D’aussi loin que remonte mon premier tampon, j’ai toujours été une fille normale. Je regarde des soaps opéras en cachette, nourris un amour secret pour Chuck Norris quand il était jeune, suis une fervente adepte de la procrastination et voue le damoiseau de mes pensées à une mort lente et douloureuse lorsqu’il ne répond pas à mes SMS débiles dans le quart d’heure. Oui mais : au milieu de cet océan de normalité se cache un douloureux secret : j’aime Plus belle la vie je suis incapable de porter un jean.
Pourtant, je donnerai cher pour cacher mon pelage d’hiver mes chaussettes trouées sous un jean chaud et confortable. Mais là où la moindre robe me flatte l’échine, n’importe quel pantalon me fait ressembler à un saucisson mal ficelé – avec la raie du fondement qui dépasse, sinon c’est pas drôle. Or, après un lustre passé à ne couvrir mon fessier que de robes, jupes et autres étendards de la gambette libre, j’ai décidé de ne plus dépenser la moitié de mon salaire en collants 50 deniers et de passer du côté Denim de la force. Retour sur un échec annoncé, cuisant et douloureux.
Round 1 : immersion dans un milieu hostile
Prenant mon courage dans une main et ma carte bleue dans l’autre, je franchis, tremblante et penaude, les portes d’une célèbre enseigne suédoise qui égérise des chanteuses-canards. La vendeuse à laquelle j’explique mon cas me donne l’impression d’être Franck Ribéry qui demanderait à Bernard Pivot comment on fait pour devenir agrégé de lettres. « Vous faites du 40, mademoiselle ?
» lance-t-elle, aussi effarée que si je venais de lui dire que j’avais congelé mon petit frère. « Mais vous savez, on a pas beaucoup de grandes tailles ici« .
Une envie de meurtre au saindoux et quinze minutes de file d’attente plus tard, me voici dans une cabine d’essayage. Sous les néons, je ressemble à un veau de mer albinos et vérolé. La journée commence bien.
Alfrédette : 0 – Jean : 1
Par contre, je l’admets bien volontiers : transporter un taco dans une robe, c’est plus compliqué.
Round 2 : l’essayage
Vient alors le moment fatidique où la toile du damné « boyfriend » doit épouser ma cellulite et lui dire oui pour la vie. Mais là, c’est le drame : ce gueux de jean refuse tout contact avec mon fessier, et je dois effectuer une grotesque chorégraphie – qui se situe quelque part entre la «danse des canards» et la macarena – pour qu’il cache ma culotte à pois verts. Heureusement, il n’y a pas de caméras dans ce lieu de perdition. Au bout de dix minutes de contorsions kama-sutresques, j’abdique, rouge et haletante : la fermeture de cette braguette ne passera pas par moi. Dépitée, j’ôte la sale bête : la vendeuse m’avait sournoisement refilé un 36. On ne dira jamais assez de mal des chiffres pairs.
Un tour complet du magasin et quelques contorsions supplémentaires plus tard, me voilà enfin vêtue du saint Graal : un jean à ma taille.
Alfrédette : 1 – Jean : 0
Round 3 : la vie, le jean, la mort
La bête étant enfilée, je regarde le résultat de tant de souffrances. La désillusion est cruelle : je ressemble à la fille naturelle de Loana et d’un muffin trop cuit. Et c’est là, alors que mes organes vitaux menacent de s’auto-détruire sous le joug du tissu trop serré, que m’apparaît la triste vérité : jamais je ne pourrai porter de jean. Avec l’énergie du désespoir, j’ai essayé moult autres modèles, de toutes formes et textures : les jeans tailles basses, qui faisaient de mon gras abdominal une délicate et flottante ceinture. Ou bien les tailles hautes, qui me cisaillaient vicieusement l’abdomen. Ou ces jeans amples, qui me faisaient ressembler à un jeune éléphanteau tout juste sorti du ventre de sa mère. La conclusion fut sans appel : jamais le jean ne passera par moi.
De guerre lasse, j’ôte le jean de la frousse avec un cri de soulagement qu’on a dû entendre jusqu’en Corse du Sud. Fessier ! Fessier outragé, fessier martyrisé, fessier brisé, mais fessier libéré ! Jamais plus je ne te soumettrai à la torture du denim. Désormais, entre toi et le reste du monde, il n’y aura plus que des jupes ou des robes. Et tant pis pour les bouches d’aération.
Alfrédette : 0 – Jean : 100 000
Morale de cette histoire : De même qu’il est des personnes allergiques à Paris Hilton, il est des personnes allergiques au port du jean. Rien ne sert de lutter : c’est comme ça, c’est la nature et c’est très bon avec des endives.
Et toi, quel est ton rapport au jean ou au pantalon en général ?
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