Les Commentaires
On dirait une blague tellement c'est gros.