?L’autre jour je décortiquais ma liste de livres lus dans le courant de l’année. Je ne rends de compte à personne d’autre qu’à moi-même et je suis une patronne très exigeante au sujet de ma productivité personnelle.
Chaque année j’établis donc une liste qui résume mes activités littéraires; je pourrais faire des diagrammes et des power point en couleurs afin de mieux cerner mes besoins et mes attentes mais, cent fois hélas, je ne manie pas suffisamment bien l’outil bureautique pour me permettre une telle organisation.
En bon dirigeant de ma (toute) petite entreprise j’attends toujours de moi un gros chiffre à la fin de l’année – c’est terrible d’être aussi capitaliste dans sa vie privée – mais ça n’est pas le sujet.
Après une réunion au sommet entre mes exigences et moi-même, j’ai eu besoin de renouveler les stocks et c’est tout naturellement que je me suis dirigée vers la FNAC.
Ah, je pourrais vous dire que j’aime à soutenir mon petit libraire de quartier indépendant qui propose sur ses étals des produits frais et de saison, de bons polars bien mûrs aux abords de l’été en passant par des sagas historiques en douze volumes pour bercer le calme maudit de l’hiver. Mais en vérité il me fallait des livres et des piles – et mon libraire vend la Pléaide, l’Herne, des livres audio racontés par Pierre Bellemare mais point de piles – et c’est regrettable, il y a là une niche commerciale que mon sens de l’auto-entreprise se permet de remarquer.
Alors je me suis rendue à la Fnac. Je ne mépriserai point la Fnac en l’insultant d’être un vaste supermarché de la culture parce que la culture, même au supermarché, me fait toujours plaisir. J’aimais la Fnac lorsqu’elle était la seule enseigne dans laquelle je pouvais me rendre en étant sûre d’y trouver un bouquin sans avoir à le commander huit semaines à l’avance. Ensuite une querelle est née entre nous lorsque j’ai commencé à être punk et à trouver qu’il était dégradant de se vendre au capital en achetant à la Fnac. Afin de ne pas passer pour la sociale-traître dans le milieu très restreint du rock alternatif français j’ai boycotté l’endroit.
Avec les années ces considérations hautement politiques se sont dissipées et je consomme à la Fnac en toute quiétude morale. Je navigue à l’aise entre les étages, sur mon escalator je domine du regard les allées surpeuplées sans aucune appréhension.
Toutefois, la Fnac fait naître en moi de grandes incompréhensions.
Je me baladais sur l’avenue « Littérature française », le coeur ouvert à l’inconnu, l’oeil aux aguets des petits encarts « coup de coeur du vendeur » apposés sur certains rayonnages. Je ne suis pas du genre à demander des conseils, déjà parce que j’ai l’impression que ça ennuie systématiquement les vendeurs qu’on vienne les importuner dans leur boulot; mais aussi parce que je crains les MAUVAIS conseils et que je me sentirais coupable de ne pas suivre un conseil alors que je l’ai demandé – même si je pressens qu’il est mauvais. (vous suivez ?)
Terrée dans mon mutisme j’assume l’entière responsabilité de mes choix décevants, cependant, pour les gens comme moi (et pour qu’on embête pas trop les vendeurs), la Fnac a mis en place les fameux conseils des vendeurs. Honnêtement, je pense que derrière chaque « coup de coeur » se cache un commercial en cravate ayant décidé de doper les ventes de tel ou tel ouvrage.
?Mais si ce n’est pas le cas, qui sont ces gens ? Je pense que « Julie, vendeuse à la Fnac Montpellier » doit être une nouvelle recrue ayant hérité de la corvée réservée aux bizuts.
Ainsi, pour se venger, elle aura choisi de vanter les mérites d’un obscur auteur inabordable pour le plaisir de malmener la clientèle ou alors ce sera un post-étudiant ayant gardé l’habitude du trop facile réflexe Wikipédien qui rédigera ces quelques lignes.
C’est comme ça que la Fnac me conseille audacieusement de lire Balzac, ce « monument de la littérature française » (ah oui ? intéressant, je ne connaissais pas.) au même titre que Charles Duchaussois (« un voyage initiatique au coeur de l’Inde » – au coeur de la défonce surtout.)
Un peu décontenancée par tant de diversité littéraire je m’évade vers d’autres rayonnages. C’est bientôt Noël et la Fnac est sur le pied de guerre, des stands complets de livres de cuisine bordent les allées, on se croirait à une réunion Tupperware ou dans une succursale Mobalpa. J’ai d’ailleurs constaté qu’au rez-de-chaussée, une place avait été aménagée pour vendre des grilles pains et d’autres ustensiles ménagers – la tambouille familiale est devenue un produit culturel elle aussi.
