— Cet article a été rédigé dans le cadre d’un partenariat avec Happiness Distribution. Conformément à notre Manifeste, on y a écrit ce qu’on voulait.
*Certains prénoms ont été modifiés.
À l’occasion de la sortie de Keeper ce 23 mars, nous avons souhaité parler de la grossesse à l’adolescence. Le film, dont madmoiZelle est la fière partenaire, raconte en effet comment Mélanie et Maxime, 15 ans, provoquent par accident une grossesse et doivent ensuite en assumer les conséquences.
Les deux jeunes doivent décider de mener la grossesse à terme ou d’avorter, une décision difficile, d’autant plus au milieu des pressions extérieures. Cette surprise et cette question, beaucoup d’adolescent•es ont à se la poser, à un âge où on n’est pas toujours bien informé•es sur la contraception, la sexualité, et où on ne mesure pas forcément toutes les conséquences de ses actes.
Des madmoiZelles tombées enceintes à l’adolescence nous ont livré leurs témoignages sur un épisode généralement difficile de leur vie.
La conséquence d’une absence de contraception
Pour beaucoup des madmoiZelles qui ont témoigné, la grossesse a fait suite à une absence de contraception. Ça a été le cas de Kalyknya :
« Je suis tombée enceinte à cause d’une absence de contraception. Oui, je sais, c’est pas du tout responsable de ma part et ne faites jamais ça !
En fait, ça faisait environ trois mois que j’étais sexuellement active, mon copain et moi débutions notre vie sexuelle ensemble. On avait déjà fait des tests MST/IST mais on était (et nous sommes encore) au préservatif car je ne veux pas prendre la pilule. Il avait vraiment envie d’essayer sans rien, et je voulais lui faire plaisir — sachez cependant qu’il ne m’a jamais mis la pression pour ça, bien au contraire !
Avec le recul, je me dis qu’inconsciemment je le « cherchais ».
Du coup je lui ai dit que c’était la bonne période du mois, qu’on devrait pas avoir de « problème », etc. Sauf qu’au fond de moi, je savais très bien que c’était pas la meilleure période du mois, que j’avais des risques d’être un minimum fertile. Avec le recul, je me dis qu’inconsciemment je le « cherchais », sans vraiment pouvoir vous expliquer exactement pourquoi. »
Les idées reçues, comme le fait qu’on ne puisse pas tomber enceinte la première fois ou qu’on ne risque rien durant certaines périodes du mois, y sont pour beaucoup. Certain•es pensaient aussi plus ou moins consciemment que « ça n’arrive qu’aux autres », ne mesurant pas vraiment les risques. C’était un peu le cas d’Élise, alors âgée de 15 ans :
« C’était pour ma première fois. Je ne connaissais pas plus que ça le garçon en question : je voulais absolument faire ma première fois à mon entrée au lycée carmes « copines » de l’époque pensaient qu’on ne devenait une « vraie femme » que si on l’avait fait. J’étais influençable, je ne voulais pas perdre mes « copines », et j’ai donc tout fait pour soumettre l’idée de faire tak-tak au premier gars qui m’intéressait un petit peu et qui n’avait pas l’air trop bête.
Ce n’est pas vraiment un accident, c’est plus un acte irréfléchi.
Le problème, c’est qu’il n’avait pas de préservatifs, et je ne prenais pas non plus la pilule. Étant à peine réglée, je me disais que ça ne poserait pas de problèmes (je ne savais pas que c’est au contraire un âge où la fertilité est à son maximum). De plus, c’était en milieu de mois donc je me disais que c’était bon, que le temps que les petits bonhommes remontent le col tout ça, l’ovule serait mort s’il y’en avait un. Bref, de l’intelligence adolescente quoi.
Donc je suis tombée enceinte parce que j’ai insisté pour ne pas me protéger, parce que je tenais absolument à le faire et que je me disais qu’il y avait peu de risques que je tombe enceinte. Ce n’est pas vraiment un accident, c’est plus un acte irréfléchi. »
Marie se trouvait quant à elle dans une période compliquée de sa vie, et avait des comportements risqués :
« J’étais en terminale. Mes parents sont divorcés et je vivais cette année-là chez mon père. Il était particulièrement absent et j’étais dans une période de ma vie où j’avais besoin de repousser mes limites, jusqu’à me mettre en danger.
Je buvais et fumais beaucoup, et ma première fois a été plutôt glauque, ma vie sexuelle a démarré de façon assez intense et anarchique. Je trompais mon copain de l’époque et couchais avec mes amis, souvent sans protection, me précipitant dans une pharmacie le lendemain, et faisant ensuite des tests pour le SIDA et les MST. Le stress engendré par tout ça ne me dissuadait même pas de recommencer.
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J’étais constamment dans la séduction : après avoir été beaucoup rejetée à cause de mon physique, je découvrais que je pouvais plaire, je prenais confiance en mon corps et j’avais envie d’en profiter, sans barrières ni limites.
Léo était dans mon lycée, on avait des cours de sport ensemble. L’attirance était réciproque, on a commencé à se fréquenter mais sans l’envie de sortir ensemble. Comme ça.
Un soir il m’a invitée chez lui, on a regardé un film et on a fait l’amour. Fidèle à mes habitudes, je lui ai dit qu’il n’y avait pas besoin de capote et que je ferais le nécessaire le lendemain, ce que j’ai fait. Sauf que cette fois-là, la pilule du lendemain n’est pas passée. Elle m’a rendue malade. »
Malheureusement, cette absence de contraception n’est pas toujours un choix. A. est tombée enceinte après un viol conjugal :
« Je suis tombée enceinte à 18 ans, peu avant le bac. Mon copain de l’époque savait que je refusais de faire quoi que ce soit sans capote, alors il a profité d’une soirée très alcoolisée où j’étais pratiquement inconsciente pour ne pas en utiliser, et clairement abuser de moi.
Dans un premier temps j’ai constaté un retard de règles, mais étant en période d’examens j’ai associé ça au stress. Et puis après le bac, n’ayant toujours rien j’ai commencé à paniquer et fait un test. Je me doutais de ce qu’il se passait, un genre d’intuition je pense.
J’ai fait le test chez mon ex, et quand il s’est avéré positif j’ai littéralement senti un vide énorme. Pas encore une panique, ni un étonnement, juste un gros vide. Et lui, il était en train de faire une partie de League of Legends. Je le lui ai annoncé, et il n’a pas décroché les yeux de son écran, il m’a juste dit « avorte » comme si c’était banal, que ça ne méritait pas d’en parler.
