Quand j’étais en maternelle, un jour à la sortie de l’école, j’ai vu un papa venir chercher une de mes petites camarades. J’étais étonnée. Le lendemain, il est revenu. Je suis allée le gronder et lui demander pourquoi il revenait. Voir son papa tous les jours, c’est pas normal, si ?
Il m’a regardée comme si j’étais une mini psychopathe, et c’est là que j’ai compris que ma famille n’était pas comme les autres !
Une relation adultère
Ma mère est tombée amoureuse de mon père pendant leurs études. Il était marié, il avait deux enfants en bas âge, mais cela ne les a pas empêchés de démarrer une histoire dans le secret.
Les années ont passé, et dix ans plus tard, le papa de ma mère se suicidait, bouleversant toute la famille. Ma mère fut très secouée suite à cet événement (ça se comprend), et elle décida de faire un enfant dans le dos de mon père. Quand elle lui a annoncé sa grossesse, il a essayé de la persuader d’avorter, en vain.
J’étais le bébé consolateur, sur lequel on se focalisait pour oublier. Ma mère et ma grand-mère ont emménagé dans le même immeuble pour m’élever toutes les deux ensemble et m’inonder d’attention.
Mon père m’a toujours dit que même s’il ne souhaitait pas d’enfant avec ma mère pour des raisons évidentes, il ne m’en a pas moins aimée pour autant. Il venait me voir environ une fois par mois. Il arrivait vers 18h, passait la nuit avec nous et repartait à 5h le lendemain matin. Mes parents me disaient que c’était parce qu’il se déplaçait beaucoup avec son travail.
Quand il me rendait visite, il me racontait des histoires magiques de ses voyages, pleines d’aventures et de jolies choses. Mon papa était un héros. On était tellement heureux tous les trois. J’adorais les voir ensemble.
Vivre dans le secret
Quand j’ai eu 8 ans, ils m’ont enfin expliqué que mon père avait une famille, une femme, deux grands garçons, une maison, et une vie ailleurs. Et que ma mère était sa maitresse. On ne devait pas en parler, car c’était un secret. J’ai compris la situation, et j’étais soulagée de savoir enfin. Mais sa présence me manquait.
Toutes les pièces jetées dans les fontaines, toutes les bougies soufflées, tous les vœux formulés étaient pour que mon père vive avec moi.
L’imaginer avec ses « vrais » enfants me faisait sentir comme une moins que rien, qui ne vaut pas la peine d’être choisie, qui ne vaut pas la peine d’être aimée. Une laissée pour compte. Et j’avais tellement envie de les connaître, ces autres personnes qui avaient la moitié de mon sang, mes demi-frères.
A l’adolescence, j’ai commencé à éprouver un vrai ressentiment envers mon père. Comment pouvait-il faire ça à sa famille, à sa femme ? Pourquoi n’avait-il pas tranché, pourquoi continuait-il à voir ma mère alors qu’il savait que c’était mal ?
Lorsque j’étais au collège, elle lui a demandé de choisir entre eux ou nous. Il a choisi.
Une famille éclatée
Et comme d’après lui il lui était impossible de voir ma mère « en amie », ses visites se sont beaucoup espacées, et depuis je ne le vois qu’une fois par an ou moins. C’est aussi à ce moment-là que ma relation avec ma mère s’est dégradée puis totalement étiolée, définitivement. On ne s’est plus jamais comprises.
Quand j’en parlais à mon père, il me disait : « Sois gentille avec elle ! Mais bon c’est sûr que moi je ne pourrais jamais vivre avec, la vie est déjà dure, mais elle la rend infernale ! » Sympa. Donc c’est moi qui doit gérer alors ? Euh excusez moi mais j’ai 13 ans je vous rappelle, hein !
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Elle rejetait sa frustration et sa peine sur moi. Parfois elle menaçait de se tuer lorsqu’on se disputait. Je partais au cinéma avec la peur au ventre de la retrouver morte. Elle avait des réactions violentes, ne pouvait pas supporter que je développe une vie en dehors de chez nous.
Elle me voulait à la maison tout le temps, avec la peur maladive qu’il m’arrive quelque chose. Son amour déraisonnable m’étouffait.
