Publié le 10 mai 2018
« Nous n’héritons pas de la Terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants ».
Cette belle maxime est censée nous rappeler la responsabilité qui nous incombe à tous et à toutes : celle de traiter avec précaution et respect les ressources naturelles, qui ne sont ni gratuites, ni illimitées.
C’est juste que nous ne payons pas directement le coût de notre consommation, et que les limites seront atteintes dans un futur qui se rapproche dangereusement.
Mais cet adage laisse penser que la Terre nous appartiendrait. Parce que nous l’occupons, nous l’aurions conquise ?
Et si la planète ne nous avait jamais appartenue, et si nous n’étions, au fond, que ses milliards de locataires ?
Et si le propriétaire de la Terre voulait récupérer son bien, parce que notre bail arrive à échéance ?
C’est l’hypothèse que pose Nicolas Meyrieux dans son nouveau spectacle, « État des lieux », qu’il joue actuellement à Paris les jeudis, vendredis et samedis à 20h, au Palais des Glaces.
Sur scène, le créateur de La Barbe endosse le rôle d’un agent immobilier extraterrestre. « Zgck » travaille chez Planète Immo, et il reçoit un appel du propriétaire de la Terre.
Il procède donc à la convocation des humains pour réaliser l’état des lieux de sortie de la Planète Bleue. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on est TRÈS mal barrés pour récupérer la caution…
Tu peux retrouver Nicolas Meyrieux sur scène, dans État des lieux, son nouveau spectacle.
Il se produit les jeudis, vendredis et samedis à 20h, au Petit Palais des Glaces, jusqu’au 30 juin.
Ne traine pas pour choper tes places !
Entre espoir et cynisme, État des lieux dresse le bilan de notre situation, et nous met face au mur, sans pour autant verser dans les leçons de morale.
Comment s’est-on foutus dans une pareille situation ? Et, plus intéressant encore, comment s’en sortir ?
Sans en dire davantage sur le contenu de ce seul en scène qui donne à réfléchir, et que je ne peux que te recommander, je voulais partager ici ce que cette question d’état des lieux m’a inspirée.
Propriétaire, tu perds ton sang froid
Nous nous comportons sur Terre en conquérants, patrons de ces lieux dont l’hostilité se rappelle à nous périodiquement, au gré des phénomènes météorologiques sur lesquels nous n’exerçons aucun contrôle.
Remettre en cause cette hypothèse selon laquelle nous serions propriétaires de la planète pourrait nous amener à repenser complètement notre rapport aux ressources, et surtout, notre rapport aux autres.
Nous sommes colocs, par rivaux
Je nous vois désormais comme une immense colocation, où chacun aurait autant que les autres le droit de se servir de la cuisine, d’occuper un étage du frigo, et il n’y aurait jamais aucune légitimité à invoquer le « j’étais là avant ».
Dans une coloc, tu ne restreins jamais l’accès aux parties communes à une personne qui vient d’arriver, sous prétexte que les anciens étaient là avant.
Pourquoi, sur Terre, acceptons-nous la privatisation des ressources, l’appropriation des ressources communes par les peuples ou les gouvernements qui ont installé leurs quartiers en ces lieux ?
Si nous sommes tous des colocs sur Terre, nous avons intérêt à partager, à vivre ensemble, et pas à se comporter comme si nous étions rivaux.
Vous me direz, certaines ambiances de colocation ressemblent davantage à une Guerre Froide qu’à un camp hippie, certes.
Mais justement, ce sont alors des apparts au sein desquels l’atmosphère n’est pas très respirable… On cherche à s’en barrer, ou à éjecter les éléments toxiques…
Dans le vivre ensemble, il y a l’idée de cultiver l’harmonie comme facteur d’amélioration de la qualité de vie.
Nous gagnerions tous et toutes à essayer de mieux vivre ensemble, plutôt qu’à essayer de vivre mieux que les autres.
Les ressources sont à répartir, pas à exploiter
Aussi loin que je m’en souvienne, on m’a toujours parlé de « l’exploitation des ressources naturelles ». La Terre a des ressources qui sont très utiles, mais qu’elle garde assez jalousement pour elle.
Il faut les lui arracher, de ses entrailles, de sa surface, de ses vents, de ses forêts, pour pouvoir en jouir.
C’était l’idée, encore une fois, que nous sommes conquérants de lieux hostiles. Or, cette logique est aussi improductive que si l’on menait un bras de fer contre notre propre appart.
Par exemple, est-ce que tu pousses le chauffage À FOND plutôt que de chercher à mieux isoler les pertes de chaleur ? Et quand il y a une fuite, est-ce que tu raisonnes par : on s’en fout, il y a de l’eau en abondance à un autre robinet ?
Un tel comportement serait absurde ! Et pourtant, c’est peu ou prou ce qu’on fait à grande échelle, avec les ressources de la Planète :
- une utilisation abusive des ressources, sans rationaliser ce qu’on ponctionne
- une absence de préoccupation vis-à-vis des dégâts existants ou causés par notre action
- une dé-responsabilisation provoquée par l’illusion de l’abondance
Le problème c’est qu’à la fin, qui va raquer ? Nous, quoiqu’il arrive. Dans un appart, le changement de comportement serait immanquablement entériné par la réception des factures d’eau et d’électricité.
Action, réaction : tu procèdes à la réparation de la fuite et à une meilleure isolation de ton appart.