Je suis retournée m’asseoir, sonnée. J’ai commencé à prendre conscience de la nouvelle et j’ai paniqué, littéralement. J’ai paniqué comme jamais, tandis que lui s’en moquait royalement. »
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Accidents et failles de contraception
Parfois, les filles avaient bien utilisé des moyens de contraception, mais il y a eu des accidents. Alice raconte ainsi :
« Je suis tombée enceinte à cause d’un accident de préservatif. Ça commençait à devenir sérieux avec mon copain et j’allais prendre rendez-vous chez le gynécologue pour prendre la pilule.
Quand on a réalisé ce qu’il s’était passé, j’ai paniqué. La pharmacie était fermée, il fallait attendre le lendemain pour prendre la pilule du lendemain. Mon partenaire a tout de suite essayé de me rassurer en me disant que je n’étais pas sûre que j’allais tomber enceinte. »
Et même quand il n’y a pas eu d’accident de préservatif, il y a un risque. Lucie a appris que le préservatif n’était pas une protection fiable à 100% une fois devant le fait accompli :
« J’avais 16 ans quand cela s’est produit. J’ai toujours vu la grossesse comme quelque chose qui arrivait quand on était prêt•e, dans une situation stable avec un compagnon que l’on aime. Avant, pour moi, les filles qui tombaient enceintes à l’adolescence étaient des filles « perdues », sans repères, des filles « pas très recommandables ».
Cet été-là, cela faisait huit mois que j’étais avec mon copain. On était vraiment très amoureux et cela faisait un petit moment qu’on avait des rapports. On se protégeait, c’était chouette, c’était mon premier copain et j’étais sur un petit nuage rose. Et puis on se dit toujours que cela n’arrive qu’aux autres. Jusqu’au moment fatidique où les règles n’arrivent pas. J’ai attendu une semaine puis deux, et je me suis inquiétée.
Pourtant c’était impossible, on avait toujours utilisé des capotes. On était sérieux, on faisait attention. Et puis bon, j’étais une fille « bien » : cela ne pouvait pas m’arriver à moi, pas à nous. J’en ai parlé à mon copain qui a évidemment flippé. J’ai fait quelques recherches sur Internet, visité quelques forums, et surprise, les capotes ne sont pas à 100% efficaces !
J’ai donc décidé de faire un test de grossesse, seule. J’ai fait pipi sur le bâtonnet et attendu d’interminables minutes, assise sur la cuvette à me manger la lèvre jusqu’au sang. Verdict : deux petits traits roses. J’étais enceinte.
Vous voyez un mur qu’on se prend en pleine tête ? Eh bien c’est ce que j’ai ressenti. Une panique énorme et une douleur énorme. Une boule qui se forme dans le ventre et la gorge, et des larmes qui montent mais qui ne coulent pas. Je suis sortie des toilettes, j’ai caché le test dans une boîte dans ma chambre et je me suis assise, hébétée sans savoir quoi faire.
J’ai envoyé un message à mon copain disant « je suis enceinte », message auquel il a répondu avec un « putain » très réconfortant. Il était en vacances avec sa famille. Je me retrouvais donc seule, avec tout le poids du monde sur mes épaules. Je ne pouvais en parler à personne, mes parents n’étant pas du tout ouverts d’esprit à ce sujet (un an plus tard ils ne savent toujours pas que j’ai des relations sexuelles, et s’ils le savaient ils le prendraient très mal). »
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De la même façon, la pilule du lendemain ne fonctionne pas toujours — comme la pilule contraceptive. Lisa en a fait les frais :
« La toute première fois que je suis tombée enceinte, j’avais 16 ans. J’étais en couple avec un garçon depuis le milieu de l’année de seconde. On était en première depuis quelques mois, et je crois que c’était à la toute fin d’année, vers novembre. Je prenais la pilule depuis déjà un bon moment, régulièrement, étroitement surveillée par ma mère qui flippait que je tombe enceinte.
Car dans la famille, la moindre incartade se paie au prix d’une grossesse. Ça se sait : ma mère est tombée enceinte cinq fois dans sa vie dont une fois sous pilule et une autre sous stérilet, et n’a pourtant que deux enfants. Ma sœur est tombée enceinte plus de douze fois dans sa vie dont plusieurs fois sous pilule, et a trois enfants. Leurs autres grossesses ? Pour la majorité, ça s’est terminé en avortement.
Ce n’était pas un sujet tabou à la maison, mais pour y être passée bien trop de fois à son goût, ma mère était très vigilante depuis que j’avais une vie sexuelle. »
Est ensuite venue la découverte de la grossesse pour les madmoiZelles. Et pour certaines, la découverte s’est faite en même temps que la grossesse s’arrêtait — un choc double.
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Quand la grossesse s’arrête d’elle-même
Marie a appris sa grossesse aux urgences, où elle a été emmenée à cause d’une violente douleur au ventre :
« Un mois après le rapport en question, j’étais en vacances chez ma mère et je me suis réveillée avec une violente douleur dans le bas ventre. Ça a duré toute la journée. J’étais persuadée d’avoir l’appendicite. Ma mère m’a emmenée aux urgences et au bout de quatre heures d’attente dans l’insouciance la plus totale, l’interne est revenue avec son papier d’analyses : « Je n’ai pas une très bonne nouvelle. Vous êtes enceinte. »
Ma mère était à côté de moi. Elle est sage-femme et a beaucoup travaillé au Planning Familial, en plus de missions de prévention sur la sexualité et la grossesse dans les écoles.
Je me suis littéralement effondrée. Tout est allé très vite. Je faisais une grossesse extra-utérine rompue avec hémorragie interne, il fallait m’opérer en urgence. L’embryon faisait la taille d’un grain de blé et n’était pas viable. J’étais enceinte d’à peu près un mois.
Les examens ont été pénibles, le corps médical peu compréhensif, ajoutant à ma détresse avec ce genre de phrases : « Vous avez quel âge déjà ? », « La prochaine fois vous penserez à une contraception, hein ! », le tout avec le ton et le regard réprobateurs parfaitement adaptés à ce genre de situation. Mon cas était rarissime vu mon âge, la chirurgienne obstétrique n’avait jamais vu cela.