Pourtant je faisais de mon mieux, je n’étais pas une ado difficile vis-à-vis de notre situation, je pense que j’aurai pu être bien pire ! J’avais de bonnes notes, je ne prenais pas de risques, j’étais pleine de rêves, pleine de vie et de joie. J’ai toujours été très optimiste, très souriante. Je vivais dans mon monde de conte de fées.
J’en souffre d’ailleurs maintenant, car les gens disent souvent ne pas m’aimer parce que j’ai une vie trop facile, que je souris trop, que j’ai un air niais pénible, que je ne sais pas ce que c’est que d’avoir des problèmes. Ils ne savent pas, ils ne reconnaissent pas ma douleur, car j’ai tout simplement décidé de ne pas la montrer, d’être positive et courageuse.
Mais ça engendre un manque de reconnaissance chez moi. Au propre comme au figuré, puisque mon père non plus ne veut pas me reconnaître. Ne veut pas admettre que je fais partie de sa vie.
Il y a quelques temps, il a eu une leucémie. Quand il m’a rendu visite, il a prononcé des mots que je ne pourrai jamais oublier. Il m’a dit qu’il stressait et culpabilisait tellement de sa double vie que cela avait causé sa leucémie, et que donc il n’avait pas besoin EN PLUS que je veuille me révéler au grand jour.
Indirectement, j’avais causé sa leucémie. Moi qui n’ai rien demandé. Qui n’ai pas eu de papa, qui avais la honte à l’école sur les fiches de renseignements quand je devais barrer la case « père », moi qui ne savais pas quoi répondre aux autres enfants, qui était privée de mes grands-parents, d’une enfance normale, qui devais subir les crises de ma mère.
Et puis, même avec les garçons, à l’adolescence c’était difficile. Je ne savais pas comment fonctionnait un homme, sans grand-père, ni père, ni frère. Sans re-père (coucou Sniper ! Oui je sais, jolie référence ! ).
Et maintenant ?
Je ne vis plus avec ma mère, et je me suis donc libérée d’une certaine tension quotidienne.
Mais un jour, j’ai décidé que de gré ou de force j’allais rencontrer cette autre famille. J’ai commencé à me renseigner, à imaginer comment je pouvais les contacter. C’est alors que la maman de mon père est décédée, puis son père quelques semaines après car il refusait de s’alimenter depuis la mort de sa femme. Je ne pourrai jamais les connaître. Mon histoire est de plus en plus joyeuse…
Quand j’ai demandé à mon père s’il pouvait enfin prendre sur lui et assumer notre situation, il m’a répondu : « Oui, peut-être un jour, tu pourras les rencontrer. ». J’ai repris espoir, jusqu’à ce qu’il ajoute : « Quand je serai mort ! ». Courageux et classe, je trouve. Je suis blasée.
Aujourd’hui j’ai 23 ans, et j’ai vraiment envie de rencontrer mes deux frères. L’un deux a une petite fille. J’ai donc une nièce. Peut-être qu’elle me ressemble ? Peut-être que j’ai des points communs avec eux ? Ils me détesteront sûrement. Peut-être qu’ils ne voudront jamais essayer de me connaître. Mais je ne sais pas, c’est quelque chose qui brûle en moi. Ce besoin que mon père m’assume, dise que j’existe. De sortir de l’ombre.
En fait mon problème actuel est un problème de conscience. Même si ça m’enlèverait un poids, ai-je le droit de détruire une famille ? Si je débarque dans leur vie, mon père sera peut-être jeté dehors, et je ne veux pas qu’il souffre et finisse sa vie seul. Ai-je assez de cran pour faire ça à un foyer tout entier ? Est ce que j’arriverai à me regarder dans un miroir après ça ? Après avoir fait passer mon envie égoïste devant le bonheur paisible de plusieurs autres personnes ?
Je ne sais pas du tout.
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Je suis étudiante à l'EHESS (École des hautes études en sciences sociales) et je réalise mon mémoire de Master en sciences humaines et sociales sur les enfants adultérins dans la société française contemporaine. Dans ce cadre, je cherche à réaliser des entretiens avec des personnes nées de relations extraconjugales.
Si vous êtes personnellement concerné.e par le sujet, n’hésitez pas à me contacter par mail à l’adresse [email protected]. Ces entretiens seront bien entendu restitués de manière à garantir l'anonymat des personnes interrogées.
En espérant que vous accepterez de m'aider dans cette recherche, je reste à votre disposition pour toute information qui vous manquerait.
Camille