Récemment, Encanto et La Petite Sirène en film ont permis à des enfants de se sentir représentés à l’écran. Dans son prochain film d’animation, Wish, Asha et la bonne étoile, les studios Disney mettent en avant une nouvelle héroïne racisée, mais également un personnage porteur de handicap. Pourquoi ce choix ?
De plus en plus de diversité chez Disney ?
Depuis quelques années, le studio de production The Walt Disney Company multiplie ses efforts pour produire des films et dessins animés plus inclusifs. Les exemples en ce sens ne manquent pas.
En 2020, sur la plateforme de vidéo à la demande Disney+, plusieurs anciens classiques de la firme ont été retirés des profils visibles par les enfants, et précédés d’un avertissement. Celui-ci précise que « certains programmes comprennent des descriptions négatives ou des mauvais traitements de certains peuples ou cultures ». En cause ? Des personnages stéréotypés, comme les Peaux-Rouges dans Peter Pan, ou les siamois dans La Belle et le Clochard.
À lire aussi : Racistes, datés : « Peter Pan », « La Belle et le Clochard » et « Les Aristochats » ne sont plus accessibles aux enfants sur Disney+
Lorsque le film d’animation Encanto est sorti au cinéma, des enfants, rarement représentés jusque-là, ont pu s’identifier à des personnages comme Mirabel, l’héroïne, qui porte des lunettes et a les cheveux bouclés, ou Antonio, petit garçon noir aux cheveux frisés. Dans Coco, Vaiana, ou encore la Princesse et la Grenouille, Disney avait déjà montré des velléités de diversifier ses personnages principaux.
À lire aussi : Les meilleurs Disney à montrer à votre môme, en fonction de son âge
En 2022, Karey Burke, la présidente de Disney Television Studios & Global Original Television Strategy, avait annoncé vouloir mettre en avant la prise de conscience inclusive de la société, en promettant un minimum de 50 % de personnages LGBTQIA+ ou racisés dans les prochaines productions. Promesse sincère ou simple effet d’annonce ?
Le choix de l’actrice Halle Bailey pour incarner le personnage d’Ariel dans l’adaptation en live-action de La Petite Sirène, avait cependant été mal reçu par une partie de la critique populaire. Tandis qu’au même moment, les photographes Régis et Kahran Bethencourt ont collaboré avec Disney pour créer The CreativeSoul Doll Collection, une collection de poupées racisées, inspirées de leurs photos de petites filles noires portant des robes de princesses Disney.
Enfin, en novembre prochain, le nouveau film de la firme, baptisé Wish, Asha et la bonne étoile, mettra en scène une héroïne racisées aux cheveux texturés, mais aussi un personnage secondaire porteur de handicap moteur. Disney prend-il réellement un virage inclusif ? Quel impact cela a-t-il sur les enfants spectateurs ?
Pourquoi les enfants ont-ils besoin de pouvoir s’identifier à des personnages qui leur ressemblent ?
Lors de la sortie d’Encanto puis du film La Petite Sirène, on a vu fleurir sur Internet des vidéos d’enfants ravis de se voir représentés à l’écran. Pour Marie Danet, docteure en psychologie et maîtresse de conférences à l’université de Lille, qui étudie notamment la place des écrans dans la famille, se voir représenter à travers des personnages de fiction permet d’avoir accès à une sorte de normalité. « Dans les jouets, c’est la même chose, avoir une diversité de représentations permet d’avoir un sentiment d’appartenance à la société. »
Prisca Ratovonasy, consultante diversité et inclusion, et cocréatrice du podcast Les enfants du bruit et de l’odeur, est du même avis. « Être représenté permet d’être identifié et visible au sein de la société, mais attention, sans être représenté n’importe comment ! Il faut une représentation multiple, c’est important, cela permet de se sentir bien au sein de la société, mais cela montre aussi qu’il n’y a pas une seule façon d’être accepté et visible. Ce message est aussi bien destiné aux enfants perçus comme racisés, perçus comme gros, ou d’une minorité non visible, mais aussi aux personnes visibles tout le temps à l’écran, cela leur montre qu’ils ne sont pas les seuls à pouvoir être représentés. »
Pour Marie Danet, les efforts de Disney sont visibles. « On voit, chez Disney, de plus en plus d’héroïnes, et non plus des femmes passives qui attendent le prince charmant. Et en dehors de Disney, il y a plein d’autres offres, c’est un mouvement général qu’on constate chez les fabricants de jouets et les créateurs de dessins animés. On voit de plus en plus de diversité, même dans les contenus pour adultes, en particulier au niveau de l’identité de genre et de l’orientation sexuelle. Mais ces personnages restent tout de même minoritaires. »
Prisca Ratovonasy émet, cependant, un bémol, quant aux représentations de personnages issus de minorités chez Disney. « Il y a une plus grande représentation, mais ce que je trouve dommageable c’est que, malgré tout, on reste dans les mêmes stéréotypes et préjugés véhiculés. Il y a beaucoup de colorisme dans la représentation des personnes racisées noires, elles sont les plus claires possible, ou bien animalisées, ou en lien avec l’animal.
