Il ne faut jamais se fier à sa première impression. Quand j’ai lu le synopsis du film Énorme, je dois bien vous avouer que je n’étais pas spécialement emballée, voire déjà franchement agacée par ce que je pensais découvrir pendant une heure quarante…
Ça lui prend d’un coup à 40 ans : Frédéric veut un bébé, Claire elle n’en a jamais voulu et ils étaient bien d’accord là-dessus. Il commet l’impardonnable et lui fait un enfant dans le dos. Claire se transforme en baleine et Frédéric devient gnangnan.
Oui, on est d’accord, ça n’a pas l’air de casser trois pattes à un canard (pauvre canard). En lisant le synopsis et en regardant ensuite la bande-annonce, tous mes signaux étaient au rouge : allais-je vois un film sexiste au personnage principal toxique qui ne respecte pas le consentement de sa femme et qui se comporte comme la pire des personnes ? Qu’est-ce qui pourrait bien me surprendre et ne pas me donner envie de partir en courant ? Allais-je quitter la séance en plein milieu ?
Mais je ne peux pas vous le cacher, j’ai été agréablement surprise.
Cet article comporte des spoilers.
Énorme, un film qui perturbe les clichés du couple
Dès le début du film, on comprend rapidement que les rôles types du couple hétéro classique sont inversés. La carrière internationale de pianiste de Claire est sous les feux des projecteurs, elle voyage partout avec son mari, a tous les éloges, et ne semble subir aucune charge mentale et émotionnelle.
D’ailleurs, Frédéric est extrêmement (trop) présent pour elle, avec son comportement toxique et malaisant. Il gère tout, tout le temps, allant du check-in dans les chambres d’hôtel, à l’organisation de sa carrière, jusqu’à la gestion du stress de la concertiste en lui prodiguant des cunnilingus sur demande à chaque fois qu’elle a le trac.
Cette « inversion des genres » est poussée à l’extrême, au point que Claire, qui ne s’implique dans rien d’autre que dans sa carrière de pianiste, laisse même son mari répondre aux questions qui lui sont personnellement adressées, la rendant presque transparente dès qu’elle ne se trouve pas derrière un piano.
Claire brille dans sa carrière, et Frédéric fait tout le reste. Au point même que c’est lui qui a un réveil sur son téléphone pour lui rappeler de prendre sa pilule contraceptive, pilule qu’il conserve et qui lui donne à même la bouche à heure précise tous les jours.
Énorme, un film sur le poids de la grossesse
Le couple semblait d’accord sur le fait de ne pas avoir d’enfant, n’en ayant ni le temps ni l’envie. Sauf qu’un jour, Frédéric change d’avis et décide de mettre Claire enceinte, sans son consentement. Il développe toute une stratégie pour que la grossesse se lance, et, une fois que c’est fait, met tout en œuvre pour que sa femme ne réalise pas ce qui lui arrive jusqu’à ce que le délai pour avorter ne soit dépassé. Frédéric lui fait croire que cette grossesse est un accident, rien de plus. Hyper creepy, on est d’accord.
Une fois que la grossesse est établie, Frédéric se transforme en une espèce de mamoune
, dans une mise en scène réellement poussée à l’extrême, allant de l’achat du matériel de puériculture jusqu’au fait qu’il assiste seul aux cours sur l’accouchement. Claire n’est absolument pas impliquée dans sa grossesse non désirée, elle flotte, et ne s’intéresse qu’à ses concerts et sa musique.
Elle passe l’intégralité de sa grossesse à ne pas s’intéresser une seule seconde à ce qui lui arrive. Elle n’a pas eu le choix de tomber enceinte, et n’apprend qu’à la fin que ce n’était pas un accident, mais bien un piège de Frédéric.
Ce qui ne devrait pas être drôle l’est malgré tout : Frédéric fait même une couvade, connait toutes les sages-femmes de la maternité par leur prénom à force de les côtoyer, leur tape la bise et sympathise. Et Claire ? Claire s’en contrefiche, et n’attend qu’une seule chose : accoucher pour être enfin débarrassée du fardeau qu’elle porte, et reprendre sa vie dont elle se sent privée.
La taille de son ventre aussi est exagéré : comme pour un déni de grossesse, ce dernier prend un volume énorme en quelques secondes, imposant sa réalité à Claire qui refusait d’y croire et d’y accorder une quelconque importance.
Énorme, un quasi documentaire
Ce que j’ai trouvé être notamment le point fort de ce film, c’est la scène folle de l’accouchement. Rarement au cinéma j’ai pu ressentir autant de réalité dans une scène de ce type. Rien n’est caché, rien n’est enjolivé, tout est brut et naturel.
Je me demande d’ailleurs si ce n’est pas un « vrai » accouchement qui a été filmé, tant le réalisme est bluffant. Petit fun fact : cette scène a été tournée dans la maternité où j’ai accouché il y a quelques années, et Sophie Letourneur, la réalisatrice, a fait le choix de donner les rôles des sages-femmes à celles qui exercent vraiment ce métier, à l’hôpital Trousseau de Paris. J’ai ainsi pu voir une de celles qui avait participé à la naissance de ma fille donner quelques répliques, le tout dans l’exacte même salle où j’avais moi-même accouché. Assez lunaire, comme expérience…
Pendant l’accouchement, le film qui avait une dimension clairement comique depuis le début redevient sérieux, sincère et prenant. Frédéric, qui n’a pas été une seule fois à sa place de tout le film, n’est que spectateur de ce qui se passe. Même s’il a tenté de prendre le rôle de sa femme depuis le début de la grossesse, il ne peut rien faire et ne peut qu’observer et encourager celle qui est en train de vivre le plus grand marathon de sa vie.
Pendant cette scène, les rôles ne sont plus inversés, et il semble réaliser ce qu’il a fait subir à sa femme. Il réalise que, même s’il a voulu être celui qui gèrerait la grossesse, il ne pourrait pas assurer la plus grande étape, et que seule celle qui a abrité l’enfant pendant les derniers mois pourrait aller au bout de l’histoire qu’il lui a imposé. Claire est dans la lumière cette fois-ci, et pas seulement par sa carrière : elle est celle qui fait tout le boulot.
Énorme, un film drôle, émouvant et perturbant
Je suis bien consciente que, dit comme ça, le film semble être d’une violence absolue. Et pourtant, c’est très drôle. Jonathan Cohen et Marina Foïs, les deux interprètes, ont une alchimie parfaite et hilarante, et le fait que tous les sujets problématiques cités soient poussés à l’extrême détricote tout ce qui pouvait me faire tiquer à la lecture du synopsis ou lors du visionnage de la bande-annonce.
Je suis ressortie de la séance perturbée : j’avais été énervée, puis j’avais ri, et avais fini par pleurer, le dernier plan sur le visage du bébé mettant en avant une intimité habituellement invisible au cinéma.
Le film sort le 2 septembre 2020, et j’espère qu’il rencontrera le succès qu’il mérite. Ne vous laissez pas tromper par la bande-annonce et ses phrases qui, sorties de leur contexte, peuvent donner à croire qu’il est sexiste ou inapproprié. Laissons l’humour nous aider à rire de situations qui existent malheureusement, car si on ne peut plus en rire, il ne nous reste qu’à en pleurer.
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
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