Mon poids a commencé à être considéré comme problématique dès mon adolescence. Avant cela, tout allait bien. Mon corps était conforme aux standards sociétaux, pour une petite fille. Mais à 12 ans, ma mère est morte d’un cancer. Et moi, pour me protéger du deuil et de la douleur, je me suis réfugiée dans la nourriture. Entre troubles du comportement alimentaire et yoyo sur la balance, j’ai été en conflit avec mon corps jusqu’à mes 32 ans. Deux décennies.
Si je recevais parfois des réflexions sur mon poids de la part des gens que je fréquentais, de ma famille, de mes petits amis de l’époque ou de n’importe quel docteur que je consultais (même pour une simple angine, mon poids était pointé du doigt), je m’en foutais un peu.
Ça me touchait, bien sûr, mais j’arrivais plutôt bien à me détacher de ce que je prenais dans la tronche. J’apprenais à accepter mon corps, je faisais une thérapie pour apprendre à vivre avec l’absence de ma mère, c’était un gros travail psychologique. Mon poids ne changeait pas, mais j’étais en paix avec ça. Jusqu’au jour où j’ai rencontré celui qui allait devenir mon mari, et que l’envie d’avoir des enfants avec lui pointe le bout de son nez.
La grossophobie médicale avant même de tomber enceinte
Je m’en souviens comme si c’était hier : j’allais bientôt avoir 30 ans, et j’étais allongée sur la table d’auscultation de mon gynécologue, les jambes écartées, un spéculum dans le vagin, avec la tête du praticien au milieu, pendant qu’il regardait mon col, lors d’une consultation de routine.
Il essayait de me faire penser à autre chose, ce moment n’étant pas des plus agréables. On parlait de ma vie amoureuse, de ce nouveau mec que j’avais rencontré et dont j’étais très amoureuse, de notre projet de mariage…
Et je lui ai dit qu’on pensait se lancer dans la conception d’un bébé. Le docteur a pouffé, et a lâché : « oula, vu votre obésité, ça va vous prendre des années pour faire un bébé. Il vaudrait mieux vous y mettre dès maintenant, ça ne risque pas d’être une partie de plaisir ! ».
Cet abruti me balançait ça, sa sale tête toujours entre mes cuisses, son regard posé sur l’intérieur de mon vagin, comme si de rien n’était. J’étais stupéfaite. Tellement sous le choc, que je n’ai rien répondu.
Je ne suis plus jamais retournée le voir. Et deux mois après, je tombais enceinte de mon premier fils.
Une première grossesse tentée de réflexions grossophobes
La grossesse n’a pas été un super moment. Entre les nausées, la fatigue et les baisses de tension, je n’aimais vraiment pas ça. Je ne m’étais jamais imaginé que ce moment serait des plus fabuleux non plus. Quand on est orpheline, on apprend à ne plus rien attendre de grandiose dans la vie, ça fait partie du jeu. Je vivais cette grossesse sans ma famille — mon père était aussi décédé quelques années plus tôt — mais mon mari était très présent, fort heureusement.
Psychologiquement, j’avais du mal à me projeter comme une future mère, puisqu’il me manquait la mienne. C’était un moment assez intense, mais j’essayais d’être forte et de me plaindre le moins possible. Pendant les trois premiers mois, d’un point de vue médical, il n’y avait aucun souci. Le personnel médical me traitait comme n’importe quelle autre patiente, je ne subissais pas de réflexions sur mon poids.
Jusqu’au jour où j’ai dû m’inscrire dans une maternité. J’avais envisagé celle des Bluets à Paris, pour sa réputation. Mais après une consultation là-bas, j’ai été recalée, très froidement. La raison ? Mon IMC — Indice de masse corporelle, NDLR — était légèrement supérieur à 38. À l’époque, je mesurais 1,72 m, et je pesais 110 kg. Ils ne pouvaient pas me prendre en charge, j’étais considérée comme étant une patiente à risque, et il n’avait pas l’équipement nécessaire pour me prendre en charge. De quels équipements parle-t-on ? Je ne le sais toujours pas. Peut-être un monte-charge ? J’étais dégoutée.
Toujours est-il qu’ils m’ont orientée vers la maternité de Trousseau, de niveau 3, adaptée aux grossesses dites « compliquées » ou « à risques ». Moi qui pensais qu’en dehors des maux classiques de grossesse, j’allais bien, on me considérait en fait tout autrement, et j’accusais le coup.
Un personnel médical méprisant
Tout au long de ces neuf mois, j’avais été en pleine forme, médicalement parlant. Mes analyses de sang étaient parfaites, et je ne faisais même pas de diabète gestationnel, alors que c’était, d’après les médecins, impossible que je n’en fasse pas avec mon poids. J’ai même dû passer deux fois le test de dépistage, parce qu’ils pensaient que les résultats étaient faux. Ne leur en déplaise, je n’avais rien.
J’ai aussi pu, à chacune de mes échographies trimestrielles, avoir le droit à des réflexions horribles sur mon corps. Par exemple, l’échographe en charge de mon suivi m’appuyait extrêmement fort sur le ventre pour passer la sonde, en soufflant et râlant bien fort, murmurant « comment voulez-vous que je vois quelque chose avec toute cette graisse ! ».
Je ressortais de là avec des bleus au ventre, et le moral dans les chaussettes. L’échographe me disait qu’elle ne pouvait pas être sûre à 100% que mon bébé allait bien, puisque sa vision était « pas nette à cause de la masse graisseuse » et que « il ne fallait pas que je me plaigne si mon enfant avait une pathologie à la naissance qu’elle n’avait pas pu déceler à cause de mon poids ».