Après avoir arpenté le premier étage en long en large et sans travers en prenant soin d’éviter les corps qui jonchent systématiquement la moquette du coin BD je décide de m’isoler dans la fraîcheur du sous sol. Il semblerait que la climatisation n’ait pas été inventée dans le monde merveilleux de la Fnac. Sûrement afin que les clients perdent la tête sous le coup de l’étouffante chaleur, de la musique répétitive et des gadgets par milliers.
Au sous-sol se trouve l’espace musique. J’ai du mal à comprendre comment on peut encore acheter de la musique sur un support physique en l’an deux mille presque treize quand je vois combien il est plus facile et plus pratique de télécharger, transférer et importer des musiques sans avoir besoin de l’objet disque.
Quelques anti-modernistes sont même en train d’écouter des morceaux, le casque vissé sur les oreilles à une époque où Spotify existe; j’ai l’impression d’assister à une reconstitution des us et coutumes des temps anciens. Vivement qu’on brûle ce rayon entier pour le remplacer par des robots ménagers et des coquetiers USB – tellement plus innovants.
Je m’éloigne de ce lieu d’un autre âge et je tombe soudain en extase devant les rayons DVD et leurs offres « 30 pour le prix de 3 », je suis fascinée et c’est presque systématiquement que je tombe dans le piège promotionnel. Vous n’imaginez pas le nombre de DVD qui dorment dans mes placards, protégés sous le blister intact. À moins d’avoir vocation à transformer mon salon en DVDthéque privée un de ces jours, ces achats n’ont aucun sens, ils sont seulement motivés par l’impression de faire une bonne affaire.
Je prends mes jambes à mon cou et cours vers les escalators, je ne trouve plus celui qui me fera remonter à la surface et je manque de me faire assommer par un enfant qui essaie la Playstation Move.
Alors que je m’apprête enfin à sortir de ce calvaire, mes mains débordent d’articles mais je m’aperçois qu’il n’y a point de piles entre mes doigts – j’ai malheureusement oublié mon objectif en cours de route et je refuse de faire marche arrière.
Je m’approche quand même des caisses partagées en deux files biscornues, c’est une sorte de labyrinthe dans lequel seuls les plus courageux oseront s’aventurer. Je slalome
?valeureusement entre les rangs, les clients précédents et les suivants s’inquiètent, on leur promet que cette étrange organisation (une seule file pour six caisses dont quatre sont fermées) leur fera gagner un temps précieux. Ils sont sceptiques, moi je prends patience en lisant un livre de mini-blagues qui attend sur son présentoir, histoire de détendre l’atmosphère et d’éviter la bagarre des clients aux nerfs chauffés à blanc, je suppose.
Je suis désormais parée pour affronter les boutiques bondées à J-2 avant les fêtes de fin d’année, je pense qu’on devrait organiser des sessions d’entraînement en commando de forces spéciales dans les grands magasins, afin de mieux se préparer. Les samedi après-midi à la Fnac donnent un juste avant-goût de cette époque fabuleuse.
Vous aimez nos articles ? Vous adorerez nos podcasts. Toutes nos séries, à écouter d’urgence ici.
Les Commentaires
J'allais faire un post de même goût.. Je bosse pour le Furet du Nord, qui n'a pas encore l'échelle nationale, mais a sa réputation. Nous sommes tous de vrais libraire (j'entends par là : pas de mise en rayon et basta. Je l'ai fait pour la grande distrib au rayon livre/cd/dvd, rien à voir!). Dans ma boite, chacun est spécialisé dans son domaine, recoit les représentant, gère ses tables, ses coups de coeur et ses mises en avant. Il est vrai que la centralisation prend de plus en plus de place dans nos métier, mais nous avons encore la main sur pas mal de chose. Pour l'instant, la centralisation se concentre surtout sur les opérations promo, et sur les très grosses sorties, négociation importante avec les représ.
Je te rejoins complément sur la journée du samedi, où les clients ne cherchent pas alors qu'on essais de leur simplifier la recherche de leur livre. Alors on passe plus de temps à guider les gens qui ne veulent pas chercher (même pas un peu!) et le renseignement devient beaucoup plus difficile. En revanche, dans mon boulot, on ne nous reprocheras jamais de prendre le temps avec le client, il est notre priorité, et un vrai libraire aime conseiller et passer du temps avec le client. Quand il y a un réel échange, ce n'est que du bonheur.. Par contre quand on ramasse le bordel laissé par les client (et croyez moi, au rayon jeunesse, je passe plus de temps ramasser, qu'à renseigner) parce que "la dame est payé pour ça" alors que "la dame" aimerais juste un peu de respect pour son travail..