Le 28 mai 2014
Quand j’ai eu mes règles, j’ai aussi gagné des souffrances mensuelles très fortes. Personne ne les prenait au sérieux : mes « amies » me demandaient d’arrêter ma « comédie », et les médecins me disaient que je devais être un peu courageuse.
Comme beaucoup de femmes, je souffre d’endométriose.
L’endométriose expliquée
L’endomètre est une muqueuse, présente dans notre utérus, qui grossit pendant le cycle menstruel. Lorsqu’elle devient bien épaisse, elle permet à l’ovule fécondé de se fixer dans l’utérus et de se développer en futur bébé. Sinon, elle est expulsée du corps et devient… nos règles !
Chez certaines personnes, certaines cellules de cet endomètre ne vont pas sortir du corps et vont aller se greffer ailleurs : sur les ovaires, la vessie, les intestins ou même les poumons… Les tissus vont continuer à se développer, devenant des lésions, sortes de « tumeurs ».
Il en existe plusieurs types : des nodules (une sorte de masse qui peut être superficielle dans de nombreux cas mais qui peut aussi envahir complètement un organe), des kystes et des adhérences (les lésions agissent comme de la glu et collent les organes les uns aux autres, les déformant).
Le gène responsable de l’endométriose a été découvert en 2021, bel espoir pour la recherche. En attendant, ses symptômes sont nombreux, et difficiles à vivre. Ce sont de très fortes douleurs (pendant les règles, les rapports, mais aussi au quotidien…), des troubles digestifs, des kystes, de la fatigue, l’infertilité… Tout un programme !
Des douleurs de règles insoutenables
Dès mes premières règles, à 14 ans, j’ai compris qu’il y avait un problème. La douleur était abominable. Je ne tenais pas debout, je pleurais, je tournais de l’œil… Le plus difficile est le jugement des gens : j’ai eu la chance d’être assez vite soutenue par ma famille, même si au début, je les agaçais à me plaindre tout le temps.
Ils pensaient que j’étais un peu douillette et que ça allait passer avec l’âge, mais ils n’ont jamais levé les yeux au ciel.
Ma mère avait mal au ventre pendant ses règles ; ça ne lui paraissait donc pas effarant que je vive la même chose. Elle me donnait du Spasfon et attendait patiemment que j’arrête de me plaindre.
En revanche, l’infirmière de mon lycée et les professeurs ne me prenaient absolument pas au sérieux, me traitant de « petite nature » — un discours très culpabilisant qui revient dans de nombreux cas d’endométriose.
« Pauvre petite chochotte, toutes les femmes ont leurs règles, elle croit être l’exception, celle-là ! N’importe quelle fille te dira la même chose ! », s’exclamaient-ils.
Même mes « amies » s’y mettaient quand je ne voulais pas sortir ou que je me plaignais de ces douleurs. Je me souviens d’une après-midi où nous étions allées faire du shopping avec des copines.
J’ai eu tellement mal que j’ai voulu m’asseoir sur un banc, et elles sont parties, en me disant que « Quand j’en aurais marre de faire le bébé, je pourrais les rejoindre ». Nous ne sommes plus en contact, bizarrement.
Quelques mois plus tard, j’ai ressenti des douleurs atroces pendant trois jours d’affilée. Je n’arrivais pas à être assise en cours, et je me suis faite coller parce que je me tenais mal.
J’ai insisté auprès de mes parents pour aller à l’hôpital : on a découvert un kyste de plusieurs centimètres près de mon ovaire gauche.
On m’a fait faire des analyses, des échographies, des palpations… Les médecins ont dit que c’était comme ça, qu’il n’y avait rien à faire. On m’a donné la pilule en me disant qu’avec des règles régulières, ça se calmerait tout seul.
Les douleurs pendant la pénétration à cause de l’endométriose
Au début ça allait. J’ai cru que le problème était réglé. Mais à 15-16 ans est arrivé le temps des amours et des premières expériences sexuelles. Un désastre.
