Pour la première partie des tests d’entrée, je me suis rendue à la caserne Nansouty à Bordeaux. Je suis arrivée devant le bâtiment, convocation en main (tremblante).
Nous étions une quarantaine.
Parmi les six filles, trois voulaient entrer dans l’Armée de l’Air, deux dans l’Armée de Terre, et une dans la marine. Il n’y avait que deux gars qui demandaient l’Armée de l’Air… serait-ce une armée de femmes ? On nous a bien fait comprendre que oui.
Divers musclors nous ont séparés et « rangés » par armée. Nous sommes ensuite allés dans les chambres pour poser nos affaires.
S’engager dans l’armée : la seule vraie débutante
Les filles de l’Air et de la marine étaient ensemble. J’ai appris d’entrée de jeu que je n’avais pas le niveau : je ne faisais pas le poids face aux autres. J’aurais dû faire comme Kelly, elle avait bien compris que nous n’y avions pas notre place…
Une des filles postulait pour la spécialité « infirmière ». Elle avait déjà fait une préparation militaire d’un an à la marine, elle était super sportive et super motivée. Une autre postulait pour la même spé que moi, « interprète russe ». Sauf qu’elle, elle était russe. Et qu’elle, elle était gendarme. Et il n’y avait que trois places par an.
Qu’est-ce que je foutais là, déjà ?
On a passé une première nuit dans la caserne.
On nous a montré vite fait comment faire un lit au carré. Ma mère aurait été fière de moi !
J’ai aussi fait connaissance avec les douches militaires. Il fallait appuyer sur un bouton magique toutes les quatre secondes pour faire sortir de l’eau froide du plafond, la technique étant d’appuyer sur le bouton magique avec le genou pour avoir de l’eau au moins dix secondes — une méthode efficace, mais nécessitant un excellent équilibre.
La spé « infirmière » m’a rassurée : « Tu sais ici, ça va. À Tours y a des cafards dans les piaules ». Super.
S’engager dans l’armée : les tests médicaux
Le lendemain, on a commencé par faire des tests médicaux.
J’ai envisagé d’avaler ma carte vitale. Ils ne la demandaient pas. Heureusement, car je n’étais pas persuadée de pouvoir la digérer.
Un musclor nous a distribué un questionnaire sur nos antécédents médicaux. Certaines questions étaient… inattendues.
- Question 14 : Est-ce que je pense sincèrement que quelque chose ne tourne pas rond chez moi ?
- Question 17 : Est-ce que des voix dans ma tête m’ordonnent de faire des choses dont je n’ai pas envie ?
Musclor nous a dit d’un air dépité : « Les gars, y a certaines questions, vous déconnez pas hein. C’est pas pour blaguer ». Quelques personnes se sont mises à rire.
La question suivante demandait : « Avez-vous déjà subi une ou des blessures au niveau des jambes ? ». J’ai commencé à marquer « Entorses à la cheville droite ». J’ai levé la tête. Regardé autour de moi. Effacé le « s ». « Entorse à la cheville droite ».
Ces questionnaires remplis, on nous a dirigés comme un troupeau vers un couloir. À chaque porte se tenait un docteur. Il fallait passer dans chaque bureau et récolter le saint Graal : « Apte ». À chaque fois.
Le médecin général m’a demandé de toucher mes orteils.
– Mais c’est pas normal de se plier comme ça ! – Ah oui, je suis hyper-laxe en fait. – Je vois que vous avez eu une entorse à la cheville, vous en avez eu plusieurs ? – Non, non. Juste une.
Il s’inquiétait pour mon hyperlaxité, mais il a quand même tamponné « Apte » dans sa case.
Le « médecin des oreilles », lui, enfermait les candidats dans une cabine, leur mettait un casque sur les esgourdes et déclenchait des sons. Dès qu’on les entendait, on appuyait sur un bouton. Depuis la vitre de la cabine, je l’ai vu froncer ses sourcils broussailleux.
– Mais vous entendez vraiment là ? – Euh… oui. C’est pas bien ? – Si si, mais sachez que vous avez une hyperacousie.
« Apte ». Le « médecin des yeux » nous a fait passer les tests habituels.
– Vous pouvez me dire ce qu’il y a écrit sur la ligne d’en bas ? – …Y a une ligne en bas ? – Beh oui, la septième ligne. – Mais j’en vois que trois ! – Ah bon. Vous avez quelle spé ? – Interprète russe. – Ah, ça va ! Bon je vous mets 4, comme ça vous êtes quand même apte.
