Publié initialement le 6 mai 2012
Mois de mai, joli joli joli mois de mai, on a arraché tous les brins de muguets des sous-bois de nos campagnes pour les revendre à prix d’or sur les places des marchés et en bordure de nationale. Un mois qui s’ébauche par de telles festivités ne peut qu’annoncer le pire, nous sommes d’accord.
Avez-vous sillonné les centres-villes sous les drapeaux rouges du syndicat ? Moi, je ne l’ai pas fait car je besognais âprement dans le sang et la sueur tandis que d’autres festoyaient à la santé des travailleurs. Je garde néanmoins une rancune tenace envers ces jours fériés semblables à d’infinis dimanches, tout comme je pleure aujourd’hui sur le réveil matin qui me tire de mes draps chauds à l’heure où blanchit la campagne et où tout le monde s’octroie une grasse mat’ salvatrice (enculés !).
Je n’aime pas les jours fériés, d’ailleurs nous ne nous sommes jamais aimés, j’ai déploré leur existence à l’époque où je pouvais en bénéficier et maintenant je regrette leur absence avec la tristesse de ne pas en avoir assez profité.
À ce sujet, je n’aimais pas tellement les dimanches non plus. La question semble maintenant réglée puisque je travaille également le jour du Seigneur ; c’est une astuce qui me convient finalement assez bien et me place en fine observatrice des habitudes dominicales.
Il y a un cafard propre aux jours de repos collectifs. Toute cette oisiveté communautaire me met mal à l’aise ; pire, elle m’angoisse. Je me demande ce qui occupe les gens pendant tout ce temps où ils n’ont rien à faire ni nulle part où aller : quels efforts d’imagination doivent-ils déployer pour occuper leur temps libre ? Comment survivre dans notre infâme société capitaliste pendant un jour où l’on ne peut consommer ?
C’est une investigation que j’ai menée, en caméra cachée et méditations secret défense, pour Enquêtes Xclusives, sous la direction chevelue de Bernardos de la Villardière, productions Intranquille.
Comment survivre à un jour férié ?
On ne profite pas d’un jour férié à la légère, bien au contraire : cela se prépare activement et requiert une organisation diabolique. Au cours de mes pérégrinations citadines, j’ai constaté que de nombreux commerces faisaient le pont, nous laissant dans l’incapacité totale de nous ravitailler en cigarettes et en chewing-gum menthe forte. Avant chaque week-end prolongé je pars en mission alimentaire, sacs en tissu Monoprix (remember) sous chaque bras, et je dévalise les étals du Carrefour Market comme tant d’autres consommateurs.
Ce 8 mai, nous commémorons la capitulation allemande en organisant une guerre dans les tranchées des rayons fruits et légumes, nous préparons notre résistance alimentaire sous les néons blancs des grands magasins, à la boulangerie dans un accès de délire hystérique nous achetons huit baguettes, deux pains de campagnes et trente-six Kinder Bueno pour être certains de tenir le coup : notre réfrigérateur est un bunker imprenable, même pour Jo-Wilfried Tsonga.
Après ces emplettes périssables, la ville se vide et les voitures dansent le long des grands axes : on se sent un peu seuls, nous qui restons tristement à notre place
. Toute la semaine, on nous a demandé « Alors, tu pars un peu ce week end ? Moi je vais à Narbonne profiter du soleil », et toute la semaine nous avons maudit le soleil, la mer et les jours fériés cent fois en cherchant quelques occupations de substitution.
Voici de modestes idées d’activités que je pratiquerais bien volontiers si je ne travaillais pas les jours fériés :
- Faire tous les mots fléchés du Version Fémina, rentrer le code par Internet et gagner le voyage aux Seychelles.
- Prendre un bain moussant en écoutant une playlist Deezer propice à la détente.
- Enchaîner les films sur Canal+ à la demande en mangeant des madeleines trempées dans un verre de jus d’orange (mon péché mignon).
- Prétexter une séance de ménage / triage de papiers pour relire de vieux journaux intimes et me moquer de moi-même.
- Manger du poulet rôti, avec des frites, de la mayo et avec les doigts.
- Ne pas regarder l’heure, éteindre mon portable, boire un demi-citron en regardant le soleil descendre très bas en faisant une manucure à petits pois.
De l’art et la manière de gaspiller son temps
Étrangement, ces activités solitaires, calmes et reposantes ne sont pas celles auxquelles mon voisinage semble se livrer. Les jours fériés sont un repos en forme de bonus dans la semaine, et comme à chaque jour suffit sa peine (et qu’il serait intolérable de passer deux journées de suite reclus chez soi sans consommer quoi que ce soit), le quidam sort de son trou.
Il déboule sur l’asphalte tout agité de tics nerveux à force de silence et de tranquillité, et part à la recherche d’un commerce faisant résistance : il achèterait facilement une demi-douzaine d’arrosoirs, des nains de jardin en terre cuite et deux poissons rouges s’il n’y avait que Jardiland d’ouvert le 1er mai. On le voit errer au milieu des rues, l’oeil hagard, croyant déceler une lumière à l’intérieur d’une échoppe alors qu’il ne s’agit que d’un reflet.
Il est au désespoir total : si un café était ouvert, il irait tenir le crachoir au taulier pour se lamenter sur la fainéantise des autres et sur le service minimum que les transports en commun n’assurent même pas.
Et lorsqu’il rentre chez lui, avec trois bouquets de muguets dans chaque main ainsi qu’un sac de pommes de terre acheté chez l’arabe du coin, il n’est pas totalement rassasié. Alors il se décide à tondre la pelouse bruyamment, à passer l’aspirateur fenêtres ouvertes pour en faire profiter l’extérieur : il manifeste son mécontentement et son ennui total pour en partager la pesanteur avec le voisinage.
À titre personnel, je pourrais passer des journées entières sans mettre le nez dehors, en étroite cohabitation avec mes cheveux gras, une pile de bons bouquins cornés à parcourir et des litres de Lady Grey. D’autant plus qu’à présent j’ai un balcon, deux chaises, une table en bois et des moucherons, ce qui me donne des perspectives sur l’extérieur, un horizon varié et une absolue non-nécessité de mettre le pied sur le bitume : il me suffit de respirer l’enivrant parfum de mes géraniums dépressifs pour me faire voyager loin.
Je ne comprends pas cet éminent besoin que la plupart des gens partagent à l’idée de se regrouper, même lors des jours où la promiscuité n’est pas nécessaire. Je conviens tout à fait qu’une balade en forêt par temps estival ou une promenade familiale au jardin public soient de bon aloi pendant ces jours de trêve, mais qu’est-ce qui motive ces gens à s’amasser ensemble sur les parking des zones commerciales un jour férié ? Qui sont ces hommes qui me félicitent de travailler un 1er mai alors que je suis au désespoir, tant d’être à mon poste que de les voir gâcher un de ces précieux jours chômés par des occupations aussi coutumières et relous ?
Pour méditer sur tout cela, fredonnons en coeur cette belle chanson datant de 1987 dans laquelle l’illustre Bézu chante la gloire du temps libre :
https://www.youtube.com/watch?v=5EwVrPKUX-4
« Vive le dimanche et les jours fériés, Tous les jours j’y pense, ça me fait patienter.Vive le dimanche et les jours fériés, Vive les vacances quand le boulot est terminé.Qu’est ce qu’on fait, qu’est ce qu’on dit Quand le boulot est fini ? »
Vive le dimanche – Bézu.
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