On m’a endormie, et je me suis réveillée quelques heures plus tard au beau milieu de la nuit, seule dans ma chambre d’hôpital, le ventre en vrac. En moins de 24h je venais d’apprendre que j’étais enceinte d’un garçon que je connaissais à peine, que le fœtus n’était pas viable et qu’on m’avait ouvert le ventre pour l’aspirer pendant que je dormais. Je n’ai rien compris à ce qui s’est passé, je flottais complètement.
J’ai appelé le garçon, il ne comprenait rien non plus. Il était loin géographiquement, et il ne s’est pas senti très concerné. Nous en avons reparlé une fois ou deux à mon retour, puis la relation s’est essoufflée et nous nous sommes éloignés.
Malgré la présence et la douceur infinie de ma mère, je me suis sentie très seule dans cette épreuve. »
Juliette a, quant à elle, fait une fausse couche à 16 ans :
« C’était au mois de novembre, il commençait à faire froid et on faisait cours d’EPS dehors : du 300 mètres haies pour l’épreuve du bac. J’avais mal au ventre, pas envie de faire sport, et surtout ça faisait déjà un moment que j’étais déprimée, que j’avais les idées pas claires, j’étais tout le temps triste. Et puis j’ai senti que c’était chaud entre mes jambes, et plus ou moins compris que je saignais alors que ce n’était pas du tout la date de mes règles.
« Vous êtes en train de faire une fausse couche, il faut absolument appeler la gynéco, c’est très grave… »
Je suis allée voir l’infirmière, et je lui ai expliqué ce qui m’arrivait : « Je ne comprends pas, j’ai très mal au ventre, comme des coups de couteau, et je perds beaucoup de sang ». Je lui ai honteusement montré ma culotte, et elle s’est mise à paniquer : « Vous êtes en train de faire une fausse couche, il faut absolument appeler la gynéco, c’est très grave… ». Elle s’est agitée, elle criait presque.
Là, je n’y comprenais rien. Elle me sortait un diagnostic comme ça en deux minutes trente sans autre info que le sang dans ma culotte.
Elle a appelé ma gynéco qui se trouvait à 300 mètres du lycée, pris rendez-vous en urgence pour « tout de suite » et m’y a accompagnée. Elle m’a déposée devant la porte et est repartie à l’infirmerie. Après c’est un peu flou, c’est allé très vite : la gynéco a confirmé que je faisais une fausse couche, et pour moi c’était hors de question que mes parents soient au courant.
Je suis repartie avec une prescription de médocs, une obligation de repos et un autre rendez-vous prévu quelques jours plus tard.
Je regrette de n’avoir pas eu ce « pouvoir », cette liberté de dire oui ou non, je le garde ou j’avorte.
J’ai juste informé le garçon, mais sinon j’ai gardé ça pour moi : c’était passé et je n’avais pas eu de choix à faire. Parfois je me dis que c’est mieux, que c’est plus facile, parce que j’ai su que j’étais enceinte au moment où j’ai perdu le fœtus. Mais en même temps je regrette de n’avoir pas eu ce « pouvoir », cette liberté de dire oui ou non, je le garde ou j’avorte. Ça s’est imposé à moi, en une journée j’apprenais à la fois que j’étais enceinte depuis près de trois mois et que c’était fini.
J’ai eu mal, d’abord physiquement, j’ai pleuré un peu, et puis c’était reparti : le bac, mon histoire compliquée avec ce garçon, les disputes avec les parents… une vie d’ado, quoi. »
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Lisa a vécu la même chose, et a regretté de ne pas avoir pu choisir :
« J’étais un zombie. J’étais triste. Si j’avais appris que j’étais enceinte sans faire de fausse couche, je sais que je l’aurais gardé. Sans l’ombre d’une hésitation. Parce que je pensais être éperdument amoureuse du « papa », parce que « le destin » aurait décidé pour moi. Ça aurait été mon cadeau, mon bébé sauveur, ma raison de vivre, ma place dans la société et dans la famille, j’aurais enfin eu quelqu’un qui voulait tout dire pour moi et pour qui j’étais la personne la plus importante du monde, blablabla.
Je l’avais considéré comme un signe, et la fausse couche n’était qu’une énième ironie dégueulasse de la vie qui s’acharnait sur moi. Je me suis mise à ressasser un avenir qui n’aurait pas lieu : comment j’aurais jonglé entre ma vie d’ado et ma vie de maman, la date possible de sa naissance, je cherchais des prénoms, je me plaisais à imaginer ce que cette grossesse menée à terme aurait bouleversé dans ma vie, et évidemment, tout était merveilleux. »
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Prendre une décision… plus ou moins librement
La question de continuer la grossesse ou bien de l’interrompre s’est posée pour beaucoup de madmoiZelles, demandant de prendre une décision pas forcément évidente.
Pour A., dont la grossesse était le résultat d’un rapport non consenti, il a d’abord fallu intégrer ce qui lui était arrivé :
« Je me suis tout de suite dit que je ne voulais pas avorter, c’était hors de question, mais mon ex insistait. Il ne voulait pas en entendre parler, je n’avais pas le droit d’en parler, je ne devais rien dire là-dessus, et le peu qu’il disait c’était pour me forcer à avorter.
Je voulais continuer la grossesse parce que je me sentais prête à être mère, du haut de mon jeune âge, je me sentais prête à ça, et à la minute où j’ai su que j’étais enceinte j’ai ressenti quelque chose d’assez inexplicable, de très fort, un genre d’affection pour ces cellules qui se développaient dans mon utérus.
Je les considérais déjà comme mon enfant, c’était déjà mon bébé. Mon copain est devenu agressif, violent moralement, il refusait d’aborder le sujet, et m’interdisait d’en parler autour de moi. J’étais totalement seule : je n’en ai parlé qu’à mes deux meilleurs amis, qui m’ont eux aussi enjoint d’avorter. J’étais dans un état de confusion totale, totalement perdue entre ma volonté inexplicable de garder cet enfant, et la raison qui me soufflait que ce serait immature, irresponsable, complètement stupide. Alors j’ai commencé les procédures pour avorter.
Je me suis rendu compte que je n’étais qu’une gosse de 18 ans avec à peine un bac, qui ne pourrait jamais élever cet enfant seule.
