Cinq ans après, Hawa* n’oublie pas la violence des propos tenus à son égard. « Vous ne devriez pas avoir d’enfant », a déclaré sa gynécologue en 2017. À l’époque, la jeune femme diagnostiquée séropositive depuis ses 15 ans prend rendez-vous chez sa spécialiste pour changer sa contraception. Son implant lui fait mal.
« Je ne lui avais même pas parlé de mes projets d’enfants… Heureusement, j’ai changé de médecin à partir de ce jour », réagit celle qui a donné naissance à deux enfants en bonne santé. Âgée de 28 ans, Hawa se retrouve enceinte pour la troisième fois. Pour cette femme originaire du Mali, sa grossesse se déroule normalement, avec quelques ajustements : elle réalise une prise de sang tous les mois pour vérifier que sa charge virale est indétectable.
La transmission du virus, loin d’être une fatalité
La transmission du virus de la mère à l’enfant peut être prévenue en prescrivant des traitements antirétroviraux qui doivent être pris régulièrement. À noter que beaucoup de trithérapies (une combinaison de trois classes d’antirétroviraux) s’avèrent compatibles avec la grossesse.
Hawa accouchera par voie basse, un choix possible « si la charge virale est inférieure à 50 copies/ml et s’il n’y a pas de contre-indication obstétricale », indique le site de Sida Info Service.
Eida Bui, médecin généraliste avec une compétence « VIH pour Adultes », déclare :
« Depuis une quinzaine d’années, des femmes séropositives suivies de longue date ont le courage d’entamer une grossesse. Certaines avaient entendu des discours moralisateurs, mais elles ont changé leur vision. »
À la suite du transfert de la maternité de Saint-Antoine à l’Hôpital Trousseau, à Paris, la professionnelle s’y déplace un jour par semaine pour assurer le suivi des femmes séropositives enceintes. Afin de faciliter leur parcours, elle forme un binôme avec son collègue obstétricien, le duo voyant un peu moins d’une centaine de mères séropositives par an.
« Il y a encore de fausses croyances sur le VIH »
« Toutes les femmes séropositives contrôlées peuvent mener une grossesse sans risque. » explique Eida Bui :
« Dans le cadre d’une surveillance médicale, le taux de transmission du virus d’une mère à son enfant est à 0,5%. »
En France, on compte environ 1000 grossesses de femmes qui vivent avec le VIH chaque année.
Au quotidien, la médecin essaie de tordre le cou aux idées reçues :
« Une petite partie des patientes ignore qu’on peut être séropositive et mère. Il y a encore de fausses croyances sur le VIH, même en 2022. »
Alors que le test du VIH n’est pas obligatoire, la médecin généraliste incite les patientes enceintes à connaître leur statut sérologique.
« Quand la patiente refuse, on peut arriver à un stade très tardif de prise en charge. Par conséquent, on a trop peu de temps pour agir et le risque de transmission se multiplie par vingt. C’est dommage. »
La crainte d’en parler à son entourage
Parmi les raisons qui peuvent inciter les femmes à refuser le dépistage, on trouve le tabou qui enveloppe la maladie. Dans l’optique de libérer la parole, Andrea Mestre, 29 ans, prend le sujet à bras-le-corps sur les réseaux sociaux. Sur son compte Instagram inondé par des photos de famille, elle raconte son quotidien de mère qui vit avec le VIH afin de « dédiaboliser » la vie avec l’infection. La jeune femme diagnostiquée en 2014 a trois enfants.
« Lors de mes grossesses, ma trithérapie était adaptée », témoigne-t-elle. L’activiste aux 16 000 abonnés répond aux messages de femmes séropositives :
« Souvent, elles ont peur de transmettre le virus à leur enfant. D’autres refusent de prendre leur traitement pendant leur grossesse, pensant protéger leur bébé, à tort. »
À cela s’ajoute la crainte d’en parler à son compagnon. Certaines décident de devenir mamans solo pour mener à bien cette grossesse, laissant leur conjoint dans l’ignorance. Eida Bui le déplore :
« Selon une étude nationale, 46% de conjoints de femmes enceintes séropositives ne connaissent pas le statut sérologique de leur compagne, cela veut dire aussi qu’un père sur deux n’est pas testé, c’est beaucoup trop. »
Au cours des neuf mois, les futures mères se voient proposer un soutien avec un psychologue doublé d’une mise en contact avec un pédiatre. En effet, l’enfant aura besoin d’un traitement les premiers jours de sa vie — sous la forme de sirop — et d’un suivi jusqu’à l’âge de 2 ans. « La patiente pourra les consulter en fonction de ses besoins », poursuit-elle.
Leur prise en charge psychologique s’avère d’autant plus importante qu’elles peuvent être diagnostiquées au moment de leur grossesse.
« Il faut bien comprendre que ces femmes n’ont pas eu le temps de connaître la maladie », complète Florence Buttin, psychologue à l’association Sol en Si qui aide les familles affectées par le VIH/SIDA et les hépatites en Île-de-France et en Provence-Alpes-Côte d’Azur.
La structure prend en charge 180 femmes par an. « Nous proposons des entretiens individuels et des activités collectives », détaille la spécialiste en poste depuis dix ans et responsable de l’axe de périnatalité. La plupart d’entre elles sont orientées vers Sol en Si par des assistantes sociales. Dans la quasi-totalité des cas, il s’agit de femmes exilées d’origine africaine au statut précaire.
Allaitement : « une vraie souffrance pour les femmes de ne pas avoir le choix »
Florence Buttin poursuit l’accompagnement des femmes après leur accouchement. À cette étape de leur vie, le sujet de l’allaitement revient sur la table. En France, l’allaitement reste contre-indiqué pour les femmes séropositives, d’après un rapport rédigé en 2018 par le professeur Morlat, avec comme raison invoquée le risque résiduel de virus qui pourrait passer dans le lait maternel.
Emmanuelle Morin, responsable du pôle des programmes santé & solidarité chez Solidarité Sida, déroule :
« On ne connaît pas vraiment les risques, car la recommandation est tellement stricte qu’on ne dispose pas d’études sur le sujet. »
A contrario, l’Allemagne et la Suisse affichent des dispositifs plus souples.
Si Solidarité Sida n’a pas à prendre position sur le sujet, l’organisation s’intéresse aux nouvelles recommandations en cours de rédaction sous l’égide de la Haute Autorité de santé (HAS).
« De notre côté, on constate qu’il existe une vraie souffrance pour les femmes de ne pas avoir le choix », reprend Emmanuelle Morin. Une situation confirmée par Florence Buttin :
« Au sein de certaines cultures, le lien de filiation va se réaliser par le lait, donc sans allaiter, les mères se demandent comment elles vont y arriver. »
Par ailleurs, l’absence d’allaitement les expose aux questions de leur entourage et l’éventualité de la découverte de leur statut sérologique par leur famille « terrorise littéralement la quasi-totalité des femmes accompagnées ».
Hawa confie que son père a cessé de lui parler quand il a appris sa maladie en 2012, par ignorance.
Il y a encore beaucoup de boulot pour tordre le cou aux idées reçues et autres clichés !
Vous pouvez retrouver l’association Solidarités Sida au festival Solidays, les 24, 25 et 26 juin, à Paris.
À lire aussi : La présidente de AIDES explique pourquoi la lutte contre le VIH concerne aussi les femmes
Image en une : © Anastasiia Chepinska/Unplash
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Merci pour ta réponse détaillée, c'est très clair.