Janvier 2024. Après 3 jours de navigation depuis le Sénégal, j’arrive à Mindelo, unique port de l’archipel du Cap Vert, au large de l’Afrique. Depuis près de sept mois, je voyage en voilier, et là, je sais que cette étape est mythique, car ce port est souvent la dernière étape avant une traversée de l’Atlantique ou « transatlantique ». Cette traversée peut durer jusqu’à trois, voire quatre semaines. Pas rien quand on est loin des côtes et qu’aucune fuite n’est possible !
Se retrouver ici est particulièrement émouvant pour moi car deux mois plus tôt, nous avions tenté de rejoindre l’archipel avec Styx, un bateau sur lequel je voyageais depuis six mois. Malheureusement, nous avons eu un accident au large rendant le voilier non-navigable et nous sommes rentrées aux Canaries pour réparer le voilier. La capitaine est restée sur place pour s’occuper des travaux et les trois autres équipières et moi sommes devenues « bateau-stoppeuses », ou backpackeuses comme on dit sur les pontons, c’est-à-dire des personnes en recherche d’embarcation pour continuer leur voyage.
De mon côté, ça a été plutôt facile : depuis plusieurs mois, je sortais avec un navigateur solitaire qui m’a accueilli à bord. Pour les autres, il a fallu trouver des plans, ce qui n’est pas forcément chose aisée. Il y a plein de gens cherchent à faire une transatlantique, mais pas tant de bateaux qui accueillent de nouvelles personnes à bord (les équipages sont souvent « bouclés » à ce stade).
Sur un bateau, les bateaux-stoppeurs sont souvent recruté·es pour faire équipier·e bénévole. On leur demande de participer aux manœuvres du bateau, aux tâches de la vie quotidienne (cuisine, ménage, bricolage) ainsi que de tenir des « quarts », c’est-à-dire faire la veille plusieurs heures par jour pour réagir si le moindre souci apparaît (changement soudain de météo, risque de collision avec un autre bateau…).
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Caro, 50 ans, backpackeuse surprise
C’est ainsi que moins d’une heure après mon arrivée au Cap Vert, je croise au bar de la marina Caro, 50 ans, ancienne coéquipière de Styx. Elle est arrivée dix jours plus tôt, sur le bateau d’un couple rencontré sur les pontons aux Canaries et qui l’a déposé sur Sal, une autre île de l’archipel. Dès le lendemain de son arrivée, elle a pris le ferry pour rejoindre Mindelo car elle sait que tout se joue ici pour trouver une transat’.
« Avec l’accident de Styx, mon année de voyage que je devais passer sur un seul et même bateau a changé du tout au tout et tout est devenu aventure : je ne sais pas de quoi demain sera fait, où je vais dormir, qui je vais rencontrer ce qui est est très exaltant. Ça me rappelle des voyages de ma jeunesse. »
Alors elle se lance et « fait les pontons », c’est-à-dire qu’elle se promène dans le port et demande à tous ceux qu’elle croise s’ils cherchent des équipiers. Déterminée, elle a même un plan où elle note les bateaux qu’elle a abordés, mais à force de parler à tout le monde, elle demande parfois plusieurs fois aux mêmes s’ils cherchent un équipage.
« Au début, c’était dur d’oser aller vers les gens, d’être en demande, d’autant plus que pendant plusieurs jours, je n’ai pris que des retours négatifs. Après, ce n’est pas difficile comme du porte à porte non plus, les gens n’envoient pas balader, ils sont sympas genre ‘désolé on ne prend personne ou on a déjà trouvé’, et ils essaient de filer des plans quand ils en ont. »
Finalement, c’est au bar de la marina qu’elle rencontre Laurène et Ashraf, un couple qui cherche un·e équipier·e suite au désistement en dernière minute d’un de leur proche. Ils accrochent bien mais ne lui disent pas oui d’office pour la transat, préférant faire un essai en partant deux jours avec elle en navigation pour voir si ça colle entre eux.