J’ai réalisé la situation dans laquelle j’étais au Planning Familial, accompagnée de ma meilleure amie parce que mon ex n’a JAMAIS pris part à rien. J’ai fondu en larmes d’un seul coup, terrassée à l’idée que je portais un enfant issu d’un rapport sexuel non consenti avec une personne qui me laissait me débrouiller seule, et était violent psychologiquement avec moi. Je me suis rendu compte que je n’étais qu’une gosse de 18 ans avec à peine un bac, qui ne pourrait jamais élever cet enfant seule. »
Quand elle a dû prendre sa décision, Manon a hésité :
« Je m’étais toujours dit que si ça m’arrivait, je n’hésiterais pas à avorter, parce qu’avoir un enfant à 17 ans était impensable. Sauf que quand c’est arrivé… j’ai hésité.
Même si je suis tout de suite allée au Planning familial pour programmer une IVG, une partie de moi ne voulait pas le faire. Je regardais des choses sur la grossesse, comme la taille de l’embryon à la cinquième semaine…
Je ne trouvais pas les mots pour dire ce que je ressentais, je ne savais pas comment qualifier ce que je vivais.
Je n’ai jamais parlé de cette hésitation à qui que ce soit, parce que j’avais peur que le fait de partager mon doute avec quelqu’un me fasse encore plus douter, justement. J’ai finalement continué la procédure pour un avortement, tout en sachant que j’allais très mal le vivre.
En fait, pendant les sept semaines de grossesse que j’ai vécues, je me suis sentie très seule. C’était voulu quelque part, je suis une fille plutôt solitaire qui garde tout pour elle. Je ne trouvais pas les mots pour dire ce que je ressentais, je ne savais pas comment qualifier ce que je vivais. Avec le recul, j’ai réalisé que c’était le début d’une dépression qui allait me suivre pendant des mois. »
Kalyknya se souvient elle aussi de la difficulté de cette période de réflexion :
« Je me suis pas mal renfermée sur moi-même. Pendant environ trois semaines, j’ai évité mon copain car j’avais besoin de me retrouver avec moi-même et avec ce petit bout de vie en moi…
Dans mes souvenirs, je passais beaucoup de temps dans ma chambre, à réfléchir à comment ce serait avec un enfant et à pleurer aussi un peu quand même. Je crois me souvenir que je m’endormais souvent d’un sommeil lourd, sans rêves…
J’ai été laissée très libre à ce niveau-là : tout le monde m’a toujours dit que ça devait être mon choix et que personne ne devait m’imposer sa pensée. Bon, évidemment, je savais bien qu’ils préféraient tous que j’avorte mais ça ne m’a pas vraiment pesé étant donné que je savais déjà plus ou moins que j’avorterais. »
Dorothée a quant à elle décidé ce qu’elle voulait faire assez rapidement :
« Dans ma tête, tout était très clair : un bébé à 17 ans, ce n’était même pas envisageable. J’étais plutôt bonne élève, je savais que je voulais faire des études longues, vivre une vie étudiante à la ville (j’habite dans un trou perdu) ; je ne troquerais pas ces bribes d’avenir que j’avais construites dans ma tête.
Dans ma tête, tout était très clair : un bébé à 17 ans, ce n’était même pas envisageable.
Le soir du test, j’ai appelé mon copain pour lui expliquer la situation et lui demander de m’accompagner dans cette période. J’ai fait le choix de ne pas en parler à mes parents. Aujourd’hui encore, ils ne savent rien et je suis bien incapable d’expliquer pourquoi je ne leur ai pas dit. Ils m’auraient sans doute accompagnée dans cette démarche mais c’était mon problème — mon premier problème d’adulte. »
L’épreuve de l’avortement
Les madmoiZelles qui ont décidé d’avorter ont ensuite dû choisir la procédure, quand c’était encore possible au niveau du délai, puis la subir. Cela a été un véritable cauchemar pour A. :
« On a commencé les procédures, et ça s’est avéré être une catastrophe.
Normalement, pour une IVG, on ne doit JAMAIS vous parler de « bébé » ou d’« enfant », et à l’échographie on ne doit pas vous montrer l’écran ni vous faire écouter le cœur. Moi je l’ai vu, et entendu. Le médecin m’a alors dit
— Vous êtes sûre de vouloir le tuer ?
Je me suis sentie comme si tout autour de moi s’écroulait, j’ai ressenti une douleur affreuse au cœur qui irradiait dans tout mon corps, je voulais hurler mais j’ai gardé, je ne sais comment, un visage impassible.
Saviez-vous aussi qu’avec une prise de sang, à partir de sept semaines, ils peuvent déterminer le sexe du fœtus ? Je l’ignorais, jusqu’à ce qu’une infirmière m’annonce joyeusement que j’étais enceinte d’un petit garçon — alors qu’il fallait bien parler d’embryon à ce stade précoce.
Imaginez. J’étais là pour une IVG, je culpabilisais pour le viol subi et je culpabilisais de me retrouver là, et on me faisait écouter le cœur de mon « fils », on me le montrait, et moi je savais que jamais je ne connaîtrais l’enfant qu’il aurait pu devenir. Je ne le verrais jamais. Parce que je ne me sentais pas capable de l’élever. J’avais là tous les éléments pour culpabiliser.
J’avais tous les éléments pour culpabiliser.
Je devais subir un avortement par aspiration une semaine plus tard. Mon ex n’a pas daigné venir avec moi à l’hôpital. Ce sont mes deux meilleurs amis qui sont venus me soutenir et veiller sur moi toute la journée. Mon ex ne m’a pas contactée de la journée. Pas un seul message.
Les infirmier•es me regardaient avec un air de pitié ou de dédain, au choix. Jusqu’au bloc on m’a demandé si j’étais sûre de moi. L’opération ne s’est pas très bien passée, j’ai eu un début d’hémorragie. »
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Cela a également été compliqué pour Dorothée :
« J’ai passé le week-end suivant le test chez une amie, dans une grande ville, et on a écumé les hôpitaux, persuadées qu’un médecin allait me prescrire la « pilule magique » qui ferait disparaître cette chose. Ce fut un échec cuisant, il fallait des tas de papiers que je n’avais pas, et puis « un avortement ça ne se fait pas comme ça mademoiselle ».
Je suis donc retournée voir l’infirmière de mon lycée avec mon agenda, et elle m’a pris un rendez-vous au Planning Familial d’une ville éloignée de la mienne, à une heure de route de mon lycée. Il fallait que je trouve un adulte pour m’accompagner : ce serait mon copain.