Je suis sortie du couloir de la mort avec tous mes tampons « Apte ». Sur les quarante candidats, douze étaient éliminés – dont l’un des gars qui demandaient l’Armée de l’Air.
S’engager dans l’armée : les tests psychotechniques
L’après-midi, on a passé les tests psychotechniques.
J’ai passé trois heures devant un ordi à répondre le plus rapidement possible à une série de problèmes.
J’ai fini en avance, et j’ai regardé autour de moi. Certains étaient vraiment en retard, sûrement à cause du stress. Un gars s’est mis à pleurer.
« Armée de l’Air et marine, vous sortez. Allez dans la salle à côté pour le test d’anglais. Armée de Terre, restez là. Évaluation de morse. »
Dieu merci ! J’ai fini le test d’anglais en avance. J’avais 123 sur 130. On m’a envoyée attendre dans une salle. Sauf que je me suis perdue. J’ai vu un musclor de loin et l’ai interpellé :
– Bonjour monsieur, sauriez-vous où est… – C’est « mon colonel », ignorante ! – … – Qu’est-ce que vous voulez ??
Moi ? Là, de suite ? Pleurer.
Le musclor qui nous avait distribué les questionnaires médicaux le matin m’a aperçue et est venu à me rescousse. Il a attendu dans la salle avec moi. Il pensait que j’avais mes chances. C’était rassurant, mais je redoutais les tests physiques.
Le soir, la gendarme était éliminée : elle avait raté le test d’anglais. Son nom a été violemment barré de la liste de présence affichée sur la porte du dortoir.
La fille de la marine était en fait partie dans la matinée. Je me suis donc retrouvée seule avec l’infirmière. On a parlé toute la nuit ; elle stressait aussi pour les tests du lendemain.
Et c’était déjà le dernier jour, celui des tests physiques et des entretiens de motivation.
S’engager dans l’armée : les tests physiques
L’infirmière a décidé d’avaler un tube entier de vitamine C. Je l’ai imitée. On allait déchirer ces épreuves.
Les musclors nous ont accompagnés dans un hangar désaffecté qui servait de salle de sport.
Chaque candidat devait porter un maillot de basket dégueu avec un numéro. J’ai eu le numéro 13. Evidemment. Les musclors nous ont distribué une fiche de décharge à signer. En gros, si on mourait pendant les épreuves, ce n’était pas de leur faute.
On a commencé avec le test de Léger, ou test de la navette, qui permet de déterminer la vitesse maximale aérobie (VMA). Citons Wikipedia s’il vous plait :
« Il consiste à effectuer des allers-retours jusqu’à épuisement. »
Il suffit de faire des allers-retours entre deux poteaux espacés de 20 mètres de plus en plus vite jusqu’à ce que mort s’ensuive. Le palier minimum pour intégrer l’armée de l’air est 4.
Au palier 1, mon palpitant s’est emballé.
Au palier 2, la vitamine C est venue dire coucou en tordant mon estomac.
Au palier 3, j’ai compris que l’abus de vitamine C avait un effet laxatif.
Au palier 3 et demi, je ne voyais plus rien, et ma respiration sifflante m’a empêchée d’entendre l’examinateur me crier : « Oh le numéro 13, bouge ton cul ! ».
Aux paliers 3 et 3/4, j’ai repensé à la fiche de décharge que j’avais signée. Peut-être j’allais vraiment mourir, en fait.
Alors que j’arrivais au poteau, un musclor m’a attrapée par le maillot et jetée hors du terrain.
– T’es plus dans les temps gamine ! – Qui me parle ? – Bon mets les bras au-dessus de la tête, respire. J’ai dit respire gamine !
Par un miracle divin tout droit venu du ciel, j’ai validé le palier 4 à 2 secondes près. Épreuve validée !
On a attendu que les cinglés qui couraient encore finissent par s’arrêter. Pendant ce temps, les musclors pensaient que j’allais mourir :
« Gamine, mais arrête, tu passeras jamais le reste des épreuves. Tu déconnes là. T’es toute blanche, sérieux ça fait peur. Viens, on va t’amener à l’infirmerie. T’as signé la décharge ? Les gars, vérifiez qu’elle a signé cette foutue décharge ! »
Mais trop pas, je pétais la forme ! Je me suis dirigée fièrement en zigzag vers la prochaine épreuve : le parcours d’agilité.
