Le 27 juillet 2021
Pendant plus de 10 ans, j’ai travaillé pour diverses sociétés de promotion immobilière d’envergure nationale. J’étais responsable de développement foncier et j’en étais très fière… Jusqu’à ce jour, où les années passées à encaisser mille et une petites remarques sexistes du quotidien m’ont sauté aux yeux.
Mes premiers pas dans la vie active
Fraichement diplômée, curieuse d’apprendre et impatiente de croiser le fer avec la concurrence, je n’ai eu aucune difficulté à entrer dans la vie active. La crise immobilière de 2008 était passée par là ; sans même avoir eu à envoyer un CV, j’ai tout de suite décroché un CDI chez un promoteur coté en bourse — bien payé, de surcroît.
Je me trouvais incroyablement chanceuse et cela suffisait à me satisfaire.
Occupée à savourer cette première victoire, je n’ai pas compris tout de suite que mon genre avait pesé dans la balance lors de mon recrutement. C’est à l’issue de ma période d’essai que mon boss m’a glissé, l’air de rien, à la machine à café, qu’il m’avait choisie pour mon bagage universitaire, certes, mais aussi parce que j’étais une femme.
Dans ce milieu, le genre ne passe pas inaperçu
Il a dû me voir tiquer, parce qu’il s’est immédiatement senti obligé de se justifier en disant que je présentais et m’exprimais bien mais surtout que « ça changeait » d’avoir une femme dans son équipe de développeurs.
J’avais 24 ans et un plan de carrière tout tracé, alors j’ai souri. J’ai souri, oui, j’ai fait le choix de faire de cette « discrimination positive » un atout pour plonger tête la première dans un milieu qui se disait « soucieux de la parité » — la formule n’est pas de moi, mais des responsables des ressources humaines que j’ai rencontrées au sein des deux sociétés pour lesquelles j’ai travaillé.
Les chiffres ne pouvaient que leur donner raison : dans les deux agences au sein desquelles j’ai évolué, plus de 50% des effectifs étaient des femmes. Il y avait bien de quoi s’auto-congratuler… à condition de fermer les yeux sur les disparités criantes en matière de parité à l’échelle des différents services opérationnels.
Les hôtesses d’accueil, les secrétaires, assistantes de direction, commerciales, responsables marketing ou service client étaient toutes des femmes, à quelques rares exceptions près. Mais je n’ai jamais croisé qu’une conductrice de travaux et deux responsables de développement, dont moi.
Au début, je crois que c’est un atout
Être une femme dans une fonction majoritairement masculine permet de marquer les esprits. Pour moi, cela a été indéniable, et le principal avantage de la chose. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai entendu, en parlant de moi : « Ah oui, c’est la fille de chez… » — et tant pis pour le patronyme.
Face aux propriétaires des terrains que j’étais chargée d’acheter pour le compte des promoteurs, je n’avais pas de mal à me différencier et à m’attirer leur sympathie. J’étais « La dame de chez… » et c’était toujours mieux que « Tous les messieurs qu’on a rencontrés ». Je me faisais couvrir de kilos de légumes du potager par tous ces sympathiques vendeurs de terrain… « Parce qu’une femme cuisine », bien sûr !
L’autre avantage, surtout pour mes employeurs, se situait au niveau du porte-monnaie… et je ne parle pas seulement du salaire.
Les économies de mes employeurs
Certes, j’étais payée environ 20 % moins que mes homologues masculins, à objectifs égaux et formation universitaire supérieure. Mais surtout, je leur faisais réaliser de sacrées économies sur les frais de bouche. Pourquoi ?
Parce que la promotion immobilière n’échappe pas à la règle qui veut que certaines affaires se nouent autour d’une bonne table. Et je dois avouer que si j’ai souvent participé à ce type de déjeuners d’affaires, c’est rarement moi qui ai payé l’addition. Une aubaine pour mes employeurs : mes interlocuteurs invitaient, sous couvert de « galanterie ».
Avec le recul, je réalise qu’au fil des années, j’étais devenue celle qu’on envoyait rencontrer le notaire bougon, le propriétaire désabusé, les opposants à un projet immobilier ou l’architecte qu’on avait oublié de payer, partant du principe qu’il leur serait plus difficile d’envoyer paître « La fille de chez… ».
Des remarques sexistes assumées
Des années ont passé avant que je n’ouvre les yeux sur le fait que plus ça allait, et plus mon sourire se crispait, comme usé par les petites remarques sexistes du quotidien dont j’étais la cible.
Il y a eu ce jour où j’ai souri quand mon boss m’a suggéré de finir ma journée plus tôt pour aller me faire épiler en vue d’un rendez-vous prévu le lendemain.
Ce jour où j’ai encore souri quand, arrivé en retard à une réunion, il a claironné à mon attention « Chérie, papa est là » devant quatre paires d’yeux médusés.