J’avais par contre un devoir de maths ce jour-là. L’infirmière a appelé le CPE qui a accepté de me laisser sécher les cours sous prétexte médical sans en parler à mes parents. Je me rends compte que j’ai su être très convaincante, et aussi qu’il était vraiment bien ce CPE.
Au Planning Familial, une psychologue m’a expliqué les choix que j’avais et m’a laissé une semaine pour réfléchir. Elle a ensuite pris rendez-vous à l’hôpital pour moi, sans aucun jugement.
La grand jour est arrivé, et j’étais extrêmement stressée. Mon copain m’attendait sur le parking du lycée. Dans la voiture j’ai versé mes premières larmes, et il m’a rassurée, me disant que tout irait bien et qu’il ne fallait pas que je m’inquiète.
À l’hôpital, après une prise de sang pour connaître mon groupe sanguin, j’ai rencontré le médecin qui allait m’opérer (il était trop tard pour l’IVG médicamenteuse). Jusqu’ici je n’avais connu que de la bienveillance de la part des personnes qui m’avaient accompagnée, mais là… Ce mec était une ordure. Il m’a culpabilisée, montré l’échographie en m’expliquant que ce « bébé » allait « mourir » à cause de ma « négligence ». J’ai tenu bon, et tout s’est ensuite passé normalement. »
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Élise se souvient surtout qu’elle a eu l’impression que son corps lui échappait, qu’elle le subissait complètement :
« Ma mère m’a emmenée voir un gynécologue, le même qui m’avait fait naître ! Imaginez une fille de 15 ans, n’assumant pas son corps, enceinte, qui doit subir un examen gynécologique et une échographie pour la première fois… C’était vraiment perturbant. Moi qui voulais des enfants, c’était d’autant plus douloureux de voir ce rêve sous mes yeux.
Mais j’étais trop jeune : ma décision était prise.
J’ai choisi la solution médicamenteuse, et il m’a prévenue que ça n’allait pas être une partie de plaisir. Il m’a donné les premiers cachets à prendre la veille de l’avortement pour préparer le corps à l’expulsion, et m’a donné rendez-vous à l’hôpital quelques jours plus tard.
Ma maman était avec moi et il y avait une autre patiente dans la chambre. On m’a demandé de m’allonger dans un lit, en culotte et chemise de nuit d’hôpital, et une infirmière est venue placer les premiers cachets dans mon vagin (joie encore : plein d’inconnu•es me touchent à 15 ans !). Et là, ça a été le début de la journée la plus longue de ma vie.
J’étais sous morphine pour supporter la douleur mais je criais quand même dans mon oreiller.
La solution médicamenteuse provoque des contractions qui expulsent l’embryon : j’étais donc en train de subir un « accouchement » forcé, avec ma mère dans la chambre. J’étais sous morphine pour supporter la douleur mais je criais quand même dans mon oreiller. Ma maman pleurait et me tenait la main. J’étais si mal que j’ai cru que j’étais en train de me vider de mon sang…
Le soir j’ai pu rentrer chez moi, une fois que ça s’était à peu près calmé. J’ai passé deux autres journées à souffrir et puis ça a fini par aller mieux. La vie a repris son cours plus ou moins normalement. »
Le personnel soignant s’étant occupé de Kalyknya a heureusement été très professionnel :
« J’ai choisi un avortement par aspiration, trouvant l’IVG médicamenteuse trop « violente », me laissant me débrouiller dans mon coin quelque part.
Je suis arrivée dans le service de chirurgie ambulatoire pour 7h je crois, à jeun évidemment (mais de toute façon j’avais l’estomac trop noué pour manger quoi que ce soit). Mes deux parents m’accompagnaient, ainsi que mon copain. Au début je n’étais pas du tout sûre de vouloir qu’il soit là. Je m’étais tellement éloignée de lui les semaines précédentes…
Au réveil, il m’a fallu quelques petites secondes pour réaliser où j’étais ; je me suis ensuite mise à pleurer à chaudes larmes, de façon incontrôlable. Le gynéco est venu quelques minutes plus tard pour me dire que c’était fini, que tout s’était bien passé et qu’on se revoyait dans un mois environ pour l’écho’ de contrôle. Une infirmière m’a ramenée dans mon box pendant que je continuais à pleurer.
Au bout d’un moment, j’ai fini par me calmer. Vers 11h on m’a apporté un plateau de petit dej’ avec plein de trucs que j’ai entièrement mangés, puis une infirmière est venue m’expliquer un peu comment allait se passer l’après, niveau pratique (oui, j’ai perdu du sang pendant quelques jours, comme les règles) et je suis sortie.
Mes parents et mon copain m’attendaient dans la salle d’attente et là, je vous jure que j’étais plus qu’heureuse de le revoir. Je me sentais revivre. Non pas que pendant les trois semaines précédentes j’étais comme morte, mais là, je me suis sentie de nouveau comme avant et j’avais besoin de lui à mes côtés. Tout comme lui avait énormément besoin de moi. »
Alice, elle, se souvient surtout des jours suivant l’IVG :
« Pour moi, le plus difficile n’a pas été l’avortement mais la période qui a suivi. En effet, j’ai très rapidement avorté, avant d’avoir réellement réalisé que j’étais tombée enceinte. Les délais étant assez courts, je me suis dépêchée de démarrer la procédure pour ne pas avoir de problèmes.
La période la plus difficile a été lorsque j’ai réalisé que ça m’était arrivé à moi et que j’avais réellement avorté. C’était comme se réveiller d’un rêve, j’ai eu beaucoup de mal à réaliser et accepter ce qui m’était arrivé. »
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Une grossesse éprouvante
Pour Inès, enceinte à 15 ans à la suite d’une absence de contraception, les choses ont été bien différentes :
« Je n’ai pas eu besoin de réfléchir à ma décision quand j’ai su que j’étais enceinte : je voulais avorter. Sauf que c’était trop tard, j’étais déjà à trois mois et demi de grossesse. J’ai donc décidé que je donnerais l’enfant à adopter, et en attendant j’ai caché ma grossesse. À ma famille, mes amies, et mon copain.
Je n’en ai parlé qu’à la copine de mon frère, qui une fois la surprise passée, m’a conseillé de le garder. C’était pour moi hors de question ! J’avais 15 ans, je ne voulais pas avoir d’enfant, et je ne m’en sentais pas capable.