Mon tour est arrivé.
Premier obstacle : ok.
Saut en longueur : ok.
Abdos : ok.
La poutre (« Oh putain je vois tout flou !!! ») : ok.
Cerceaux au sol : ok.
Lancer de balle : ko. Sans faute de frappe.
Zéro pointé, humiliation, comme au collège quand on devait faire des sports collectifs et que le prof m’envoyait surveiller les arbres. J’ai recommencé… et j’ai réussi à lancer une balle correctement ! Ça m’a tellement étonnée que je me suis arrêtée deux secondes pour enregistrer l’information.
J’avais effectué le parcours dans le temps imparti, j’avais assez de points, l’épreuve était validée !
C’était parti pour la dernière ligne droite : tractions pour les hommes, suspensions pour les femmes.
L’infirmière s’est lancée. À cause de la vitamine C et de son effet laxatif, elle a tenu sept secondes, me confiant : « Si je tenais plus, je me faisais dessus ».
À mon tour. C’était la dernière épreuve, bordel. La dernière ligne droite ! J’ai attrapé la barre, et j’ai tenu bon. Mon estomac hurlait de toutes ses forces. Les mecs aux tractions se sont arrêtés pour se moquer du bruit que je faisais.
Je m’en fichais, je tiendrais bon. Le musclor le plus proche est parti précipitamment aux toilettes ; mon abus de vitamine C avait titillé sa vessie.
J’ai fini par lâcher. 27 secondes ! L’épreuve était validée !
S’engager dans l’armée : l’entretien de motivation
L’infirmière et moi avons eu l’autorisation de faire une pause toilettes.
Nous sommes ensuite retournées dans notre chambre pour faire nos valises. Puis nous nous sommes dirigées vers les entretiens de motivation, valise en main.
Une jeune sergent-chef m’a reçue.
Comme pour un entretien d’embauche, il fallait être au top. Sauf que je venais de faire une matinée entière de sélection sportive et que le problème de la vitamine C était toujours présent.
– Bonjour mademoiselle ! Bon je suis contente car je voulais vraiment faire votre entretien. Vous avez un profil particulier. – …c’est parce que j’ai manqué de mourir ce matin ? – Les épreuves ne se sont pas bien passées ? Vous ne les avez pas validées ? – Si, si. Mais douloureusement on va dire. – Si c’est validé, pas besoin d’en savoir plus. Mais je parlais de vos tests psychotechniques. Vous avez obtenu un excellent résultat ! – Ah mais quand vous dites particulier, vous voulez dire bon ? – Je veux dire excellent ! – Je peux vous serrer dans mes bras ?
S’en est suivi une heure de questions sur les actualités et l’histoire de l’Armée de l’Air. On a parlé de ma motivation, de servir la France, de porter l’uniforme, de vivre des aventures et tout et tout. Elle m’a notamment demandé :
« Ça ne vous dérange pas de mourir pour votre pays ? De tenir une arme ? »
Elle a fini par sortir de la salle pour cherche un officier. J’ai entendu distinctement:
« Chef venez, je suis en entretien avec la gamine qui a déchiré les tests psychotechniques mais qui a failli mourir en sport. »
Un officier (capitaine peut-être) est entré et m’a dit : « Ah, c’est vous ! ». Je commençais vraiment à me sentir mal.
– Bon, va falloir vous changer de spé, interprète russe vous allez vous embêter. On vous met en exploitant renseignement. Vous passerez les épreuves pour les deux spé à Brétigny d’ici quelques semaines. – Mais vous voulez dire que là j’ai réussi ? – Oui, bien sûr ! On vous envoie la convoc par courrier.
En sortant de la caserne, j’ai reçu un coup de fil de l’infirmière : elle avait réussi ses épreuves mais elle n’était pas sélectionnée, par manque de places. Elle devait retenter l’année prochaine.
En attendant le train, j’ai appelé ma mère.
« Bon j’ai failli mourir, j’ai failli faire caca devant tout le monde, mais je suis sélectionnée pour la suite des épreuves. »
Suite et fin au prochain épisode !
À lire aussi : J’ai testé pour vous… m’engager dans l’armée 3/3
Pour témoigner sur Madmoizelle, écrivez-nous à :
[email protected]
On a hâte de vous lire !
Vous aimez nos articles ? Vous adorerez nos newsletters ! Abonnez-vous gratuitement sur cette page.
Les Commentaires