Avoir une activité de camgirl ne rentre pas dans le spectre de la prostitution, a tranché la Cour de cassation ce mercredi 18 mai. Cela semble assez logique, et pourtant il a fallu que la plus haute juridiction française se penche sur la question.
Le pourvoi était porté par la Confédération Nationale des Associations Familiales Catholiques (CNAFC), organisation conservatrice qui entend défendre les enfants et la famille mais qui s’oppose surtout à l’IVG et à la PMA et qui a ouvertement soutenu la Manif pour tous.
Une information judiciaire avait été ouverte en 2010 après une plainte de la CNAFC pour proxénétisme aggravé concernant des « faits constatés sur quatre sites français à caractère pornographique ».
« Cette plainte visait, notamment, des comportements consistant, pour des jeunes femmes, à se livrer, devant une caméra, à des agissements à caractère sexuel, retransmis en direct par un moyen de communication audiovisuelle à des clients qui les sollicitaient et les rémunéraient par un moyen de paiement à distance. »
Une ordonnance de non-lieu avait été prononcé en 2019, confirmée partiellement par la cour d’appel en février 2021, ce qui a amené l’organisation conservatrice à se pourvoir en cassation.
Dans son arrêt, la Cour de cassation a ainsi jugé que « ces comportements n’entrent pas dans le cadre de la définition précitée, dès lors qu’ils n’impliquent aucun contact physique entre la personne qui s’y livre et celle qui les sollicite, de sorte que l’assimilation de ces comportements à des actes de prostitution suppose une extension de cette définition. »
Pourquoi cet enjeu est-il loin d’être anecdotique ?
Requalifier la pornographie pour mieux l’interdire
Pour Cybèle Lespérance, l’une des porte-paroles du Strass, le syndicat du travail sexuel, cette décision laisse apercevoir une tendance actuelle des activistes prohibitionnistes, qui défendent une position d’interdiction de la prostitution et de la pornographie :
« C’est une stratégie du mouvement prohibitionniste international que de vouloir requalifier le porno en prostitution filmée », analyse-t-elle auprès de Madmoizelle.
En requalifiant la pornographie en prostitution filmée, il serait donc possible de poursuivre les sites pornographiques et les plateformes pour proxénétisme, défini comme « le fait de tirer profit de la prostitution d’autrui ».
Or, la prostitution implique un contact physique, comme indiqué précisément dans un arrêt de la Cour de cassation en 1996 :
« La prostitution consiste à se prêter, moyennant une rémunération, à des contacts physiques de quelque nature qu’ils soient, afin de satisfaire les besoins sexuels d’autrui »
Voilà pourquoi la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de la CNAFC.
En prenant cette décision, la Cour de cassation s’en remet donc au législateur qui sera libre de faire ou non évoluer la loi.
« Si on demande au législateur de se pencher sur le sujet et de légiférer, il est très probable que le résultat soit de la prohibition », souligne Cybèle Lespérance.
Cette idée de requalification constitue donc une stratégie pour faire interdire la pornographie et un discours portés par une organisation porteuse d’un discours conservateur comme la CNAFC, mais aussi par des associations comme Le Mouvement du Nid, qui se revendique féministe et abolitionniste.
Un révélateur des difficultés des TDS
Il reste néanmoins de nombreux flous autour du travail du sexe, notamment les conditions de travail des personnes exerçant une activité de camgirl ou de camboy.
Concernant spécifiquement la pratique du sexe virtuel via des plateformes de contenus comme OnlyFans ou MYM, les enjeux en matière de droits et de rémunération pour les personnes qui mènent cette activité sont encore à définir.
« On se retrouve à se demander si on ne pourrait pas obtenir une reconnaissance de travailleur de plateforme, un quasi salariat comme on le voit chez Uber », explique Cybèle Lespérance.
« On nous dit non, car il n’y a pas de service en personne. Pourtant, si on regarde le pourcentage que prennent les plateformes et le contrôle qu’elles ont sur le travail en question, pour la plupart des personnes, le statut d’auto-entrepreneur leur ferait perdre de l’argent. On a engagé des discussions avec le cabinet du secrétariat d’État aux PME, avec les Urssaf, ne serait-ce que pour clarifier ces statuts, pour permettre aux gens d’être dans les clous fiscalement. »
Des discussions qui n’ont jamais abouti, déplore la militante.
« Ce qu’on remarque depuis ces cinq dernières années, et qui s’est accéléré avec la pandémie, c’est que dans les métiers du sexe, les personnes ne font plus un seul métier dans leur carrière. Par exemple, l’actrice porno doit avoir son OnlyFans, on a une diversité dans les sources de revenus et des manières d’exercer. »
Pour résumer, des restrictions concernant un seul domaine du travail sexuel auraient alors un impact global sur l’ensemble des travailleurs et des travailleuses du sexe.
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Crédit photo : charlesdeluvio
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Les Commentaires
Par contre, j'ai aussi un peu de mal avec la deresponsabilisation totale de l'individu dans ses choix, car il y a toujours un impact.
Évidemment que c'est à voir au cas par cas, car parfois ce n'est pas un choix (et parfois ça l'est), et le déterminisme n'est pas non plus une invention sortie de nulle part.
Bien sûr, ce n'est pas que le cas pour les camgirls/boys et TDS et cette réflexion peut s'étendre à un bon nombre de métier.