Le snobisme intellectuel court nos rues.
On a tantôt envie de lui faire la peau, tantôt l’irrésistible besoin de rejoindre ses rangs.
C’est vrai qu’il a l’air beau l’eldorado des gens dont les goûts ne font pas débat. Ceux qui se réfèrent davantage au nouveau cinéma allemand qu’au dernier Marvel.
Oui mais voilà, qui vous dit que ces amoureux de Werner Herzog ne matent pas Les Princes et les Princesses de l’amour sitôt que le reste du monde a le dos tourné ?
À une heure où À tous les garçons que j’ai aimés 3, En passant pécho et Firefly Lane plafonnent en pole position du top de Netflix, il est grand temps d’analyser nos comportements de consommatrices.
Allons-nous longtemps mettre les succès de Netflix sur le dos de la pandémie ? Ou sommes-nous enfin prêtes à assumer nos préférences, peu importe l’avis de l’académie du bon goût ?
Les cartons de Netflix, significatifs
Il convient ici d’être factuelles.
Si vous jetez un œil au top 10 des plus gros succès Netflix du week-end du 12 au 14 février, voilà sur quoi vous tomberez :
- À tous les garçons que j’ai aimés 3
- En passant pécho
- News of the World
- Firefly Lane
- Squared Love
- Red Dot
- Lupin
- Riverdale
- Brooklyn Nine Nine
- La Chronique des Bridgerton
Un top plus ou moins éclectique qui correspond peu ou prou, en effet, à tous les contenus dont on entend parler à la machine à café ou pendant nos déjeuners entre potes.
Si vous voulez connaître notre avis, on vous dira qu’on trouve, à l’exception de trois contenus, que ce top est bourré de nunucherie.
Attention, cela ne signifie pas qu’on condamne cette dernière ou qu’on y participe jamais, bien au contraire.
C’est un simple constat : À tous les garçons que j’ai aimés 3, Firefly Lane, Squared Love, Riverdale et La Chronique des Bridgerton notamment sont, qu’on le veuille ou non, des programmes cousus de fil blanc, qui ne souffrent pas l’écriture d’Aristote (et on s’en fout).
Des contenus que personne ne se vante de regarder au bureau ou à l’école, mais que tout le monde mate une fois la porte de la maison refermée, si l’on en croit le top de Netflix.
D’aucun diront — on le lit très souvent sur le forum de Madmoizelle — dans les commentaires des articles d’Emily in Paris ou de La Chronique des Bridgerton, que c’est la pandémie qui conduit à la dégustation de produits estampillés légers.
En effet, une époque pourrie encourage l’évasion en des contrées plus douces et sucrées.
Des succès décorrélés de la pandémie
Quand on doit être rentré chez soi à 18 heures et pioncer à 21 heures, peut-être qu’on a envie de mater un film où les meufs se la collent jusqu’à 4 heures du matin.
Peut-être que quand on est cloué au canap’ dans un vieux joggos, on a envie de mater des séries où les meufs portent des robes à fleurs et des gants en dentelle pour batifoler avec des ducs dans des prés.
C’est largement compréhensible.
Oui mais voilà, est-ce qu’on aurait moins adhéré au Paris snobinard et enfumé de Emily in Paris
si l’on avait pu dîner toute l’année au resto dans le Marais et boire des verres de rouge jusqu’aux petites heures du matin dans des troquets habillés de carreaux ?
La réponse est oui. Sans doute.
On mettrait notre main à couper que le succès de séries légères comme Emily in Paris, La Chronique des Bridgerton ou Firefly Lane auraient fonctionné sans la pandémie.
Ces séries sucrées appliquent une recette qui fonctionne aussi bien que la recette des Marvel ou de Coca-Cola. C’est toujours la même, et c’est très bien comme ça. On y voit des héroïnes belles, affirmées mais sympa succomber aux charmes classiques d’hommes idéaux, on les voit aimer, être un peu déçues mais aimer de nouveau, le tout en portant des fringues qui les rendent encore plus belles qu’elles ne sont déjà.
Aussi, Netflix n’a pas attendu la pandémie du coronavirus pour voir ses contenus binge-watchés dans des proportions incroyables.
La Casa de Papel, par exemple, aurait été visionnée, en 2018, plus de 17 millions de fois rien qu’en France entre le 1er janvier et le 20 mai d’après une étude menée par NPA Conseil (Netflix ne dévoile pas ses chiffres).
