— Article initialement publié le 22 juillet 2014
Avant de m’engager dans l’armée, j’ai fait deux ans de fac de russe. Avalé plusieurs milliers de cafés noisette. Séché des dizaines d’heures de cours. Constaté un énorme trou dans mon porte-monnaie à cause de l’augmentation du prix de la vodka.
Mon inscription à l’armée, pourquoi ?
Et je ne parlais toujours pas russe. Parce qu’à la fac, on n’apprend pas le russe mais des tableaux. Beaucoup, beaucoup de tableaux.
J’avais aussi fait une formation pré-professionnelle en danse classique pendant un an, qui n’avait pas abouti.
Du coup j’avais le choix. Je pouvais continuer dans les études, passer en troisième année, et probablement la louper. Ce n’était pas du pessimisme : ma deuxième année, je l’avais eue par compensation semestrielle — la faute de la vodka.
Ou alors, je pouvais arrêter mes études et faire un truc stupide.
« Maman, j’arrête mes études et je m’engage dans l’armée. »
Comment s’engager dans l’armée ?
Bon, alors on va démystifier le truc : on ne s’engage pas comme ça.
Déjà, il me fallait trouver une copine qui semblait motivée elle aussi. J’ai choisi Kelly. Ensuite, il fallait trouver un CIRFA, un Centre d’Information et de Recrutement des Forces Armées. On avait du bol, les centres de recrutements de l’Armée de Terre et de l’Armée de l’Air étaient en plein centre-ville, et à deux mètres l’un de l’autre !
Kelly m’a donc demandé :
– Bon on commence par quoi? – J’sais pas, je vois pas trop la différence. – J’ai vu plus de pubs pour l’Armée de Terre. – Ok.
Quand tu pousses la porte du centre de recrutement, c’est comme dans Narnia, tu entres dans un autre monde — sauf que c’est une porte vitrée et pas une armoire. Tous les mecs sont en treillis, imposants, intimidants, terrifiants.
Trois mecs parlaient déjà au monsieur de l’accueil (nous l’appellerons Musclor). Ils voulaient être commandos. Musclor leur a expliqué :
« On devient pas commando comme ça mon p’tit gars. J’en ai vu passer des mecs, et des costauds en plus. Ils ont pas tenu. Vous allez vous faire bouffer. C’est pas comme chez papa-maman là-bas. Vous êtes prêts à vous faire massacrer ? Vous voulez un rendez-vous avec un recruteur ? »
Les mecs ont timidement hoché la tête après s’être consultés du regard.
« Et les demoiselles elles veulent quoi ? »
Merde, c’était nous ça. On s’est approchées de Musclor. J’ai répondu :
« Bonjour, beh en fait on pensait s’engager. J’ai vu qu’il y avait des places d’interprètes en russe… Et comme on étudie le russe… voilà. »
J’ai rougi. Musclor m’a regardée de la tête aux pieds. Putain, mais pourquoi avais-je mis une jupe ?
« Et l’autre damzelle, elle veut s’engager aussi ? »
Kelly a répondu :
« Ah non, moi je l’accompagne, c’est tout. »
Oh ! Espèce de lâcheuse. Je me suis retrouvée seule face à Musclor. J’arrivais plus à avaler ma salive. Je me suis demandé : « Si je m’étouffe devant lui, je pourris vraiment toutes mes chances ?
».
Il m’a regardée :
« Avant tout, tu veux être militaire ou pas ? Un recruteur peut te voir immédiatement. »
J’ai cherché Kelly du regard. Elle a secoué vigoureusement la tête de droite à gauche.
« Si je dis oui, vous m’envoyez pas en Afghanistan direct, hein ? »
Musclor a ri. C’est étrange, un mec de trois mètres de haut qui rit. Il m’a indiqué le bureau dans lequel je devais me rendre.
S’engager dans l’armée : un premier entretien
Un Musclor 2 est arrivé et m’a serré la main.