J’ai donc décidé que je donnerais l’enfant à adopter, et en attendant j’ai caché ma grossesse.
De par ma morphologie, ma grossesse n’a commencé à se voir qu’au septième mois. Mon copain et moi avions rompu avant, pour d’autres raisons et sans qu’il ne se doute de rien. Quand ça a commencé à se voir, j’ai séché les cours, très inquiète des réactions que ma grossesse pourrait susciter. J’étais dans une angoisse permanente.
Et quand l’été est arrivé, j’ai arrêté de sortir, restant confinée dans ma chambre, dans un peignoir, sous des couvertures… J’ai réussi à cacher la grossesse à tout le monde, exceptés quelques soupçons d’autres collégiens au vu de ma prise de poids quand ils m’ont vue lors d’une très rare sortie pendant l’été.
À la rentrée des cours, je ne suis tout simplement pas retournée au collège. Je mentais à mes parents, que le collège ne prévenait pas souvent de mes absences, et le reste du temps je feignais des maladies. Vu ma petite santé, cela ne les étonnait pas beaucoup.
Et puis un matin, les contractions ont commencé alors que j’étais seule chez moi. À sept heures du matin, j’ai appelé ma mère qui était au travail ; je lui ai annoncé que j’allais accoucher et qu’elle devait venir me chercher. Elle n’y croyait pas du tout, et elle n’est rentrée qu’à 15h. Elle a dû se rendre à l’évidence et m’emmener en vitesse à l’hôpital où j’ai accouché 45 minutes plus tard.
Je comptais toujours faire adopter le bébé, mais quand j’ai vu son visage… C’était pour moi ma fille, et il m’était impossible de m’en séparer. Je me suis rendu compte que j’en étais incapable, et que je le regretterais trop. »
Le regard des autres
Les choses ont alors été très difficiles pour Inès, à plein de niveaux :
« Ma mère a beaucoup pleuré, mais elle a accepté la situation, tout comme mon père. Il n’en a pas été de même pour ma famille éloignée : oncles et tantes ont jugé et condamné. Un de mes oncles m’a même envoyé un message m’insultant et me signifiant qu’il ne voulait plus me voir.
Avoir un enfant à 15 ans, ça ne se fait pas, c’est une honte. Mais que pouvais-je faire ? Je n’allais certainement pas abandonner ma fille à cause d’eux !
Je n’ai prévenu son père qu’un mois après sa naissance, et parce que ma mère insistait. Il n’a rien voulu savoir.
J’ai beaucoup souffert du regard et du jugement extrême des autres.
Je suis retournée en cours à la fin du mois, en troisième. Ma mère, mon seul vrai soutien, gardait ma fille, dont je m’occupais quand je n’étais pas au collège — où personne n’était au courant. Ce n’est que deux mois plus tard que j’ai mis une photo de ma fille sur les réseaux sociaux et annoncé du même coup son existence.
J’ai beaucoup souffert du regard et du jugement extrême des autres. Tout le collège était au courant, et j’essuyais des insultes quotidiennement. J’avais quelques amies qui semblaient me soutenir, mais qui me trahissaient vraisemblablement par derrière.
Les deux années suivant la naissance de ma fille ont été extrêmement difficiles. Il y avait ces remarques insultantes, et ma double vie. Je n’ai pas eu le temps de vivre ma jeunesse, je ne suis jamais sortie.
Je n’ai pas eu le temps de vivre ma jeunesse, je ne suis jamais sortie.
Avant que je tombe enceinte, nous ne sortions pas encore après le collège. Cela a changé pour les autres en troisième. Après les cours, mes copines sortaient mais je ne pouvais pas, je rentrais m’occuper de ma fille. Je l’ai très mal vécu au début.
Depuis cinq ans, j’essuie les mêmes remarques quand je sors avec ma fille. On me demande si c’est mon enfant, quel âge j’ai, avant de me faire remarquer que c’est trop jeune. Et cela devant ma fille, qui comprend très bien. Parfois les gens lui demandent même directement « C’est ta maman ? », ce à quoi elle répond bien sûr par l’affirmative, ce qui relance les autres remarques.
Le manque de respect est systématique, et depuis quelques temps je ne réponds plus, je ne m’arrête pas. J’en ai marre de me justifier. »
Le regard sur la grossesse et la maternité à l’adolescence est en effet lourd de jugement. Les madmoiZelles ont été nombreuses à signaler les critiques culpabilisantes et les remarques humiliantes du personnel soignant auquel elles ont été confrontées dans leurs démarches. Mélanie raconte par exemple :
« À l’hôpital, la première gynécologue que j’ai rencontrée m’a sermonnée sans aucun d’état d’âme :
Bah vous savez pas vous protéger ou quoi ?
On a refusé de me mettre un stérilet, on m’a prescrit la pilule sans me demander mon avis et en me répétant comme à une idiote qu’il était bien important de la prendre tous les jours…
L’échographie a été un supplice. La femme n’a strictement pas prêté attention à mes pleurs, refusant d’être plus douce comme je le lui demandais quand elle a dû insérer une sonde dans mon vagin. Je sentais le monde entier contre moi. »
Élise, enceinte à 15 ans, a vécu un cauchemar :
« Le soir des résultats sanguins je suis rentrée chez moi, avec l’idée que j’en parlerais à ma mère uniquement et qu’elle m’aiderait. Elle a pleuré… Je crois que ça m’a fait plus mal de la voir pleurer que de savoir que j’avais fait une « bêtise ». Je lui ai demandé de ne pas en parler à mon père, mais elle ne pouvait pas faire autrement alors elle l’a quand même fait. Il a réagi assez brutalement, il était très énervé mais je le connais et je savais que même si ses mots étaient durs, il serait là pour m’aider.
J’avais inventé une histoire de capote qui craque, il ne m’a pas crue et m’a obligée à dire la vérité. C’était assez éprouvant…
J’en ai parlé à l’une de mes « copines » de l’époque, une de celles qui pensaient qu’être une vraie femme, c’est se faire dépuceler au lycée. Elle m’a giflée. Elle m’a dit, je cite :
— Je pense que comme ça, ça passera mieux qu’avec des mots.
Le père a été un crétin avec moi, parlant de notre « relation physique » à ses potes, décrivant mon corps, etc. Pendant ce temps, avec mes parents, on mettait en place le processus d’avortement. Je n’arrêtais pas de pleurer à cause de ce qu’il racontait aux gens et mes parents ont fini par le savoir.