J’avais tellement mal que je ne pouvais jamais faire l’amour « jusqu’au bout ». Je me suis fait traiter de « frigide » et larguée sans état d’âme par des garçons qui ne voulaient pas comprendre, qui n’avaient jamais vu ça.
Je continuais à croire qu’il y avait un réel souci, même si je commençais à avoir peur que toutes les femmes aient vraiment mal comme ça, ou pire, que je sois folle et que je m’invente une douleur…
J’ai vu de nombreux médecins qui m’ont tous regardée de haut en me disant que les femmes souffraient depuis plusieurs millénaires et que je devais faire avec… J’ai fait des batteries de tests, des échographies, des prises de sang.
Je me souviens d’un médecin qui m’a fait passer un test de grossesse alors que je n’avais pas eu de relation depuis plus de six mois, et que je lui disais que les douleurs étaient présentes depuis plusieurs années.
Mais la réponse dans ce genre de cas était : « C’est pas vous la spécialiste. »
C’est mon médecin traitant et la gynécologue de ma mère qui ont eu l’idée, l’intuition, un jour. L’endométriose.
Elle est généralement présente chez les femmes plus âgées (de 25 à 50 ans) : personne n’y avait pensé. Ma mère, qui travaille dans le domaine de la santé, était effarée.
Mon opération contre l’endométriose
J’ai fait une IRM, sur laquelle on pouvait voir deux choses : j’avais des adhérences et mon utérus était à l’envers. Avoir un utérus rétroversé (l’utérus est incliné en arrière) ou rétrofléchi (l’utérus et le col sont inclinés en arrière) est courant, et pas très grave.
Seulement, les adhérences s’étaient posées sur l’utérus et l’avaient complètement plié. Imaginez une paille que vous pliez en deux. La zone du pli, c’était mon utérus.
La différence entre un utérus rétroversé ou rétrofléchi naturel, et un qui est dû à l’endométriose, est sa mobilité. S’il est fixé, ça peut vouloir dire qu’il y a adhérence, ce qui était mon cas.
Et ma douleur venait des muscles (car l’utérus est surtout constitué de muscles, les plus puissants chez la femme) qui étaient tellement pliés que le moindre effort provoquait une crampe très forte et très longue qui se répercutait ensuite dans tous les muscles du bas-ventre, causant mes douleurs quotidiennes.
J’avais pourtant de la chance : il y a dans ma région l’un des grands (et rares) spécialistes mondiaux de cette maladie. Il m’a opérée, en cœlioscopie, pour remettre mon utérus en position normale. Pour cela, il faut couper des ligaments et en tendre d’autres. C’est douloureux.
Puis il m’a donné une pilule à prendre en continu pour que la maladie ne puisse pas se développer. En théorie, plus de règles ; plus d’endomètre. Plus d’endomètre ; plus d’endométriose. Pas de palais ; pas de palais.
Et le temps a passé. La pilule en continu m’a fait prendre une vingtaine de kilos en quatre ans. J’ai rencontré un garçon gentil, je lui ai expliqué ma maladie, il n’a pas tout compris mais il fait avec.
On a déménagé à l’autre bout de la France pour mes études. Et puis la douleur est revenue, petit à petit.
Le retour de l’endométriose
D’abord, j’ai commencé à avoir mal après les rapports sexuels. Ça a dû marquer mon copain, parce qu’il a trouvé l’unique solution anti-douleur à ce jour : la bouillotte brûlante posée sur le bas-ventre ou sur les reins, à l’arrière du dos.
Il a été très présent, passant de longues heures à me caresser l’épaule, un peu impuissant, ou à me renouveler ma bouillotte quand elle commençait à refroidir.
Assez vite, la douleur est devenue permanente, insupportable. Quand je faisais du sport, quand je montais des escaliers, quand j’avais faim, quand je mangeais, quand j’allais aux toilettes… Et difficile d’emporter une bouillotte avec soi lorsque l’on passe un partiel. J’avais mal, tout le temps ; j’en étais épuisée et j’en pleurais, de douleur et de découragement.
