De ma naissance à mes 18 ans, j’ai exclusivement vécu dans la campagne picarde. Pas la campagne profonde non plus, mais la campagne tout de même, avec la vue sur les vaches et les champs quand tu ouvres les volets et l’air qui pourrait être pur s’il n’y avait pas les usines. Et des usines, il y en a puisque ce n’est pas parce qu’on ne vit pas dans une grande ville qu’on n’y travaille pas, qu’on a pas de loyers à payer et qu’on se nourrit exclusivement de pommes de terre du jardin. Je sais, ça surprend.
Les clichés sur la vie à la campagne ont la dent dure. On nous imagine souvent porter uniquement de gros gilets tout pelucheux et des bottes en caoutchouc, parler avec un accent étrange et regarder par la fenêtre en fumant la pipe. Sans rire, des fois j’arrive à faire croire à des gens qui ne connaissent pas vraiment la campagne que nos toilettes au collège étaient au fond de la cour, en bois, et se composaient d’un trou dans le sol et de papier journal pour s’essuyer. Ça marche pas à tous les coups, mais quand les gens me croient, je suis pas peu fière de moi.
Au-delà de ces clichés, bien souvent totalement exagérés, il faut bien avouer que nous autres, qui avons grandi à la campagne, partageons tout de même quelques dénominateurs communs. En voici une liste non exhaustive.
Jouer avec des pneus de tracteur
Il est rare qu’en termes de stéréotypes, la réalité dépasse la fiction. C’est pourtant ici le cas. À l’école maternelle, on avait bien sûr des toboggans et balançoires pour rigoler pendant la récré, mais on pouvait rarement y aller parce que l’endroit de la cour dans laquelle ils étaient installés devenait couvert d’une boue glissante à la moindre goutte de pluie (et qui dit Picardie dit vie sous la pluie, c’est bien connu).
Du coup, on restait dans la partie de la cour où les seuls objets pour s’amuser étaient des pneus. Des pneus de tracteur, déjà, posés à plat par terre pour qu’on puisse s’asseoir dessus, et des pneus de voiture pour les faire rouler et sauter dedans. Je pensais que c’était bien spécifique à mon enfance, mais non : mes amis qui ont eux aussi grandi dans l’Aisne avaient le même outil ludique. Et on s’amusait tous, pour de vrai !
C’est avec émotion que je te le dis : oui, mon premier bisou sur la joue par mon premier amoureux, je l’ai reçu assise sur un pneu de tracteur.
Jamais de ma vie entière je n’oublierai l’odeur de caoutchouc sale et l’aspect rugueux au toucher (à cause de la terre qui a séché) de ces jouets improvisés. Je renifle un pneu et bim, mon enfance me revient en pleine face.
Et jamais je ne nettoierai ce souvenir sale.
La relourdise du « et toi, t’habites où ? »
Faisons un petit saut de chat dans le passé : tu as 10 ans et tu te fais des copains de vacances sur la plage de La Baule. Soudain vient le tour de serviette pour situer géographiquement autrui. Pour les Parisiens, c’était facile. Il suffisait de se souvenir que c’était la ville que la dame de la météo montrait tous les jours pour visualiser un peu. Pour les Lyonnais, Toulousains ou Lillois, c’était un peu plus compliqué mais même à dix ans on avait au moins une fois entendu le nom de leur ville au JT et on savait qu’il y faisait bon vivre.
Quand tu grandis à la campagne, c’est un peu plus difficile. Exemple :
– Et toi boudin, tu viens d’où ? – Je vis dans l’Aisne. – C’est où ça, l’Ène ? – Bah… C’est quelque part entre Paris et Lille. Et entre Reims et Amiens aussi. – Ah bah tu dois avoir plein de trucs à faire c’est cool. – Nan mais c’est à une heure de route de chaque hein. C’est pas parce qu’il y a plein de trucs à une heure de route que chez moi c’est Saint-Tropez.
J’ai une théorie, d’ailleurs : s’il n’y a pas de grandes villes dans l’Aisne, c’est justement parce qu’il y en a trop autour et que sans ce no man’s land, le sol s’effondrerait et la Terre se mangerait elle-même.