« Bon alors comme ça, la gamine elle veut s’engager ? »
Oh la vache… Musclor 2 est une femme ! Elle m’a expliqué qu’être interprète à l’armée, c’était pas de tout repos.
« T’es avant tout militaire, soldat, à la disposition de la France. Si tu t’engages, tu vas crapahuter dans la boue à 4h du mat’ en plein hiver, tu vas te demander tous les jours pourquoi t’es là. Tu vas partir sur le terrain. »
Tu vas appeler ta maman en pleurant avant de mourir dans d’atroces souffrances. Bon, ça, elle l’a pas dit. C’est ce que mon inconscient en a déduit. C’est chiant l’inconscient.
Musclor 2 m’a donné de la documentation. Et elle m’a serré la main — me l’a brisée en fait. Elle m’a regardée droit dans les yeux et m’a dit :
« Si tu t’engages, ça va changer toute ta vie. »
Je n’ai pas pu soutenir son regard, j’ai baissé les yeux. Elle avait des ongles pourris. Des longs, des courts, des violets, des qui manquaient.
Ma mère m’a toujours dit qu’on ne peut pas faire confiance à quelqu’un qui ne prend pas soin de ses ongles.
Je suis repassée du bon côté de l’armoire magique et j’ai retrouvé Kelly dehors. Elle s’est excusée, elle n’était pas aussi motivée qu’elle le pensait. Elle s’est inquiétée :
– Alors tu fais quoi? – J’peux pas m’engager, elle a des ongles pourris. – On tente à côté ? – Pourquoi pas, mais on va boire un coup d’abord.
S’engager dans l’Armée de l’Air
Quelques instants plus tard, on a pris une autre armoire magique. La madame de l’accueil, environ 25 ans d’âge, nous a accueillies avec un grand sourire.
– Bonjour, bon voilà on voudrait peut-être s’engager, j’ai vu qu’il y a des postes d’interprète du russe de la mort dans des bivouacs en hiver à 4h du matin et qu’on peut mourir dans d’atroces souffrances, mais ma pote elle est pas sûre. – Euh… Vous êtes passées à l’Armée de Terre d’abord, c’est ça ? – Comment vous savez ? – Vous tremblez mademoiselle. – Ah. – Je vais vous donner de la docu à lire tranquillement chez vous à tête reposée. Puis si vous êtes toujours intéressée, vous nous appelez pour avoir un rendez-vous avec un recruteur.
On est allées s’asseoir dans un parc pour lire tout ça. J’avais volontairement oublié les papiers que Musclor 2 m’avait donnés.
On a sorti la brochure. Ça parlait de notre motivation, de servir la France, de porter l’uniforme, de vivre des aventures et tout et tout. À l’Armée de l’Air, il faut choisir une spécialité. Beaucoup sont intéressantes. Mais avant d’étudier sa spé, il faut suivre une formation militaire initiale.
Kelly a réfléchi : « Une formation sportive… Mouais, non ». Elle a définitivement fermé la brochure.
S’engager dans l’armée… Et ensuite ?
Une semaine, beaucoup de coups de fils et pas mal de conversations intenses plus tard, j’étais prête à re-traverser l’armoire magique de l’Air.
J’avais rendez-vous avec un major. Le bonhomme avait la cinquantaine, un bon bidon et un sourire touchant. Il m’a tout expliqué.
Oui, il y avait une formation initiale de quatre mois. Oui, c’était dur. Non, ce n’était pas non plus traumatisant. « Tu serres les dents et ça passe ». Oui, une fille de petit gabarit pouvait y arriver.
« Il faut faire quoi pour être prise ? »
Des tests. Physiques, médicaux et psychotechniques. J’étais re-motivée. Ils allaient m’envoyer rapidement une convocation pour les tests. La madame de l’accueil m’a serré la main en partant.
Une french manucure. Yes !
À lire aussi : J’ai testé pour vous… m’engager dans l’armée (2/3)
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Les Commentaires
En tout cas si ya d'autres témoignages sur l'armée, ça m'intéresse vachement!