Quelques mois plus tard, ayant demandé la péridurale pour mon futur accouchement, j’ai dû, lors des derniers rendez-vous prénatals, rencontrer l’anesthésiste de l’hôpital. Ce dernier devait vérifier mes derniers bilans sanguins et regarder mon dos, pour voir si la piqure entre les vertèbres était possible. Avant même de m’ausculter, il s’est assis dernière son bureau, et m’a dit « je sais que je ne pourrai pas vous anesthésier pour votre accouchement, vous avez sûrement trop de graisse dans le dos. Il faut vous préparer à accoucher sans péridurale ».
Mais par acquit de conscience, il a quand même fait le tour de son petit bureau pour regarder ma colonne vertébrale, et a finalement déclaré « ah non, c’est bon, vous n’êtes pas si grosse du dos ». Après cet ascenseur émotionnel et la violence de ses propos, je ressortais en pleurs de la consultation.
Un accouchement compliqué, mais sans rapport avec le poids
J’ai eu un accouchement compliqué. Alors qu’on me promettait, depuis des mois, un possible accouchement prématuré à cause de mon obésité, mon fils a dû être déclenché trois jours après son terme. Le déclenchement — l’insertion d’un ballon dans mon vagin pour forcer mon col à s’ouvrir, plus des perfusions d’ocytocine — ne donnait rien, et mon fils commençait à fatiguer, son rythme cardiaque ralentissait trop.
Mais hop, une césarienne en urgence plus tard, il était là, et tout allait bien. Pendant mon séjour à la maternité, je n’ai pas entendu de réflexions sur mon poids. Tout le monde s’en foutait, la seule chose qui intéressait les médecins, c’était la santé de mon fils. Et heureusement, il allait très bien.
La grossophobie médicale pendant une fausse-couche
Après une grosse dépression du post-partum qui m’a collée aux fesses pendant 3 ans, on décidait, avec mon mari, d’avoir un deuxième enfant, cinq ans après mon premier accouchement. Et comme lors de ma première grossesse, en deux mois, je tombais enceinte. Mais cette grossesse était différente, je le sentais, sans pouvoir l’expliquer. Quelque chose clochait. Au bout d’à peine 6 semaines, je me rendais en urgences à la maternité pour des saignements conséquents. Résultat des courses : je faisais une fausse-couche. Ça arrivait, je le savais.
Je ne m’étais pas encore suffisamment projetée dans cette nouvelle grossesse pour être très affectée, mais j’étais tout de même bien chamboulée. Mais ce qui m’a le plus fait de mal, en dehors d’avoir perdu un embryon ? La réflexion de l’interne de l’hôpital, en me délivrant une ordonnance pour calmer mes douleurs utérines pendant que mon corps finissait d’expulser celui qui aurait dû être mon futur enfant :
Merci la culpabilisation. Après avoir pleuré toutes les larmes de mon corps, après avoir maudit tous ces médecins qui me voient comme une anomalie, après avoir déchargé toute ma colère, je décidais que c’était terminé. Je n’allais plus laisser passer la moindre réflexion.
J’étais une personne, pas un bout de viande. Mon corps l’avait prouvé : mon poids de l’affectait pas. Oui, j’étais obèse. Je le savais. Je n’avais pas besoin qu’on me le rappelle, j’en étais parfaitement consciente. Je voulais de la bienveillance, de la tolérance, et je me promettais qu’à l’avenir, je ne laisserais plus jamais personne me rabaisser en me jugeant sur ma surcharge pondérale.
Une dernière grossesse, tout à fait normale
Deux mois après ma fausse-couche, je retombais enceinte. À la surprise générale (à commencer par la mienne), je n’ai pris que 6 kilos pendant cette grossesse. 6 kg, ce n’était rien. Et je ne sais pas si les mentalités avaient évoluée entre la naissance de mon fils et celle de ma fille, mais je n’ai pas eu de réflexions sur mon poids.
Je n’ai pas dû faire deux fois le test de dépistage du diabète gestationnel (je n’en avais toujours pas), et l’anesthésiste, qui n’était pas la même personne, ne m’a pas menacée de ne pas pouvoir me prodiguer la péridurale. Mon fils est arrivé également par césarienne, à terme, et en pleine forme.
Et une chose étrange s’est produite, que je ne peux toujours pas expliquer (ni les médecins d’ailleurs) : depuis mon retour de la maternité, c’était à dire il y a bientôt trois ans maintenant : je perds du poids. Pas de façon inquiétante, pas de quoi interroger les docteurs, mais je le perds. Tout ce poids accumulé depuis mes 12 ans est en train de se faire la malle, progressivement, sans que je n’y fasse rien. Mes analyses de sang sont parfaites, rien à signaler, pourtant, je suis déjà à moins 40 kilos sur la balance.
Aujourd’hui, si je peux donner un conseil à celles qui subissent des réflexions grossophobes pendant leur grossesse (ou en dehors) de la part des médecins, c’est celui-ci : si vous le pouvez, si vous n’êtes pas dans un désert médical, cassez-vous. Changez de praticien dès qu’on vous maltraite. Vous n’avez pas à subir ces réflexions.
Vous connaissez votre situation, vous connaissez votre corps, vous savez ce qu’il en est. Personne ne doit vous rabaisser en vous jugeant sur votre poids, en vous pourrissant à cause de lui. Vous le perdrez peut-être un jour, ou peut-être pas, mais il n’est pas une raison pour qu’on vous maltraite par des mots ou des gestes. Votre corps est à vous, gros ou pas, enceinte ou pas. Cassez-vous, changez de médecin, gueulez si vous le pouvez pour qu’il ne recommence par à dire des ignominies à d’autres.
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