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De l'art d'échouer...

L’entretien d’embauche – La petite vie (pro) d’Almira

L’entretien d’embauche, une étape forcément indispensable pour sortir du chômage. Almira Gulsh vous raconte celui qu’elle a vécu, plein de poésie (non) et de respect (non plus).

S’il y a un métier que je n’aurais pas pu faire, c’est bien celui de commercial. Refourger à des clients sans le sou des produits dont ils n’ont pas besoin, je pense que j’en suis parfaitement incapable. Si j’étais commerciale, je ne pourrais guère compter sur mes commissions. Pourtant, depuis que je cherche du boulot, c’est ce que je suis devenue. Et le produit foireux que je dois vendre à tout prix sous peine de crever de faim, c’est moi. Je suis commerciale en Almira Gulsh.

Or, s’il est parfois facile de vanter le sens de l’humour, la créativité, l’imagination débordante et la bonne humeur de mon produit, je dois parfois relever de sacrés défis pour assurer ma survie.

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Alors maintenant, dansez mademoiselle Gulsh !

Le produit du jour : la parfaite secrétaire comptable

Aujourd’hui, par exemple, je dois vendre la parfaite secrétaire comptable. Autant essayer de vendre un lecteur mp3 à un sourd. Ceci dit, c’est pas comme si j’avais le choix… Je me dois donc de m’acquitter de ma tâche avec le plus de professionnalisme possible : après tout, sur un malentendu, ça peut marcher. Et comme si l’épreuve n’était pas déjà assez ardue, je dois exécuter mon petit show devant un jury digne du plus spectaculaire des télécrochets. Quatre personnages, trois hommes et une femme, aux mines plus patibulaires les unes que les autres, alignés bien droits devant une chaise vide. Il ne leur manque plus qu’un énorme buzzer à chacun, et on s’y croirait. À peine le temps de poser mon postérieur effrayé sur le siège austère qui lui est destiné, et voilà que commence l’épreuve de la questionnette.

« Avez-vous des connaissances en comptabilité analytique ? », « Maîtrisez-vous les logiciels de tableur sur le bout des doigts ? », « Êtes-vous à l’aise avec les chiffres ? », « Pouvez-vous dire de vous que vous êtes rigoureuse et carrée ? », « Vous sentez-vous capable de participer à la gestion d’un budget de plusieurs centaines de milliers d’euros ? »… Ça m’a rappelé quelques souvenirs d’enfance : « Est-ce que tu as rangé ta chambre ? », « Est ce que tu as révisé tes maths ? », « Il manque 50 francs dans mon porte-monnaie, tu les aurais pas vus par hasard ? ».

Juste un petit jeu avec la vérité. Que celui ou celle qui n’y a jamais joué me jette la première pierre. Oui, mentir, c’est mal. Mais ça passe mieux avec des cheveux soigneusement lissés, une chemise impeccable et un sourire de première communiante. Par contre, ça ne permet pas d’éviter certains pièges. C’est que certains clients potentiels sont rusés. Il veulent pousser le commercial jusque dans ses derniers retranchements

. Le presser comme un citron pour voir ce qu’il en reste, tester ses limites, pour voir s’il est capable de poser ses tripes sur la table.

« Je vois sur votre CV que vous êtes célibataire… »

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Cette fois, le coup est venu de ce type ventripotent à la chemise en flanelle. Je n’ai pas bien compris qui il était : quand il s’est présenté, j’étais trop occupée à essayer de ne pas vomir sur mes chaussures. Tout ce que je sais, c’est que pour aujourd’hui, mon sort semble être entre ses grosses mains velues. Alors quand il s’est accoudé à son bureau, qu’il a posé son menton sur ses poings et qu’il m’a servi un sourire de requin affamé, j’ai senti comme une décharge électrique me parcourir la colonne vertébrale. Il n’avait même pas encore ouvert la bouche que j’avais déjà mobilisé la quasi totalité de mes forces vives juste pour donner le change. Pourtant, j’étais loin d’être au bout de mes surprises.

– « Mademoiselle Gulsh », me dit-il alors que son regard commençait à se perdre sous ma pomme d’Adam, « je vois sur votre CV que vous êtes célibataire. Est-ce que vous avez quelqu’un dans votre vie ? »

De deux choses l’une. Soit ce type essaie de me draguer en plein entretien d’embauche (ce qui n’est pas totalement inenvisageable vu que ça fait deux bonnes minutes qu’il a cessé de regarder mon visage pour se concentrer sur une autre partie de mon anatomie), soit il s’engage sur un terrain vraiment très glissant. Autant en avoir le coeur net.

– Excusez-moi, mais je ne comprends pas votre question…

Il soupire et lève les yeux au ciel. Je l’entend penser d’ici « Mais qu’elle est con celle-là ». Mais il continue:

Vous êtes jeune, vous n’avez pas d’enfants. Nous voulons savoir si vous projetez d’en avoir un dans un avenir proche. En plus, l’emploi que nous vous proposons est un mi-temps et au SMIC. Nous voulons être sûrs que vous avez quelqu’un dans votre vie qui vous aidera à compléter vos revenus. Parce que si vous trouvez un emploi mieux rémunéré ou que vous décidez d’avoir un enfant… C’est important que nous sachions, vous comprenez ?

Ah ça non, je ne comprends pas. J’ai dû tomber dans une faille spatio-temporelle. Peut-être que nous sommes en 1902. Peut-être qu’il va me demander une autorisation dûment signée de mon mari – ou le cas échéant de mon paternel – pour s’assurer que j’ai bien le droit de travailler. Peut-être qu’il va vouloir que je lui fournisse les trois dernières fiches de paie de mon tuteur légal. Il va probablement vouloir le recevoir lui aussi, pour s’assurer que je ne suis pas une de ces jeunes rebelles qui outrepassent leurs fonctions de femelle en voulant travailler.