« Ça les a rassurés sur qui j’étais et sur mes capacités à naviguer, et moi aussi ça m’a rassurée ! Ce n’est pas évident de partir avec des gens qu’on ne connaît pas et faut faire gaffe à la sécurité du bateau, s’il est bien équipé côté survie, mais aussi au capitaine, comment il est, comment il gère les situations, s’il boit ou pas et comment il a agit avec ses précédents équipages. »
Red flags à gogo à Mindelo
Ainsi, quelques heures à peine après mon arrivée, Caro me présente à d’autres backpackers qui m’expliquent qu’ils se partagent les avis sur les différents capitaines. Beaucoup de bateaux-stoppeurs sont arrivés à Mindelo sur d’autres voiliers, et certains ont débarqué ici car ça s’est très mal passé.
J’entends que tel capitaine peut sembler avenant, mais que son radeau de survie est périmé depuis plus de dix ans. C’est pourtant un équipement obligatoire en haute mer ! Une bateau-stoppeuse qu’il avait recruté sur Internet a annulé son voyage avec lui pour cette raison.
Quelques jours plus tard, il m’annonce tout souriant partir direction la Martinique en embarquant un couple de Cap-verdiens pour la coquette somme de 1 500 €. C’est vrai que devant la marina, on se fait régulièrement aborder pour embarquer contre de belles sommes des personnes, ou de la marchandise illégale…
Chaque expérience est différente, et s’il peut être gratuit d’embarquer sur un voilier (notamment sur un convoyage), il est le plus souvent demandé de participer à la caisse de bord, comprenez les frais de nourriture, essence et ports de départ et d’arrivée (entre 10 et 20€/jour environ). Certains demandent également un tarif “location de cabine” en plus, allant selon les témoignages de 5 à 25€ la nuit. Enfin, des capitaines peu scrupuleux demandent directement un forfait allant parfois jusqu’à 2000€ cash pour embarquer avec eux ]
Un autre capitaine qui navigue en solo cherche des équipiers pour sa transat, mais il a été odieux, puis a viré un couple du jour au lendemain aux Canaries. Ici, il a fait des avances à une femme qui cherchait une embarcation, lui parlant de sa poitrine lors de son « entretien » pour lui proposer une transat. Lui ne trouvera personne.
Quand à la femme en question, elle m’annonce après deux semaines abandonner le projet de transat pour le moment et rentrer dans son pays d’origine. Les recherches sont parfois démoralisantes, surtout quand les jours passent, que certains bateaux-stoppeurs trouvent des plans, partent en transat tandis que d’autres restent sur place.
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Marie, 29 ans : « Être à deux a changé ma manière de voyager »
Quand je rencontre Marie, ça fait déjà deux semaines qu’elle se trouve ici avec Léo, son copain.
« À deux on se soutient, c’est important quand on pense qu’on restera coincés ici, qu’on ne trouvera rien. Personnellement, j’ai juste envie de faire la transatlantique, après je devais rentrer en France travailler, donc il y avait en plus un timing un peu serré pour trouver une embarcation. »
Contrairement à d’autres, Marie n’avait aucune expérience ou presque de navigation avant de se lancer et sa première navigation, des Canaries jusqu’à Mindelo avec une bande d’amis qui voyage en bateau l’a pour le moins étonné.
« En pensant à l’océan, je rêvais de grands espaces, de l’eau à perte de vue, rien d’autre que le ciel et la mer… La réalité c’est qu’on dormait tous les deux sur la banquette du carré [ndlr : l’espace salon du bateau], donc pas d’intimité et du monde autour tout le temps. »
Loin d’être découragée, elle qui vit à l’année dans un camion rêve pour la transat d’embarquer avec une famille pour observer la question du logement alternatif. Léo, qui souhaite s’orienter vers une carrière de marin, aimerait lui pour la transat embarquer sur un « convoyage », c’est-à-dire un voilier que des professionnels déplacent pour être livré à un client.
Après 19 jours à Mindelo, c’est finalement sur un catamaran de luxe qui doit être convoyé à Saint-Martin qu’ils embarquent, apprenant qu’ils ont une place le matin même du départ.
Aujourd’hui, elle envisage de continuer le bateau-stop, mais en solo. Après tout, il y a autant de profils de backpackers que de voiliers qui naviguent.
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