Mon père a appelé sa mère et lui a raconté toute l’histoire, en disant qu’il avait été sympa de ne pas poursuivre son fils en justice mais que s’il continuait à me créer des problèmes, il n’hésiterait pas à porter plainte. Le père a donc appris comme ça que j’étais enceinte, et la nouvelle s’est répandue dans le lycée. Joie !
J’ai vécu cet épisode assez mal je dois dire, pas dans le sens où je regrette mon choix mais plus au niveau psychologique : le regard des autres et ma gêne par rapport à mes parents. Et puis aussi parce que je me sentais fautive.
Je suis tombée en dépression, et les gens avec qui je traînais m’ont laissée tomber. C’était trop chiant à subir, quelqu’un qui déprime. J’ai gardé quelques personnes qui m’ont soutenue pendant cette période, mais je ne voulais que m’isoler. »
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Lucie souligne :
« Le pire pour moi a été de devoir gérer seule. De devoir masquer ma détresse et ma tristesse à ma famille. De ne pas pouvoir prendre de décisions réelles. »
Cela a modifié la relation d’Hellbombs avec ses parents :
« Mes parents ont été les premiers informés. Ils m’ont soutenue tout au long de la procédure bien que ça n’ait pas été concevable pour eux. En effet, l’avortement ne faisait pas partie des principes de ma mère qui est croyante. Mon père, lui, a été profondément déçu.
Encore aujourd’hui, ils n’assument pas que leur fille ait eu à faire ce choix. Mes rapports avec eux sont très difficiles désormais. J’ai pendant longtemps eu le droit à des réflexions très difficiles à entendre.
Les rares amis à qui j’en ai parlé m’ont soutenue ; certains ne comprenaient pas forcément mon ressenti, certains y étaient indifférents, mais d’autres m’ont apporté énormément. Leur présence, leurs encouragements pour avancer et tourner la page me tiennent à flot encore aujourd’hui. »
Une vie marquée
Hellbombs pense tous les jours à sa grossesse interrompue :
« Aujourd’hui encore, je fais partie de ces filles que l’avortement hante. Pas un jour ne passe sans que j’y pense. Cela fait plus d’un an et rien ne change pour ma part.
Aujourd’hui encore, je fais partie de ces filles que l’avortement hante.
Avec tout le recul que j’ai pris, je suis sûre de moi lorsque je dis que, dans ma situation et pour moi, c’était le meilleur choix à faire. Pour moi, et surtout pour cet enfant potentiel, c’était la meilleure décision à prendre. Seulement aujourd’hui je sais que ce n’était pas ce que je voulais. J’aurais voulu que la situation soit différente. »
Marie a mis du temps à appréhender ce qui lui était arrivé, ce que son corps avait vécu, mais elle s’est rendu compte que cela l’avait changée :
« J’ai longtemps eu beaucoup de mal à intégrer et à intérioriser ce moment de ma vie. Cela n’a duré que quelques heures mais ça représentait le point de non-retour d’une période où je ne me respectais pas, où j’évoluais sur le fil du rasoir, où je cherchais la vie par tous les moyens jusqu’à me brûler les ailes.
C’était un événement très intime que je ne parvenais pourtant pas à associer à mon propre corps. Je n’ai pas connu la douleur du choix, il s’est imposé à moi.
C’était un événement très intime que je ne parvenais pourtant pas à associer à mon propre corps.
Je n’ai pas senti les symptômes de la grossesse dans mon corps, moi qui suis d’ordinaire extrêmement sensible, j’étais dans un déni complet jusqu’à ce qu’on m’annonce que j’étais enceinte, malgré les risques évidents. Je n’ai pas eu le temps de réfléchir à la situation, de peser le pour et le contre, de prendre la mesure de la gravité de ce qui m’arrivait et des enjeux.
J’avais beau m’asséner ce mot — enceinte, enceinte, enceinte — et regarder les petites cicatrices sur mon ventre, rien à faire, ça n’imprimait pas. Comme si ça s’était passé dans un autre corps que le mien.
Plusieurs années après, j’ai ressenti le besoin d’ancrer cet événement dans ma peau en faisant mon premier tatouage. La petite poupée russe que j’ai sur les côtes a été extrêmement douloureuse, car bien au-delà de la douleur de l’aiguille, j’éprouvais enfin physiquement ce moment si particulier de mon adolescence. Elle est un symbole de fécondité et de féminité, j’en suis fière et je la vois comme un exutoire.
Malgré l’absence de dilemme, cette grossesse précoce m’a amenée à réfléchir profondément à mon désir d’enfant. J’ai depuis cela l’intime conviction que je suis faite pour, un jour, porter la vie. »
La fausse couche de Juliette a beaucoup influencé sa vie, jusqu’à son choix de carrière :
« C’est précisément à cette période de ma vie que j’ai compris que je ne pourrais compter que sur moi-même et que l’on apprend à guérir seule.
J’aurais aimé un peu plus d’aide, que l’infirmière ne panique pas devant moi comme une débutante mais me rassure, m’explique et m’accompagne. J’aurais aimé aussi que mon copain soit là. C’est bête et je m’en veux de dire ça parce que je ne lui ai jamais reproché quoi que ce soit non plus, mais c’est vrai que tout ça aurait été moins lourd si j’avais pu en parler à quelqu’un, surtout à lui.
Mais c’était déjà la fin de notre histoire et c’était compliqué de porter ça à deux.
Aujourd’hui je suis fière de m’être débrouillée toute seule, ça m’a appris beaucoup de choses et je n’en souffre pas. C’est juste un sale souvenir de solitude qui laisse un goût amer…
Ensuite j’ai pris une gentille revanche sur tout ça, peut-être ma manière à moi d’adoucir ce souvenir incrusté : j’ai fait des études et je me suis spécialisée dans les droits des femmes. J’ai fait mon stage au Planning Familial et j’ai passé six mois dans les collèges et lycées à faire de la prévention autour de la contraception, de l’IVG, des violences sexuelles… J’accompagne encore des mineures pour des IVG et ça m’apporte beaucoup. »
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Dorothée pense également que son début de grossesse puis son avortement l’ont changée à plusieurs niveaux :
« Aujourd’hui j’ai fait ce que je voulais : faire des études, habiter en ville, travailler dans un domaine qui me passionne… Je ne regrette rien et je n’ai jamais culpabilisé. Je garde une immense gratitude envers les personnes qui m’ont accompagnée dans ce moment compliqué, excepté l’horrible médecin. Je voue un culte au Planning Familial et on peut dire que je suis devenue féministe le jour où j’ai pu faire ce choix seule.