Lorsque je suis retournée voir le spécialiste, cela faisait trois ans que j’avais été opérée. Il y avait de nouvelles taches sur l’IRM, et mon utérus était plus à l’envers que jamais.
La première opération n’avait pas tenu. Les ligaments s’étaient détendus et l’utérus était retombé en arrière, tracté par les adhérences.
Il m’a alors donné un traitement qui arrête la production d’hormones. On stoppe complètement les machines. Une ménopause artificielle, plus d’oestrogènes, pour assécher et faire disparaître l’endomètre. Là dessus, il m’a ré-opérée.
Il n’a toujours pas réussi à enlever les adhérences, qui sont cachées sous mon utérus (inaccessibles sans risquer de détériorer mes organes). Il a à nouveau remis mon utérus dans une position supportable à défaut d’être normale. En espérant que cette fois, cela tiendrait.
Ma vie avec l’endométriose
Aujourd’hui, ça va faire un an que j’ai été ré-opérée. J’ai un suivi très régulier pour être sûre que ça tienne bien. Pour le moment, mon brave utérus n’a pas bougé et reste bien à sa place.
J’ai des douleurs, par phases. Une fois tous les deux ou trois mois, de façon tout à fait aléatoire, j’ai une période difficile pendant laquelle j’ai très mal.
Mais globalement, les progestatifs (les médicaments qui causent la ménopause artificielle) ont vraiment amélioré mes conditions de vie. J’ai pu reprendre le sport, j’ai moins mal, je gonfle moins…
Je dois quand même dire que j’ai de la chance. D’avoir été aussi tenace, de ne pas avoir lâché, jusqu’à ce qu’on trouve… De la chance d’avoir rencontré ce spécialiste, qui a pu m’expliquer cette maladie que je ne comprenais pas.
De la chance, enfin, d’être aussi soutenue par mon copain qui a encore un peu de mal à saisir toutes ces histoires de muqueuses et d’œstrogènes, et par ma famille qui a regretté de ne pas avoir pris mes plaintes au sérieux dès le début.
Ma petite sœur a souvent mal, et mes parents ont retenu la leçon : elle va passer des tests pour pouvoir prendre en charge la maladie si elle est aussi atteinte (il y a une prédisposition familiale à l’endométriose).
Même mes amis, qui en ont entendu parler lors de la marche contre l’endométriose, le 13 mars (j’étais en tête de cortège, portant fièrement la banderole !) en parlent à leur proches, et depuis l’année dernières, deux « amies d’amis » ont été diagnostiquées comme ça.
Ce n’est pas mortel, je le sais bien. Il y a toujours pire et j’arrive à vivre relativement bien avec mon endométriose, maintenant que c’est un peu cadré. Mais c’est toujours difficile d’expliquer à son supérieur pourquoi on veut rentrer plus tôt chez soi. Et maintenant que j’habite à Paris, le métro est une épreuve…
Quand j’ai mal, je voudrais m’asseoir, mais comment expliquer aux gens qu’ils devraient laisser leur place à la petite nana jeune et qui semble en bonne santé ? Le temps de rentrer dans les détails, je serais arrivée à destination… Je serre les dents et je pense à ma bouillotte.
Ce n’est pas normal d’avoir aussi mal
Cette maladie n’est pas connue. Elle n’est que très peu diagnostiquée. Les médecins n’y pensent pas, parce qu’elle n’est qu’anecdotique dans les cours de médecine.
Pourtant, on estime qu’elle est présente chez une femme sur dix. On la diagnostique chez beaucoup de femmes qui consultent pour infertilité — elle en est l’une des principales causes (comme le montre le rapport de l’Inserm).
Moi, je pourrai avoir des enfants, parce que j’ai été diagnostiquée à temps. Ça ne sera pas facile, et je devrai peut-être faire appel à la médecine, mais je ne suis pas encore stérile. Toutes les femmes n’ont pas cette chance…
Si vous avez des symptômes qui ressemblent à de l’endométriose, n’attendez pas pour en parler à votre gynéco, sage-femme ou généraliste !
