Rien ne lui aura été épargné : pas une attaque, pas une critique. Et pourtant, elle aura tenu bon durant toute la campagne. Si je devais décerner le prix du courage et de l’abnégation de cette course à la Présidentielle, le choix serait évident : Eva Joly, ovni politique, risée médiatique peut-être, et alors ? Les autres nous l’auraient fait oublier, mais l’élection d’un chef d’État n’est pas un concours de popularité. L’enjeu n’est pas d’être celui “qui passe le mieux à la télé/à la radio”, d’être le plus “sympa”, d’être celui avec qui “on partirait bien en vacances”. À ces jeux-là, je vous l’accorde, Eva n’est pas gagnante. Mais si l’on s’attache à l’intégrité, à l’honnêteté, à la sincérité, à la dévotion, à l’éthique, au sens des responsabilités, à la décence, à la sagesse, à la pertinence, à la mesure et à l’ambition collective autour d’un projet d’avenir, convenez-en : Eva les met tous au tapis.
Je n’ai pas pu rentrer au Cirque d’Hiver ce mercredi 18 avril, date du meeting parisien d’EELV, le dernier de la campagne d’Eva Joly. Et cela restera mon plus grand regret. J’ai une bonne excuse (je suis exploitée salariée, j’étais retenue) et une mauvaise excuse : compte tenu de la faible popularité de la candidate dans les sondages, je ne l’imaginais pas remplir aussi rapidement la salle. Quelle arrogance de ma part ! Bien fait. C’est donc devant LCP et Dailymotion que j’ai suivi l’intervention d’Eva Joly.
Alors effectivement, elle n’a pas le talent d’orateur d’un Jean-Luc Mélenchon. Elle ne mobilise pas les foules comme un François Hollande. Elle ne maîtrise pas les codes de la communication comme une Marine Le Pen. Elle n’a pas la diction sans accroc d’un François Bayrou – mais elle a, en revanche, une meilleure syntaxe qu’un Nicolas Sarkozy… Et, c’est certain, plus de réalisme, de courage et de mérite que tous ces « poids lourds » rassemblés.
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Et puisque ses mots sont si justes, je n’ai qu’à les citer :
« Face à la violence de la crise sociale, la domination sans partage de l’argent, l’épuisement des ressources naturelles, face à la crise énergétique, à la surconsommation et à l’impasse du culte de la croissance, l’écologie est l’espoir de notre temps, l’espoir véritable, celui d’un changement de société pour mettre un terme au saccage de la planète et à l’exploitation des êtres humains, pour vivre mieux dans une société de partage et de justice.
Dans cette Présidentielle j’ai porté le drapeau vert de l’espoir, c’est-à-dire le triomphe de la vérité sur le mensonge, la victoire de la volonté sur la lâcheté, et la supériorité de la raison sur les fantasmes.
Pour défendre cet espoir, qui n’est ni l’illusion, ni la pure utopie, ni la nostalgie, la bataille fut rude. »
“Rude d’abord pour nos idées. L’écologie a été constamment mise sous le boisseau. Et quand elle ne l’a pas été, c’était pour mieux moquer nos positions en les déformant. On a voulu faire croire aux Françaises et aux Français que l’écologie est un problème, alors même que l’écologie c’est la solution.”
? Spéciale dédicace à tous ceux qui ont usé et abusé de raccourcis insupportables, du type “sortir du nucléaire = s’éclairer à la bougie”. J’ose espérer qu’ils ne le faisaient que par pure malhonnêteté intellectuelle et qu’ils n’étaient pas idiots à ce point.
“La campagne fut rude aussi pour ma personne. Ce n’est pas rien d’être scrutée sous toutes les coutures, observée sans cesse, critiquée sans nuances, bousculée sans ménagement par nos adversaires.”
? Notez que sur LCP, la diffusion du discours d’Eva était précédée d’une table ronde ayant pour thème (sous-titre à l’écran) Pourquoi Eva Joly a-t-elle maltraité l’écologie ?. No comment. J’aurais aimé voir le bandeau Nicolas Sarkozy : plus c’est gros mieux ça passe ? avant une de ses interventions publiques. Juste pour rire.
Poursuivons sobrement notre éloge avec trois autres qualités : lucidité, humilité et humour.
“Une Présidentielle, je le sais maintenant, c’est un exercice auquel rien ne prépare vraiment. Aurais-je sollicité l’honneur de conduire les écologistes dans la bataille présidentielle si j’avais su quelle part de personnalisation demande cette compétition électorale ? Ce n’est pas certain.”
“Est-ce que je recommencerais, maintenant que je connais la difficulté et les pièges de la route ? Oui, car c’est un immense honneur que vous m’ayez désignée pour vous représenter, et un honneur plus grand encore d’avoir défendu vos positions sous le feu nourri de la droite et de l’extrême droite.”
