Traumatisé par les festivités de ces zouaves de L’Auberge Espagnole, mon père, paniqué, pensait que j’allais passer les 6 prochains mois à boire, draguer, me faire draguer et surtout ne pas travailler.
Si Papounet a raison sur certains points (mais pas sur la drague), et que je découvre plus le pays et les gens que la construction d’un plan d’autofinancement dans une Aktiengesellschaft, Erasmus permet de découvrir quelque chose de beaucoup plus profond : soi-même (enfin, si tu préfères la finance, c’est toi qui voit).
J’ai revu ma perception du confort
Ok, l’Allemagne, c’est pas le Mali (la preuve : ici, il pleut).
Quand tu arrives dans ton nouvel appartement, tu n’as pas de poubelle, pas de tancarville (Larousse, édition 1874), pas de casserole, pas de lessive, pas de téléphone, pas Internet, pas de coussin, pas de couette…
Alors, je ne fais pas l’apologie de la consommation, NON, on n’a pas besoin de tout ça pour vivre, évidemment.
Mais il faut être lucide, quand toute ta vie tu as vécu avec un minimum de confort (liste ci-dessus non exhaustive), dans un appartement, même en étant étudiant, il y a des choses que tu vas devoir oublier en arrivant.
Un peu comme les lofteurs quand ils sont arrivés dans la Maison avec leur petite mallette (comment ça, ce n’est pas comparable?).
Il va en tout cas falloir t’adapter à une nouvelle situation matérielle : tes habitudes ne sont plus, ton chez-toi non plus, réorganise toi avec ce que tu as (parce que s’acheter un four électrique pour 6 mois de séjour ne me paraissait pas nécessaire).
Et ce qui est incroyable, c’est que j’ai râlé, beaucoup râlé, parce que je suis Française pourrie gâtée, mais aujourd’hui, je me sens parfaitement chez moi, et surtout beaucoup moins dépendante de mon petit confort.
J’étale mon linge sur mon radiateur, j’ai un sac de couchage, j’ai un drap en guise de coussin, du café en poudre, je lis madmoiZelle.com et j’ai pas de culotte (sauf si j’ai bien pensé à allumer le radiateur avant d’y faire sécher mon linge).
Je suis devenue sympa
Je suis ce qu’on appelle une vraie chieuse.
Autoritaire quand les choses ne vont pas comme je le souhaite, toujours branchée sur 10 000 volts même quand on vient de faire 50 km de vélo, très portée sur la loyauté (et donc très souvent en train de ruminer la déloyauté d’un autre), et sans aucune patience.
Maintenant que tu veux m’épouser, tu vas être déçu, parce que… j’ai changé. Je suis presque une meuf cool.
C’est à dire que quand tu n’arrives pas à t’expliquer clairement dans la langue du pays (le Saxon n’a jamais été de l’allemand, on est d’accord ?), tu es bien contente de trouver un interlocuteur qui te laisse du temps pour bien t’exprimer.
Et tu reproduis le même schéma avec les autres (qui ne parlent pas Saxon, ces noobs), parce que tu sais ce que c’est, la frustration de ne pas pouvoir être comprise.
Et ce processus s’applique à beaucoup de situations : je suis donc devenue globalement indulgente.
Et je suis tellement fière de pouvoir dire ça de moi que j’ai presque envie de le mettre dans mon CV. (Bon, sinon, les travaux de groupe me les brisent toujours aussi menues.)
Je respecte le point de vue et la culture des autres
« Ouverte d’esprit » : je déteste cette expression.
Je trouve qu’il n’y a rien de plus guindé et prétentieux que de dire « Je suis ouverte d’esprit ». C’est comme aimer les trucs « alternatifs », ou trouver certaines choses « mainstream ».
C’est de l’étiquetage généralisant qui ne veut rien dire (un peu comme « étiquetage généralisant» ).
Comment peux-tu savoir que tu peux tout entendre, tout accepter ? À force d’entendre les gens dire d’eux-même qu’ils étaient open, je me suis demandée si je l’étais moi-même.
Eh bien, pas du tout.
Il y a encore des choses que je ne comprends pas : quand un Américain me parle de la peine de mort, à laquelle il est favorable, je n’accepte pas, même si c’est une preuve flagrante de fermeture d’esprit.