Maintenant, c’est beaucoup plus simple : quand on me demande où je suis née, ça fait
:
– Et toi, tu viens d’où ? – Ta gueule. Je te connais pas, je t’aime bien déjà, mais là, ta gueule.
La lassitude, tu vois. Vingt-quatre années à t’acharner à faire comprendre d’où tu viens, c’est comme grandir dans le bayou : ça endurcit.
Les poupées de maïs
Avec le recul, je réalise que je gâchais de la nourriture et je m’en veux un peu (enfin disons que j’en veux à moi-étant-petite) : dès que je passais à côté d’un champ de maïs, j’arrachais un épi, je retirais partiellement ses feuilles pour que ça fasse une robe, je mettais les soies sur le côté pour que ça ait l’air de cheveux et je l’appelais Monique.
Ma poupée de maïs, elle s’appelait toujours Monique.
Les piqûres d’ortie
Je sais pas comment ça se passe en ville. Peut-être que votre première douleur en balade, c’est de vous faire rouler sur le pied par un bus. Moi en tout cas, à la campagne, c’était les piqûres d’ortie.
C’est joli, les orties, ça ressemble à la chlorophylle qu’on voit en photo sur les paquets d’Hollywood Chewing Gum. Quand on s’est pas encore renseignée sur la plante et qu’on est petite, c’est tout naturellement qu’on a envie de s’en approcher et d’en prendre une feuille pour la passer sur son visage.
J’te hais.
Laisse-moi te dire que c’est une belle idée de merde : très vite, la partie du corps qui est rentrée en contact avec la plante de Satan devient rouge et pique de manière modérée, avant de démanger furieusement. Ça dure quelques minutes, mais ça suffit pour donner envie de se plonger cul nu dans un bain glacé.
J’imagine que celles d’entre vous qui ont grandi à la mer se disent que « ah bah oui, c’est comme moi et les méduses » et là c’est avec beaucoup de compassion que je te mets la main sur l’épaule et que je te réponds :
« Non. Toi c’est pire. Les méduses, c’est gluant, ça bouge et quand tu te fais piquer, tout le monde insiste pour t’uriner dessus. Jamais je ne surestimerai ta douleur. »
TOUJOURS DES CHATS DES CHATS PARTOUT
Depuis que je vis dans une ville, quelque chose me manque particulièrement : les chats des voisins. Parce qu’à la campagne, tout le monde s’en fout, y a pas de risques : les animaux sont élevés dehors et sont plutôt indépendants. Généralement, après avoir mangé leur repas, ils dorment au soleil et vont chercher les restes dans les assiettes des voisins.
Du coup, j’ai grandi avec des chats partout, PARTOUT dans le jardin. Ils étaient beaux, ils étaient doux et je les appelais tous Biscotte ou Grisou (des noms nuls, quoi). Je leur faisais des câlins et je pleurais quand il leur arrivait de mourir (quelle idée).
Maintenant, les choses ont changé. Déjà, ça fait un an que j’essaie de convaincre mes parents d’appeler leur chat Rondelle, et puis en plus, en ville, les gens n’ont que rarement un jardin et ont trop peur que leur bestiole se fasse écraser pour la laisser sortir et lui permettre de venir jusqu’à moi.
Je crois bien que jamais je ne voudrais retourner vivre à la campagne (qu’on est nombreux à quitter dès que nos études nous invitent à le faire) (eh non, contre toute attente, il n’y a pas d’université ou de grandes écoles autour de Bichancourt, 02), mais eh, on est entre nous alors je me permets de confier la vérité : y a des jours, quand le monde m’a rendue ronchon et que je ne peux rien y faire, où j’aimerais bien, le temps de quelques minutes, revenir à l’époque où un pneu suffisait à me consoler.
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Les Commentaires
Quand j'y repense, les autres familles devaient nous regarder avec pitié ?
et je me demande soudain où mon père avait récupéré ces pneus à la base ??...