Image de une : Polina Zimmerman / Pexels
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Les Commentaires
Tout d’abord je voudrais envoyer tout mon courage et beaucoup d’ondes positives à toutes celles qui souffrent de cette maladie ainsi qu’à toutes celles qui sont encore dans l’attente d’un diagnostic et qui souffrent sans pouvoir mettre de mots sur leurs maux.
Mon histoire rejoint un peu celles déjà racontées sur ce post. J’ai 25 ans, j’ai eu mes règles en milieu de sixième. Les premières crises de douleur sont apparues à la fin de mon année de troisième. Mes parents m’ont emmenée voir une gyneco quelques temps après car j’ai la sœur de ma mère qui est atteinte d’endométriose. La gyneco n’a rien vu à l’echographie endo vaginale et du coup on a cru que tout allait bien. J’ai continué ma petite vie avec l’idée que c’était normal de souffrir le martyre le premier jour de ses règles. Les années passent, je re consulte une gynécologue pour un frottis et je lui explique également mes douleurs. Elle ne voit rien non plus à l’echographie (endo vaginale) et m’assure que tout roule, que mes ovaires vont très bien et que mon utérus a une épaisseur normale. Honnêtement, j’étais soulagée mais il y avait quand même cette petite voix au fond de moi qui me disait que tout n’était peut-être pas si normal que ça...D’autant plus que je « connaissais » l’endometriose par ma tatie (qui était d’ailleurs la seule à me comprendre et ça ça m’a mis la puce à l’oreille). J’ai quand même décidé de faire confiance et de continuer mon chemin jusqu’à il y a quelques temps où j’ai pris rendez-vous avec un gyneco spécialiste de l’endometriose. J’y allais parce que j’espérais que lui allait m’enlever cette idée de la tête. Si un spécialiste me disait que je n’avais rien, alors là je pouvais vraiment avoir confiance et tourner la page.
Sauf que pas tout. Il m’a examinée et suspecte que je suis atteinte d’endometriose pelvienne et sur l’ovaire gauche. J’ai aussi de l’adenomyose (endométriose à l’interieur de l’uterus). Il voulait me mettre sous traitement hormonal mais comme je lui ai dit que j’avais un projet bébé, il m’a dit d’essayer naturellement et de voir ce que ça donnait. Je dois également passer un IRM dans un mois pour mieux voir les lésions, leurs localisations et connaître le stade de la maladie. Je vous avoue que j’étais effondrée par un tel diagnostic parce que j’etais dans l’incompréhension la plus totale : je connaissais la maladie, j’avais consulté à plusieurs reprises et on était quand même passé à coté. Soit certains gyneco sont totalement incompétents et pas assez formés pour lire une echographie, soit les lésions étaient trop minimes avant et donc difficiles à voir... Toujours est il que j’espère que la maladie ne s’est pas trop étendue pour que je réussisse à avoir mon bébé naturellement. J’ai espoir.
Au delà de mon témoignage, je voulais aussi dire que je pense que les statistiques de femmes atteintes sont sous évaluées. Comme c’est une maladie que l’on connaît très peu (même si elle sort de l’ombre ces dernières années) il y a peu d’etudes qui sont menées. Ce n’est que mon avis, mais je crois aussi qu’il faut rester vigilant. Les chirurgiens ont toujours voulu enlever l’utérus de ma tatie qui a refusé à chaque fois. Au final, elle a 46 ans aujourd’hui, toujours avec son utérus et elle ne souffre plus grâce à son traitement médical.
Et pour terminer, j’aimerais tellement qu’un jour on arrête de dire « c’est une maladie begnigne ». Encore une fois, tout dépend de l’atteinte mais c’est loin d’être une maladie anodine. Elle nous pousse à faire des choix qui sont lourds de conséquences sur nos vies autant sur le plan émotionnel et psychologique que physique.