Alors, je me dis que je suis simplement respectueuse des autres cultures. Oui, les Allemands mettent de l’eau dans leur vin (en vrai, hein), mais même si j’ai envie de leur crier « Ça va paaaas ? », je ne le fais pas parce que nous, on mange des huîtres, et les huîtres c’est vivant (« Seid ihr verrückt ?? »).
Et être respectueuse, ça se travaille.
Il faut avoir confronté son point de vue à d’autres cultures, ses habitudes à celles de tes amis, t’adapter à leur bouffe quand ils t’invitent (et pourtant, je suis une vraie chieuse, même pour la bouffe) pour arriver à ravaler ton orgueil et ton patriotisme et te dire « Haaaan je suis grave open » « C’est une autre manière de voir les choses, pas plus conne que la mienne » (mais Gunter, si tu remets de l’eau dans mon vin, je te fais manger une huître par le nombril).
Je peux avaler un mètre cube de bière sans cligner des yeux
….et en chantant la Cucaracha (chanson typiquement allemande)
Je n’en suis pas très fière (tu parles, je bouillonne d’orgueil, oui), mais ouais, pour ça, j’ai acquis la nationalité allemande.
Je relativise tout
…même les choses pour lesquelles relativiser est inutile
Si Carrefour s’appelait Erasmus, le slogan resterait le même : « Avec Erasmus, je positive » (comment ça, ce slogan n’existe plus ? On m’aurait menti ?).
Tu as dépensé ton loyer dans un voyage ?
Oui, mais tu as vu des choses superbes (Prague = filet de bave chaude et excitation de la rétine).
Ton devoir d’allemand sur le prix de l’immobilier est bourré de fautes, ta prof a les yeux rouges d’avoir pleuré sur ton incapacité linguistique ? Et alors ?
Tu sais maintenant conjuguer le verbe « habiter » au conjonctif de l’imparfait dans une tournure au passif. Netto est fermé ?
Pff, il te reste quatre biscottes dans le placard, ça fera l’affaire (je déconne, dans ces moments-là, je pleure, je prie pour que ma mère m’envoie mentalement une blanquette de veau et je me roule en boule sous mon lit).
Le fait de ne pas être dans ton pays, de ne pas avoir tes amis et ton fiancé, et de devoir composer avec tes moyens tout en vivant une expérience (il faut le dire) incroyable, eh bien ça te fait savourer la vie comme une louche de Beaufort fondu sur son lit de roquette aux lardons (ça y est, je pleure).
J’ai un mec au pays, et Erasmus m’a permis de faire le point
Il faut quand même l’avouer, quand j’ai annoncé que je partais pour (seulement !) un semestre, il y avait énormément de sceptiques.
Ici, quand j’en parle, les gens me regardent comme une bête de foire.
Comment ça ?
Faire Erasmus alors qu’on a quelqu’un qui nous attend à la maison ?
Ça s’appelle profiter, ça ? (Calme toi Fritz, voilà, bois ton schnaps). Je trouve ça idiot de briser une belle histoire pour 5 ou 6 mois d’absence, alors qu’elle a encore du potentiel, tout ça pour déguster du Made in Germany.
Je ne suis pas une touriste sexuelle, ni une obsédée (coucou, Josée !), et je peux me passer d’échanges charnels pendant un moment.
Pour ce qui est de l’amour, le vrai avec un grand A, évidemment que c’est pas facile.
Mais c’est en te demandant « Pourquoi je ne romps pas tout simplement pas pour partir 6 mois le coeur léger » que tu découvres que :
1. il a beaucoup d’argent, et/ou 2. tu l’aimes (sache que si ta réponse est la 1, la CAF c’est pareil, mais ça salit moins de caleçons).
Et me laisser partir tout en me promettant qu’il sera là quand je rentrerai, c’est une preuve d’amour qu’on reçoit pas tous les 6 du mois (pas comme la CAF, donc).
Et c’est en arrivant à être sereine (« C’est qui cette traînée vulgaire qui te sourit sur la photo là ? Hein ? ») et pas célibataire pour un sou, que j’en suis arrivée à la conclusion que je l’aimais vraiment beaucoup, et que si on arrive à surmonter une épreuve comme ça, alors je ne vois plus l’intérêt de s’embrouiller dans les petits clashs du quotidien.
Je suis devenue sympa, je vous dis.
À lire aussi : J’étais dans une relation à distance, et tout est bien qui finit bien — Témoignage (mis à jour)
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