Imaginez qu’on vous refuse l’embarquement dans un avion avec votre enfant si vous n’avez pas votre livret de famille sur vous ? Vous savez, ce document qui d’ordinaire ne sort jamais du dernier tiroir de votre bureau ?
« Toutes les mères qui ne portent pas le même nom que leurs enfants doivent présenter ce livret et prouver leur maternité pour monter dans un avion ; les pères, eux, n’ont rien à justifier », déplore Marine Gatineau-Dupré, mère de deux enfants, dont aucun ne porte son nom. Sympa la charge mentale pendant les vacances.
Vous avez beau avoir vécu une grossesse, un accouchement et élever votre progéniture, si vous n’avez pas le même nom de famille qu’elle, votre quotidien sera un enfer.
« Il faut emmener ses papiers partout, se justifier tout le temps, c’est humiliant — or, quand on fait un enfant, on ne pense pas au fait de se séparer et de changer de nom » raconte Marine Gatineau-Dupré, elle-même séparée des pères de ses enfants. Élue municipale à Palavas-les-Flots, elle a fondé le collectif Porte mon nom en 2019 dans l’optique de rétablir une forme d’égalité.
Le député de l’Hérault Patrick Vignal (LREM) a décidé de soutenir son combat et prépare actuellement un projet de réforme pour favoriser l’usage du double nom de famille à la naissance.
Entre « patriarcat patronymique » et tradition
En France, la loi du 4 mars 2002 permet déjà aux parents d’attribuer à leur enfant leurs deux noms, dans l’ordre souhaité, ou bien celui du père ou de la mère uniquement. Une fois choisi, le nom transmis ne change pas, même après une séparation.
En 2019, indique l’INSEE, 81,4% des enfants nés portaient uniquement le nom paternel et 11,7% d’entre eux avaient un double nom.
« Donner le nom du père est une vieille tradition, une pratique coutumière qui est nourrie par l’administration et les institutions. »
Marine Gatineau-Dupré, fondatrice de Porte mon nom
L’organisation Porte mon nom a recueilli plus de 2000 témoignages qui vont en ce sens : « La plupart des mères auraient choisi le nom du père pour leur enfant car elles comptaient se marier ou inversement », explique la fondatrice du collectif. La journaliste Titiou Lecoq évoque ce « patriarcat patronymique » lié au mariage dans un article pour Slate :
« C’est avec la multiplication de l’administration dans la deuxième moitié du XIXe siècle et surtout au XXe siècle qu’on va imposer de plus en plus l’usage du nom d’épouse. »
En cas de divorce, qui garde le même nom que les marmots ? On vous laisse deviner. « Beaucoup de femmes se sentent alors invisibilisées et non reconnues en tant que mères », déplore Marine Gatineau-Dupré.
Le double nom de famille à la naissance par défaut, une question de justice
Aujourd’hui, les mœurs ont changé mais la loi de 2002 n’est pas toujours bien intégrée.
« Je voulais que mon fils ait un double nom mais j’ai cédé à la volonté du père à l’accouchement. Plus tard, j’ai appris qu’un recours était possible en cas de désaccord mais l’agent administratif ne m’en avait pas parlé »
Marie*
« Près de 85% des personnes qui ont témoigné ont exprimé des regrets sur le nom de leur enfant : la loi actuelle ne laisse pas un réel choix et est source d’inégalités », abonde Marine Gatineau-Dupré, dont la pétition a déjà recueilli plus de 27 000 signatures.
Avec l’aide du député Patrick Vignal (LREM), le collectif souhaite modifier la législation pour automatiser le double-nom à la naissance. « On inverserait le process actuel en formant les agents administratifs à inscrire le double nom par défaut ; si les deux parents préféraient ne transmettre qu’un nom, ils auraient un formulaire à signer conjointement », explique Marine Gatineau-Dupré, qui assiste le parlementaire dans la démarche.
En 2013, Christiane Taubira avait déjà tenté d’instaurer le double nom automatique, sans succès. Elle avait néanmoins obtenu qu’en cas de désaccord entre les parents, les deux noms étaient attribués, au lieu du seul nom paternel (loi du 17 mai 2013).
« Pour nous, c’est une question de justice : un enfant a deux parents, qui forment une “cellule”. On aimerait ouvrir un débat sur l’équité de cette cellule » explique Patrick Vignal, qui doit rencontrer le Garde des Sceaux en septembre. « À ce stade, on ne sait pas encore si on pourra proposer une loi ou un décret, ça va dépendre de lui. »
Faciliter les démarches pour plus de liberté
La loi actuelle prévoit déjà la possibilité de rajouter son nom à son enfant en nom d’usage (utilisé pour les démarches administratives mais non transmissible)… avec l’accord de l’autre parent.
Belinda* a vécu une relation abusive et s’est séparée du père de sa fille, dont celle-ci porte le nom. Quand elle a voulu donner son nom à sa fille, il a refusé.
« En plus des galères administratives, je vis très mal qu’elle porte le nom de cet homme. Je ne sais même pas s’il compte garder un lien avec elle. »
« On demande à supprimer cette autorisation pour le nom d’usage qui nous paraît ultra-réductrice », commente Marine Gatineau-Dupré. Son collectif revendique également la possibilité d’ajouter son nom en filiation à celui du premier parent, sans condition, en cas de séparation.
« On ne soupçonne pas le nombre de situations où un nom est douloureux à porter, comme dans les cas de violences conjugales, d’inceste, de harcèlement scolaire… Il faudrait faciliter certaines démarches », ajoute Patrick Vignal. Le collectif aimerait permettre aux enfants, à l’âge de 18 ans, de choisir définitivement leur nom de famille, qu’il soit simple ou double.
Une identité égalitaire
Le combat de Porte mon nom a fait écho jusqu’en Espagne, où le double nom est déjà la norme. « Des journaux locaux médiatisent notre action car ils ne comprennent pas que le “pays des droits de l’Homme” soit en retard sur ce sujet », avance Marine Gatineau-Dupré.
Aurait-on si peur du changement ? « La plupart des gens nous critiquent en disant que cela fera des noms à rallonge pour la descendance, mais la loi prévoit déjà qu’en cas de double nom, seul le premier est transmissible », argumente l’Héraultaise. Pour elle, le problème vient surtout d’un manque d’information :
« Il serait bon de sensibiliser les parents à leurs droits, lors de la préparation à l’accouchement par exemple. Un nom, c’est une identité. En transmettant une identité égalitaire, on fera bouger les mentalités. »
*Les noms ont été modifiés pour préserver l’anonymat des personnes interrogées.
Crédits photos : Kelly Sikkema (Unsplash), Laura Garcia (Pexels)
Les Commentaires
Sinon, nous on a eu l'officier d'état-civil qui est venu dans la chambre directement pour notre premier (grosse maternité). Pour la deuxième, c'est mon mari qui l'a déclarée, mais c'était plus simple : on s'était mariés entre-temps et elle doit de toute façon porter le même nom que son frère.
@Kettricken même anecdote pour ma belle-soeur, mes beaux-parents n'étaient pas d'accord et c'est donc lui qui a imposé son prénom lors de la déclaration. Le prénom voulu par ma belle-mère est son deuxième. Bon, par contre, c'est un bon père, un bon grand-père, et un bon beau-père.