Il voudra ensuite certainement connaître les moyens de contraception que j’utilise, voire me donner deux-trois petits conseils. Du genre « Vous savez, dans le monde du travail, une hystérectomie chez les nullipares, c’est toujours très bien vu ». Peut-être même qu’il me filera les coordonnées d’un médecin compatissant qui acceptera de m’avorter à coups d’aiguilles à tricoter si d’aventure je tombe enceinte. Je crois rêver debout : c’est complètement illégal de poser ce genre de question lors d’un entretien d’embauche. Et c’est sordide de la poser quand il s’agit d’un CDD à 500€ par mois… Mais ça n’a pas l’air de l’affoler, il tambourine des doigts sur le bureau, impatient de connaître ma réponse. Les autres ne mouftent pas. Faut croire que ce qui se passe dans mon lit doit être un élément primordial pour déceler si, oui ou non, je ferais une bonne secrétaire comptable.

500€ pour ma fierté, c’est pas cher payé

– Alors, mademoiselle ?

C’est qu’il tient à sa réponse, le bougre. Et il a dû sentir que je tenais aussi à réussir l’entretien et à obtenir le poste. Il voit dans mes yeux que je suis morte de faim, qu’il est ma dernière chance. Sauf que toute désespérée que je suis, j’ai ma fierté. Plus que ça, même : j’ai ma dignité. Et je ne me sens pas prête à la vendre, que ce soit pour 500€ ou pour 5 millions. Je me redresse donc, me racle la gorge, et fixe alors l’impudent dans les yeux avant de lui répondre avec une fermeté qui me surprend moi-même :

– Excusez-moi, mais je ne répondrai pas à cette question. Cela relève de ma vie privée et ne vous regarde absolument pas. Ce n’est pas avec ces informations que vous saurez si je serai la plus apte à répondre aux missions que vous me confierez.

Enfin, s’ils me recrutent. Parce qu’à voir la gueule qu’ils tirent, surtout celle du gros type en chemise en flanelle, je pense qu’ils ne s’attendaient pas à ce que la petite blonde tétanisée leur réponde sur ce ton. Je crois cependant remarquer que la seule femme de mon impitoyable jury m’envoie un clin d’oeil.

– « Très bien, je vois », marmonne la chemise en flanelle. « Avez-vous d’autres questions ? »

J’ai surtout envie d’abréger mes souffrances, et de quitter cet endroit au plus vite. Alors non, je n’ai pas d’autres questions.

– Alors ce sera tout mademoiselle Gulsh. Nous vous recontacterons. Merci, au revoir.

Je n’aurai jamais plus de nouvelles de cette boîte. Je m’étais grillée en l’ouvrant. Mais franchement, si c’était à refaire, je recommencerais exactement pareil. Aucun regret, point final, on passe à autre chose. Jusqu’à ce que je reçoive un appel de la femme au clin d’oeil. Je suis prise. Est-ce que je peux commencer lundi prochain ? Évidemment que je peux !


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Les Commentaires

19
Avatar de elisabellissima
2 septembre 2015 à 10h09
elisabellissima
Waaaa mais les GENS quoi! Bien répondu en tous cas!
perso, ayant toujours passé des entretiens pour des grandes boîtes, je peux dire que j'ai plutôt été vernie. mais je vais quand même parler de deux expériences qui m'ont marquées.
La première c'est quand j'ai passé des tests dans un cabinet de recrutement après avoir postulé pour un VIE aux Etats Unis. J'étais dans la boîte depuis un an, mais je devais quand même me farcir 4h de tests de maths/études de cas/ personnalité. Après, je devais avoir un débriefing. Déjà, en entrant dans la salle j'ai vu que ma tronche lui revenait pas au type. On a débriefé sur ses tests, et il m'a dit cette phrase merveilleuse:
-je vois que vous êtes contestataire
-non je ne pense pas
-AH SI VOUS VOYEZ
*zen*
Le type m'a expliqué que j'étais trop sensible pour quitter ma maison et mon confort pendant 18 mois et que ça allait pas être possible, et que j'avais un caractère qui faisait que je refusais la hiérarchie, et que bref ça allait pas le faire.
Du coup je suis allée pleurer chez mon boss, je le voulais vraiment ce VIE! Mon boss a été voir les RH et dit que si, c'était moi qu'on voulait, et que ce qu'avait dit le cabinet était un ramassis de conneries. Du coup j'ai passé les entretiens RH au sein de ma boîte, et ça a été un grand OUI. Et ce furent les plus beaux mois de ma vie, et je ne voulais pas rentrer (et BIM)
Autre anecdote quand j'ai passé les entretiens pour un gros cabinet de conseil (un des big 4), j'avais passé les 4 premières étapes, et il ne me restait que le directeur associé. J'arrive, toute mimi, toute souriante: un mur était en face de moi. le type rentrait de vacances, et ça le faisait profondément chier d'être là. Première question:
- et sinon, vous êtes là grâce à qui?
- euh... comment ça?
- ouais, qui vous connaissez dans la boîte?
-personne... j'avais juste postulé sur votre site
- ah... étrange.
-...
- bon, du coup vous vous y connaissez en droit fiscal?
je précise que c'était pour un poste qui n'avait RIEN A VOIR avec le droit fiscal
- j'ai fait un peu de droit à l'école oui, mais je peux apprendre
- ah dommage, on vous rappellera
Je savais que c'était foutu, j'ai détesté et le type m'a fait me sentir comme une pitoyable bouse. Avec le recul, je me dis HEUREUSEMENT que je n'y suis pas allée, l'ambiance requin, très peu pour moi!
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