Et puis il y a eu le sourire que j’ai punaisé sur mon visage le jour où mon boss a suggéré de m’envoyer négocier un point délicat avec une administration en mini-jupe, parce que « Ça passera mieux ».
Celui que j’ai esquissé quand, très sérieux, il m’a invité à ne pas me mettre en couple trop vite et de profiter de mon célibat pour multiplier les rencontres dans certaines catégories socio-professionnelles parce que « Ça peut être bon pour le business ».
Jusqu’à la goutte d’eau qui a fait déborder le vase et vidé tout mon stock de sourires.
J’ai pris conscience qu’il y avait un problème
Un genou qui se grippe et me voilà en arrêt maladie.
Après quelques semaines de soins et de repos, je retrouve le bureau que je partageais alors avec deux collègues masculins. Moins d’une heure plus tard, j’entends mon boss remonter le couloir.
Il a l’air de bonne humeur et ne s’attendant pas à me trouver là, il lance à la cantonade : « Allez, les gars, on se fait un petit hymne du développement ? Des nichons, des gros nichons et plein de terrains ! »
Avec le recul, je me dis que j’aurais pu réagir, aller à la confrontation ou pourquoi pas essayer de le prendre une fois de plus à la rigolade. Mais je ne l’ai pas fait, parce que je n’ai pas pu.
À la place, j’ai pris rendez-vous avec la RH et j’ai négocié mon départ avec elle.
La morale de l’histoire… ou presque
J’aurais pu retrouver un poste salarié dans le même secteur, mais je gardais au fond de moi une certaine appréhension.
Celle de vivre la même chose dans une autre boîte. De devoir en faire trois fois plus que les autres, parce que certaines remarques régulières te font bien sentir que tu n’es pas légitime. L’appréhension de vivre à nouveau le sexisme ambiant…
Mais malgré tout, j’adorais mon secteur. Je voulais continuer à bosser dans ce domaine que j’adore, sans avoir à gérer toutes ces situations qui me mettaient mal à l’aise.
Alors, encouragée par mon mari (un ancien concurrent, mais ça, c’est une autre histoire), j’ai d’abord créé une structure me permettant de continuer à faire du développement foncier pour les promoteurs immobiliers en freelance.
Puis, à force d’être contactés par des particuliers un peu perdus dans leurs problématiques foncières et d’urbanisme, nous nous sommes associés pour relever un nouveau défi : informer et accompagner les particuliers dans tous leurs projets d’achat et de vente de terrains en France au travers de notre site Internet.
Et vous voulez savoir ce qui me fait le plus sourire désormais ?
Quand je suis sollicitée par des vendeurs de terrains aux prises avec des responsables de développement foncier. La boucle est bouclée ! Et maintenant que je ne travaille plus avec ces promoteurs, je peux enfin partager mon histoire.
En janvier 2019, le cabinet KPMG a publié un rapport sur la parité dans l’industrie immobilière, qui est disponible en téléchargement ici.
Cette étude révèle que 67% des participants et participantes ont le sentiment d’appartenir à une équipe mixte. Mieux : 60% des personnes interrogées ont déclaré constater une amélioration constante de la parité dans le milieu de l’immobilier depuis le début de leur carrière.
Mais sur la question de la progression de carrière et de l’ancienneté à un poste de direction, des questions se posent. Si les femmes accèdent désormais à davantage de postes de décisionnaires dans cette branche, l’étude révèle qu’elles y accèdent moins vite que leurs homologues masculins.
Une conclusion partagée par les résultats d’une étude réalisées par le cabinet Korn Ferry baptisée Women CEO’s Speak en 2017 (dont les conclusions en anglais sont régulièrement enrichies d’articles sur leur site Internet) qui estimait qu’il fallait en moyenne 4 ans de plus à une femme qu’à un homme pour accéder à un poste de direction.
Autre fait intéressant mis en évidence par l’étude KPMG : parmi les personnes interrogées, toutes celles occupant un poste de direction depuis plus de 20 ans étaient des hommes.
Reste la question de l’égalité salariale dans les faits. Cette fois, c’est vers l’observatoire des inégalités qu’il faut se tourner pour obtenir quelques chiffres généraux, faute d’analyse spécifique au secteur de l’immobilier. Et la conclusion est sans appel.
À diplôme égal, et tous niveaux d’études confondus, les hommes perçoivent en moyenne un salaire de plus d’un tiers supérieur à celui des femmes (Observatoire des inégalités, 2018). La faute au temps partiel me direz-vous ? Oui mais pas que ! À temps de travail égal, les femmes gagnent en moyenne 23 % de moins que les hommes.
À lire aussi : Le sexisme au travail n’est pas un mythe, la preuve
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Les Commentaires
Bravo pour ton projet, je te souhaite du succès, et du bonheur !