Mais dans la vie, ce sont les générations suivantes qui recevront « la facture » des dégâts que l’on cause, et ceux qu’on laisse pourrir parce qu’ils ne nous gênent pas tant directement.
Bref, si la Terre était une immense colocation, ça fait un bail que j’aurais expulsé les gros pollueurs, ou que j’aurais pris moi-même la décision de déménager.
Puisque ce n’est pas aussi simple dans la vraie vie, comment réagir ?
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Si la Terre était une colocation, comment changer ?
Aucune de mes colocations ne s’est améliorée en laissant des post-it passifs-agressifs sur le frigo.
Je ne compte donc pas non plus sur des faux-semblants diplomatiques pour amorcer le changement dont nous aurions bien besoin.
Je crois beaucoup aux initiatives individuelles, même en ayant clairement conscience de leurs limites.
Pour reprendre la métaphore de la colocation : j’ai déjà occupé des apparts bien pourris, c’est-à-dire mal isolés, trop gourmands en énergie, mal optimisés.
Fédérer les initiatives individuelles par la concertation
Si on ne s’entend pas dans la coloc, c’est la catastrophe : la facture d’énergie va exploser (car chacun montera le chauffage en fonction de son confort), ou, si quelqu’un tyrannise les autres, tout le monde souffrira du froid.
Si les colocs se parlent et sont honnêtes sur ce qui est important pour eux, l’harmonie peut s’avérer gagnante pour tout le monde. Par exemple, dans l’une de mes colocs très mal isolée mais chauffée au gaz (donc très cher), voici ce que nous avions convenu :
- Nous nous étions mises d’accord sur le montant que nous étions disposées à payer pour la facture d’énergie
- Sur cette base, nous avons évalué combien de temps de chauffage nous pouvions activer dans le mois
- Nous nous sommes concertées pour identifier des moments prioritaires (le matin pour le petit déjeuner, certaines heures pour accompagner les révisions de l’une, le déjeuner de l’autre, etc).
- Nous avons listé ensemble les mesures que nous pouvions mettre en oeuvre pour réduire les pertes de chaleur : garder certains volets fermés, calfeutrer certaines portes avec des tissus, etc.
Ce fut une triple réussite :
- facture d’énergie sous contrôle
- température intérieure de l’appart mieux maîtrisée
- meilleure ambiance, et communication optimale entre les résidentes de l’appart !
Vous me direz, sur Terre, on est un poil plus nombreux que dans ma coloc étudiante. Certes. Néanmoins, certaines actions me semblent transposables à plus grande échelle.
Penser ambition collective, et responsabilité individuelle
Je crois beaucoup en mon propre pouvoir, sans doute parce que je déteste l’idée d’être impuissante.
Face au terrible diagnostic de l’urgence écologique, je cherche intensément tous les moyens qui me sont accessibles pour contribuer au changement nécessaire.
C’est en soi un moyen d’action que l’on sous-estime trop souvent : avoir conscience de son pouvoir, et par extension, de sa part de responsabilité, c’est déjà contribuer à la solution.
Décider que je suis actrice de mes choix, décider de l’intention de mes actions, accepter pleinement la responsabilité qui m’incombe en tant qu’habitante — ou locataire — de cette Planète, voilà qui influence forcément mon comportement dans le bon sens.
Mais attention : se sentir responsable ne veut pas dire se sentir coupable. Ma responsabilité dans l’état du monde et la direction qu’il prend ne me pèse pas sur la conscience.
Ma responsabilité est une boussole pour aiguiller mes choix, elle n’est pas un fardeau ni une pénitence.
La différence est essentielle : je n’agis pas pour alléger ma conscience, je fais des choix ayant pour horizon ce futur qu’il nous appartient tous et toutes de construire, de garantir aux suivant·es.
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Si le syndic de copropriété s’en mêlait
Je ne suis pas naïve : l’appart de la coloc irait beaucoup mieux, beaucoup plus vite si les co-propriétaires avançaient l’argent pour qu’on y fasse enfin les travaux nécessaires.
En clair : si nos gouvernements planifiaient et finançaient la transition énergétique qui se fait attendre, et prévoyaient de rationaliser écologiquement les cycles de production-consommation, j’aurais pas besoin de choisir entre avoir chaud et acheter à manger (retour à la coloc !)
Mais je n’ai pas le luxe d’attendre que les planètes s’alignent : je vis dans cette coloc à 7 milliards d’habitant·es, et je ne peux pas la quitter au motif que les proprios sont irresponsables, et laissent la baraque se dégrader dangereusement.
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https://youtu.be/phxspBunDPg
J’ai pas non plus les moyens de mener le type de concertation vécue en colocation — et de toute façon, nous n’avons pas tou·tes les mêmes moyens à notre disposition.
Mais j’ai les moyens de ne jamais perdre de vue ma part de responsabilité, et surtout, de ne pas négliger la part que je suis en mesure de contribuer.
Et si des Aliens débarquent pour récupérer la Terre, je veux bien lâcher la caution s’ils l’utilisent pour rafraîchir un bon coup tous les espaces que les précédents locataires ont défoncés.
Les suivant·es en prendront soin, je le sais, parce qu’on a déjà commencé !
Nicolas Meyrieux est le taulier de « La Barbe », une chaîne YouTube de vulgarisation politique, économique et sociale.
Tu peux le retrouver sur sa page Facebook, son compte Twitter, sur Instagram, et surtout sur scène, les jeudis, vendredis et samedis à 20h, au Petit Palais des Glaces, jusqu’au 30 juin !
Par ici pour choper tes places !
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