Je ne regrette rien et je n’ai jamais culpabilisé.
Quand je repense à cette période, je la vois comme un parcours éreintant et stressant pour réussir à avorter avant la limite des douze semaines. Je me dis qu’à 17 ans on peut avoir beaucoup de ressource. Et je pense que cet événement a sans doute fait de moi une partie de ce que je suis. »
Lisa, qui a longtemps regretté sa fausse couche, est aujourd’hui heureuse de la façon dont les choses se sont faites :
« Quand j’y repense aujourd’hui, dix ans plus tard, je ne peux pas m’empêcher de fermer les yeux en joignant les mains et de dire :
— Mon Dieu, merci de m’avoir fait faire cette fausse couche et de m’avoir empêchée de retomber enceinte. Merci, merci, merci.
Alors que je ne suis même pas croyante !
Je repense au futur que j’imaginais alors, et j’ai envie de foutre des claques à l’ado que j’étais, qui était si persuadée que tout irait si bien, que ce serait facile et génial. Je n’étais vraiment pas du tout prête à être mère, et je le sais parce que je suis justement mère aujourd’hui. Mes raisons étaient nulles, et j’aurais été une mère désastreuse.
Je n’étais vraiment pas du tout prête à être mère, et je le sais parce que je suis justement mère aujourd’hui.
Mon petit copain de l’époque était tout sauf un gentil garçon ; maintenant que je sais ce qu’il s’est passé entre lui et moi l’année de notre terminale (donc plus d’un an après ma fausse couche), je suis bien heureuse de ne pas avoir de lien avec lui qui m’obligerait à l’avoir dans ma vie encore aujourd’hui. Je suis heureuse de ne pas avoir fait de lui un père, parce que son enfant potentiel en aurait forcément souffert, et beaucoup.
J’aimerais dire à la moi adolescente que toutes les souffrances que je voulais si désespérément taire et guérir avec un bébé, j’allais les affronter plus tard et en régler une bonne partie. Ça m’aurait peut-être permis de ne pas faire une telle fixette et de ne pas souffrir aussi durement. »
En conclusion
Inès, qui élève seule la fille qu’elle a eue à 15 ans, a plusieurs conseils :
« Quand j’ai eu 18 ans, j’ai arrêté les cours pour pouvoir partir de chez moi et enfin être indépendante. Ma fille grandissait, nous étions nombreux chez mes parents et j’éprouvais le besoin de m’affranchir. J’ai fait de petits jobs pour nous payer un appartement, et fait un CAP en alternance.
Si j’avais des conseils à me donner a posteriori, ce serait tout d’abord d’utiliser systématiquement un moyen contraceptif. Car être maman à 15 ans, ce n’est pas quelque chose que je recommande, tant j’en ai souffert.
J’aimerais aussi me dire de ne pas cacher ma grossesse. Je n’ai pas fait de contrôles, pas su si mon bébé allait bien. J’étais complètement inconsciente — j’avais 15 ans. Cela a généré une incroyable culpabilité les trois premières années de ma fille. Je me sentais si coupable d’avoir caché la grossesse, d’avoir voulu perdre le bébé, puis l’abandonner…
Être maman à 15 ans, ce n’est pas quelque chose que je recommande, tant j’en ai souffert.
Je pleurais quand je la voyais, tant je me sentais coupable de l’avoir mise dans tout cela, d’avoir voulu lui nuire, d’avoir peut-être failli la blesser. Cela va mieux depuis deux ans : déjà parce que j’ai tellement pleuré que je pense avoir épuisé tout mon stock de larmes, mais aussi parce que je me dis maintenant que je suis avec elle, que c’est le principal, qu’elle va bien. »
Élise a la même vision de la culpabilité qu’elle a ressentie :
« Si je pouvais parler à mon moi de 15 ans, et que j’arrivais « trop tard », je lui dirais juste qu’elle n’a pas à s’en vouloir. Qu’elle a été un peu nulle d’insister pour ne pas se protéger, c’est vrai, mais que c’est aussi la faute du garçon, d’avoir accepté. Ne serait-ce que pour les maladies.
Je lui conseillerais de s’occuper d’elle, de ne plus culpabiliser et surtout de se respecter elle-même. Qu’elle n’a pas à faire des choix uniquement parce que les autres disent que c’est ce qu’il faut faire.
Je lui dirais aussi que même si sur le moment c’est difficile à vivre, ça finira par aller mieux et qu’un jour elle arrivera à parler de son expérience de manière réfléchie, que ça lui apportera une vision des relations humaines plus claire et qu’elle mûrira grâce à ça. Et enfin, qu’il faut se protéger bien sûr ! »
Hellbombs aussi parle du regard des autres :
« J’aimerais me conseiller de partager le plus tôt possible mon expérience, ne pas garder ça pour moi, de parler et m’exprimer. Ne pas avoir peur du jugement. Ne pas écouter les réflexions. Ne pas s’oublier ni oublier pourquoi tout cela arrive. Ne pas douter de soi et de qui on est. »
Kalyknya a accepté cette événement :
« Je ne considère pas cette étape de ma vie comme une erreur. C’était dur, certes, mais ça fait partie de moi. Alors, si je pouvais changer quelque chose, je ne pense pas que je le ferais. »
Dorothée souligne l’importance de bien s’entourer :
« Les conseils que je pourrais donner sont les mêmes que ceux que ma mère m’a donnés et que je n’ai pas suivis… Parle de ta sexualité avec quelqu’un, utilise une contraception quand tu sens que tu approches de tes premières relations. Entoure-toi des gens que tu aimes et en qui tu as confiance. »
Alice conclut :
« Avec le recul, j’aimerais me conseiller de ne surtout pas avoir honte. Je pense que s’il n’y avait pas la honte ni le tabou de l’avortement, j’aurais beaucoup mieux vécu cette étape déterminante de ma vie.
Je pensais à l’époque que je devais me cacher à cause du regard des autres. J’ai mis du temps à prendre mon avortement comme une force. »
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Les Commentaires
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