Elle aurait même été la série la plus regardée en SVoD de 2018. Légère, abracadabrantesque mais très codifiée, romanesque, avec des héros qui s’en sortent toujours à la fin et vainquent les méchants capitalistes : c’est bien gentil, et c’est bien loin de ce que les « élites » avouent regarder.
Pourtant la série a raflé à elle seule 14% de la consommation entière de Netflix.
Autant dire : BEAUCOUP.
Et que dire de Riverdale et contenus similaires qui ont intégré le top hors pandémie ?
Il est temps de se l’avouer : l’ennui aiguille vers l’ingestion de contenus en masse et la morosité actuelle encourage sans doute un peu l’évasion via des produits douceâtres, mais il n’en demeure pas moins que le miel attire les abeilles.
En d’autres termes, les films et séries légers, romanesques et gentils marchent toujours très bien. Ça n’est pas nouveau.
Et surtout : ça n’est pas grave ! Du tout !
Assumer ses goûts peu importe les qu’en dira-t-on
Si l’on publie sur Madmoizelle, la plupart du temps, des critiques élogieuses sur des contenus qu’on a aimés, il nous arrive également de mettre en ligne des papiers plus assassins.
Des articles qui font débat et provoquent la colère.
Prenons la série La Chronique des Bridgerton, par exemple. Une critique négative (bien qu’écrite sur le ton de l’humour) a été publiée quelques jours après la sortie du programme.
Les réactions (négatives) ne se sont pas faites attendre et c’est un torrent de commentaires qui a déferlé sous l’article.
« On a le droit de regarder des programmes cucu. »
« Je vois pas trop le problème à se faire plaisir en regardant une série qui permet de poser le cerveau. »
Et à ça, il convient de répondre : personne n’a jamais dit le contraire.
Ce type d’article tend à exprimer une opinion subjective, en relevant avec plus ou moins de bonne foi ce qui nous a semblé atterrant ou au contraire exceptionnel dans un objet culturel. Il s’agit d’un point de vue, non d’une insulte ad hominem à ceux qui aiment ce dit objet.
Seulement voilà, on met dans les séries qu’on regarde pas mal d’affect. On développe ainsi des rapports émotionnels à ce qu’on consomme, et il peut donc nous arriver d’être vexée quand quelqu’un dézingue un programme que nous avons aimé. C’est comme ça.
En réalité, chacun peut très bien avoir des opinions différentes de son voisin sans pour autant rentrer en guerre avec lui. Pour cela, il suffit d’être en accord avec ses propres goûts et se moquer des qu’en dira-t-on.
Ce qui est, on doit l’admettre, très difficile dans une société où l’on est encouragée à taire ce qui n’est pas apprécié des élites.
Par exemple : la télé-réalité.
Les intellectuels la dénigrent (à l’exception de Luchini, ce génie), les politiques l’ignorent, les parents roulent des yeux ulcérés quand ils voient leurs enfants devant.
Ainsi, on nous apprend à avoir honte de prendre du plaisir à consommer ce type d’émissions.
Parce qu’on doit être valeureuse en toute chose, irréprochable dans notre consommation vestimentaire comme dans notre consommation culturelle. Toujours plus parfaite, toujours plus intelligente.
Parler des Choses qu’on dit, les choses qu’on fait, passera toujours mieux en société, au travail, en soirées, que de parler des Tuche 4.
Mais en réalité, on peut aimer les deux, les apprécier différemment mais les apprécier quand même. Ou bien les apprécier de manière égale.
Tous les goûts sont dans la nature, et ils sont aussi dans les consommateurs de Netflix, qui demeure la plateforme fédérant le plus d’Audimat.
Et si ces goûts peuvent être encouragés par la période actuelle, on ne nous enlèvera pas de l’idée qu’ils sont surtout et avant tout bien ancrés en chacun de nous.
Alors faisons fi des snobismes protéiformes des uns et des autres — auxquels on participe parfois — et assumons d’aimer les « merdes » qu’on nous propose.
Qu’elles soient sur Netflix, W9, Disney, C8 et j’en passe.
Parce que la pandémie nous fait certes bien chier, on ne peut pas non plus tout lui mettre sur le dos.
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