On le voit bien dans Encanto, Antonio, le seul enfant noir, est rattaché au monde de la jungle et à l’animalité. Dans La Princesse et la Grenouille, Tiana est représentée en grenouille pendant la majorité du film. »
La démarche de Disney est-elle sincère ?
La diversité prônée par Disney manquerait-elle donc de sincérité ? Pour Marie Danet, la réponse se veut mitigée. « Je pense que c’est en partie sincère, mais ils veulent aussi coller aux attentes du public. Il y a, d’un côté, plus de diversité chez les créateurs de contenus, qui ont envie que leur production leur ressemble, et ressemble à la société. Mais c’est aussi un outil marketing, ils ne peuvent pas continuer à diffuser des images désuètes, ou ils se feraient rattraper par la critique populaire. »
Pour Prisca Ratovonasy, il faut également regarder du côté de l’équipe de création. « Si la majorité des personnes de ces équipes sont dans la blanchité, on ne peut pas leur reprocher de faire ce qu’ils connaissent. On n’est pas élevés et sociabilisés de la même façon, et cela joue dans le processus de création. L’importance de la diversité va donc également dans les équipes de création. Et mettre une personne dans une équipe, ce n’est pas diversifier, c’est reproduire un système d’oppression, car une personne seule ne pourra pas changer grand-chose. »
« Je ne dirais pas que la démarche de Disney n’est pas sincère » ajoute-t-elle, « mais c’est loin d’être suffisant. C’est un bon début, mais il faut regarder du côté des équipes, qui a la parole, qui crée, qui est financé ? S’il n’y a pas une grande diversité de propositions dans l’équipe, les mêmes imaginaires se répètent, on n’apporte qu’une seule vision du monde aux enfants. »
Prisca Ratovonasy fait également un parallèle avec le « test des poupées » réalisé par les scientifiques américains Mamie et Kenneth Clark dans les années 1940, afin de mettre en lumière les effets psychologiques des préjugés raciaux sur les enfants noirs. « On voit dans cette expérience que si une représentation est sans cesse valorisée, cela peut entraîner chez les enfants des complexes, une vision faussée de sa personne, une dysmorphophobie, et une dépréciation générale. Les enfants sont persuadés d’être méchants et malhonnêtes. Les représentations dans les dessins animés ont un impact sur les enfants, qu’ils soient noirs, blancs ou asio-descendants, cela envoie des messages à toute la société. »
Du travail reste donc à accomplir, sur la représentation des personnages racisés, mais également chez les personnages LGBTQIA+, ou encore les personnes porteuses de handicap. « Il y a toujours une progression possible pour sortir des stéréotypes » confirme Marie Danet. « Aujourd’hui, plusieurs créateurs de contenus s’entourent de rewriters qui relisent les textes pour assurer une meilleure inclusivité. La représentation du handicap, notamment, n’est pas encore très présente, même si les progressions vont dans le bon sens, ça reste parfois anecdotique. Je pense par exemple au dessin animé Sam le pompier, où il y a une petite fille en fauteuil roulant, c’est positif mais très ponctuel. »
À Disney, et ses concurrents, désormais, de diversifier ses équipes de production et donner aux enfants toujours plus de représentations, variées et non stéréotypées, à l’écran.
Vous aimez nos articles ? Vous adorerez nos podcasts. Toutes nos séries, à écouter d’urgence ici.
Les Commentaires