« Maman t’avait dit de ne pas rentrer tard la nuit. De te faire raccompagner s’il est plus de minuit. Ou au moins, je ne sais pas, tu aurais pu te payer un taxi. Et qu’est-ce qui t’a pris de t’habiller si sexy. Y en a un dans la rue qui va croire que c’est pour lui. »
À vous aussi, votre mère, votre sœur, votre ami(e), vous l’avais dit ? Mais n’aurons-nous jamais le droit de vivre, de sortir, de s’amuser, sans se sentir en danger pour sa sécurité ? D’après l’organisation Stand Up, luttant contre le harcèlement de rue, 80% de femmes auraient déjà été victimes d’outrage sexiste dans un lieu public en France.
Madmoizelle est partie à la rencontre de l’autrice de ces mots, Cécile Cournelle aka Célen, la slameuse qui a enfin décidé de faire des femmes lambda et de leur appréhension de rentrer seule la nuit, des « héroïnes super-modernes ».
L’interview : « Je voulais qu’on comprenne par un point de vue interne ce qu’est le harcèlement de rue »
Madmoizelle : Pour quelles raisons avez-vous écrit ce slam sur le harcèlement de rue ?
Célen : Je suis comédienne. Alors sans surprise, durant le premier confinement, toutes mes activités professionnelles se sont arrêtées. Je réfléchissais à trouver quelque chose que je pourrais défendre directement sur scène — lorsqu’elles seraient réouvertes — sans passer par tout le circuit classique : trouver de l’argent, un manager etc. J’ai alors écrit ce slam, même si c’était tout nouveau pour moi. Je joue du piano sur mon temps libre, mais je ne suis ni musicienne ni chanteuse. Dès que le confinement a été levé, je suis allée dire mon texte lors de scènes ouvertes dans des bars. Et un compositeur a été tenté par cette aventure : Simon Lauris.
Mais pour tout vous avouer, ce refrain « maman t’avait dit », je l’avais écrit un an auparavant, seulement pour moi. Car justement, j’avais peur de rentrer seule le soir… Jamais je n’avais imaginé le faire écouter à quiconque, parce que j’avais honte de ressentir cela. Et un jour, autour d’un café avec ma cousine où nous refaisions le monde, je lui ai lu mon refrain. Et elle m’a dit que ces mots lui parlaient, et qu’ils parleraient certainement à beaucoup d’autres femmes. Alors, j’ai écrit les couplets et tout s’est enchaîné. Finalement, je crois sincèrement que cela peut être cathartique pour moi et pour d’autres…. On n’est pas seule.
Puis, c’est en confrontant mes textes au public, que j’ai réalisé que je devais aller plus loin, porter plus haut mon projet. J’ai eu des réactions de certains hommes, scandalisés, qui disaient ignorer que l’on ressente et qu’on vive tout cela dans la rue. Alors, oui, je voulais que ce texte permette à des personnes qui ne vivent pas le harcèlement de rue, de comprendre « de l’intérieur » ce que c’est.
Madmoizelle : Pourquoi avoir choisi de mettre en images vos mots dans cette ambiance virtuelle, cette simulation de jeux vidéos ?
Célen : Avant tout, je voulais dédramatiser mon texte grâce à un clip fun et original, réalisé avec l’aide d’Olivier Tresson mon chef opérateur, Adrien Maurizi, aux commandes des effets spéciaux et d’une amie, Helena Eden.
Mais au-delà du fun, je trouvais cela paradoxalement parlant, dans notre société envahie par le virtuel, que l’univers du jeu vidéo prenne un sens de réalité aussi… Je voulais matérialiser quelque chose d’héroïque également… Chaque femme est forcée de jouer à un moment donné cette partie de jeu vidéo ! Oui, je voulais que l’on voie les femmes comme des héroïnes modernes, des guerrières 2.0, à l’assaut de leur mission : rentrer saine et sauve.
Enfin, une nouvelle fois, réaliser mon clip tel un jeu vidéo est un moyen pour moi d’exprimer ce point de vue interne qui me tient à cœur. Par exemple, il est évident que tous les hommes ne sont pas des agresseurs, mais comme je ne sais pas lequel en est un, ils deviennent tous pour moi une menace potentielle. Tel un jeu vidéo qui impose un cadre bien défini duquel on ne peut pas s’échapper comme on le souhaite, nous sommes définitivement bloquées dans un système patriarcal où toutes nos actions sont conditionnées par la peur d’être agressée.
Madmoizelle : Alerte Spoiler ! Pouvez-nous expliquer la fin ? Peut-on l’interpréter comme une illustration de notre paranoïa vis-à-vis du harcèlement de rue ?
Célen : Mon texte et mon clip racontent une histoire aussi personnelle qu’universelle. Cela débute avec les interrogations sur la manière de s’habiller, de se préparer avant de sortir le soir. Après, il y a les mecs relous que tu croises, souvent pas si méchants que cela, mais qui peuvent t’effrayer ou déclencher une myriade d’émotions. Il y a encore toutes les femmes qu’on a déjà croisées, avec lesquelles on ne s’est jamais rien dit alors que l’on partageait au même moment une anxiété similaire… Et puis… L’histoire de ce mec qui vous suit longuement et qui finalement vous dépasse à la fin. Sans faire le moindre mal. C’est un évènement qui m’est personnellement arrivé. À tant d’autres femmes certainement. Et c’est épuisant, cette psychose anxiogène dans laquelle on baigne.
Mais on impose à la plupart des femmes un rapport au monde de défiance : « Ne rentre pas trop tard le soir » , « Ne t’habille pas comme ça », « Ne bois pas trop »… Le « Maman t’avait dit » « du refrain, ça parle aussi de ça : l’imaginaire qu’on se transmet entre nous, comme celui du violeur qui rôde dans les rues sombres la nuit. Même si ces agressions existent malheureusement bel et bien, 9 fois sur 10, l’agresseur est connu de la victime…
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Image en Une : © Capture d’écran Célen – Youtube
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