Une bouche rouge vif, un ton très châtié et de grands yeux bleus : sur TikTok, Esmé Louise James, la vingtaine, dénote. Sur son compte, pas de vidéos de danse ou de lip sync sur des musiques populaires. Mais plutôt de l’histoire, et plus particulièrement, de la sexualité de l’histoire. Sa série « Kinky History » (histoire coquine), qui rassemble des millions de vues, aborde la vie sexuelle de grandes figures historiques, de Jean Jacques-Rousseau à Cléopâtre VII Philopator, en passant par les pratiques sexuelles de la Grèce Antique ou l’origine des premiers sextoys.
L’histoire de la pornographie et de l’érotisme, racontée sur TikTok
« J’ai commencé TikTok complètement par hasard, après une grosse bouteille de vin en confinement », s’amuse Esmé de l’autre côté de l’écran, un Paris-Melbourne n’étant pas très écolo pour mener à bien cette interview. En pleine thèse à l’Université de Melbourne, où elle étudie l’histoire de la pornographie et de l’érotisme, la jeune Australienne décide un soir de partager les histoires insolites qu’elle pouvait rencontrer au cours de ses recherches.
« Un ami d’université avait aussi créé un compte TikTok pour parler d’histoire, et comme pendant le confinement je n’avais personne à qui parler de mes recherches, je me suis dit pourquoi pas », se rappelle-t-elle. Rapidement, après quelques vidéos, des centaines de personnes commencent à la suivre, ce qui la pousse à continuer.
Une manière pour elle de sortir le savoir universitaire d’un cercle fermé, élitiste : « Il y a peu d’informations qui vont au-delà des conférences et du cercle académique, alors que cela devrait être accessible au plus grand nombre ! ». D’autant plus sur le sujet de la sexualité, encore stigmatisé. « Quand on parle de sexualité, c’est soit très sérieusement, soit en faisant des blagues. Kinky History est à mi-chemin : basé sur des recherches académiques, mais quand même fun ! » ajoute la doctorante. Celle qui affirme « ne pas dormir » jongle entre TikTok, sa thèse et l’écriture d’un livre, « même si TikTok, je ne considère pas ça comme du travail ».
Sortir le savoir universitaire des bibliothèques
Mais être une femme et parler de sexualité sur internet peut s’avérer ardu. Esmé tente de ne pas se faire bannir de la plateforme, en naviguant entre les règles imposées par TikTok. « J’utilise beaucoup de métaphores, je change des mots… Au début, plusieurs de mes vidéos étaient supprimées, sans savoir les raisons », explique-t-elle. Si la majorité des commentaires qu’elle peut recevoir sont positifs, il lui arrive de recevoir des messages misogynes ou sexualisants : « Une fois, quelqu’un m’a dit que mes parents devaient avoir honte de moi. Alors j’ai fait une vidéo avec ma mère pour répondre. »
En deux années, grâce à TikTok, la vie d’Esmé a changé : contrat d’édition, fond pour créer un documentaire, invitation à des conférences… « La triste réalité des universitaires, c’est qu’il n’y a pas d’argent pour la recherche. On doit batailler pour se faire un nom : en somme, c’est se faire publier ou périr », analyse-t-elle. La plateforme et la communauté qu’elle a créé autour de son travail lui ont fait gagner « plusieurs années de carrière », en lui donnant confiance en elle et son travail. « Car pour l’instant, je n’ai pas encore mon doctorat ! » rit-elle.
Pour l’avenir, elle souhaite continuer à créer du contenu en lien avec l’histoire, pour transmettre l’information académique au grand public. Car selon elle, « tout le monde veut apprendre, et il nous faut trouver de nouvelles manières de communiquer ce savoir. »
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