“Est-ce que je regrette mes maladresses ? Seulement celle qui m’a fait chuter dans les escaliers.”
Je me souviens d’une conférence de Nicolas Hulot à Lille, pendant la campagne de 2007. Il parlait très justement de l’arbitrage à trouver, pour l’écologie politique, entre contraintes et séduction. S’il faut plaire à l’électorat, il faut composer avec le sentiment parfois négatif qu’inspirent les mesures étiquetées “écologistes”. Il y a un équilibre à trouver. Il avait eu ces mots que j’ai retenus : “sous la tyrannie du désir, on finit par céder”. Ces mots sont restés pour moi le paradoxe insurmontable de l’écologie politique : condamnée à jouer les “Green Bisounours” pour espérer accéder au pouvoir, mais si elle y parvenait, son action étant nécessairement contraignante, elle décevrait. Tous les partis promettent des miracles immédiats, seuls les écolos admettent ouvertement que ce n’est pas pour demain mais pour un “surlendemain” assez lointain… Bref, pas très vendeur. Ce soir, Eva Joly m’a sortie de ce paradoxe en distinguant les promesses des engagements, en distinguant émotion de conviction :
“Je ne suis pas une oratrice : je ne fais pas tanguer la foule sous la houle des mots qui roulent, je ne berce pas mon public par de belles paroles rassurantes. Je m’en excuse. Quelque chose en moi refuse de fonder la politique sur la tyrannie de l’émotion.
Slogan contre slogan, drapeaux contre drapeaux, simplification contre simplification, je n’aime guère cette manière de faire de la politique. Je crois que la politique a tout à voir avec la rigueur de l’exposition d’un argument et rien avec le talent de comédien.
Si je m’adresse davantage au cortex qu’aux tripes c’est parce que notre monde est complexe : mon devoir est d’éclairer les électeurs, pas de les mystifier. Oui, je refuse d’être une architecte de l’illusion, une semeuse de promesses futiles, une menteuse en col blanc.
Nous en avons soupé des belles paroles et des promesses de lendemains qui chantent. Nous voulons des solutions précises et argumentées.”
“Pourquoi ma bouche devrait demeurer close alors que mes yeux sont grands ouverts ?”
Lucide, elle souhaite la victoire de François Hollande (“Si, comme je le pense et comme je le souhaite, François Hollande est élu”). L’arrivée au pouvoir du candidat socialiste reste la meilleure chance pour les écologistes d’accéder à plus de responsabilités. Si l’accord électoral pour les élections législatives est respecté par le Parti Socialiste (ce que François Hollande a confirmé chaque fois qu’il a été interrogé sur cette question), les Verts auront de bonnes chances d’avoir un groupe parlementaire à l’Assemblée Nationale et, qui sait, une place au gouvernement.
Ce qui est certain, c’est que cette hypothèse n’existerait pas en cas de victoire de la Droite. Pas après les répliques cinglantes adressées à Nicolas Sarkozy et à son entourage. Elle taille sévère, la juge anti-corruption. Et mine de rien, son parcours professionnel lui donne une légitimité et une crédibilité dont aucun “professionnel de la politique” ne pourrait rêver…
Ainsi, parlant de la corruption :
“Au fond, Nicolas Sarkozy n’aura été que leur jouet involontaire, leur meilleur allié, le zélé serviteur d’un monde qui le fascine, prêt à tout pour en être. Prêt à tout, même à tricher.
Je pèse mes mots, et je le dis en conscience : au final le Sarkozysme n’aura été qu’une vaste supercherie, une escroquerie réactionnaire, un abus de pouvoir basé sur un abus de faiblesse.
Le courage commande de dire que ce pouvoir est né d’un acte qui en dit long sur ceux qui l’ont commis. On a profité d’une vieille dame qui n’avait plus toute sa tête pour lui soutirer des fonds pour le financement d’une campagne électorale.
La vérité du Sarkozysme, n’en déplaise à Monsieur Woerth, qui s’indigne en 140 signes sur Twitter, mais n’est pas capable d’aligner deux mots convaincants pour se défendre des accusations portées contre lui dans le dossier Bettencourt, c’est que les conditions du financement de la campagne de 2007 sont peu claires, douteuses, honteuses.”
Autant vous dire que pour avoir ne serait-ce qu’un siège de député sous un hypothétique gouvernement/Président UMP, c’est râpé.
“Celle que j’ai choisi ce soir de ne pas nommer parce qu’au fond elle est innommable.”
Je pourrais citer et commenter chaque phrase du discours prononcé par Eva Joly ce soir, tant ses paroles méritent d’être écoutées, d’être entendues, d’être considérées et respectées. Je vous exhorte vivement à lire l’intégralité de son discours, à revoir son intervention pour apprécier toute la sincérité de cette candidate, victime de cet adage encore une fois vérifié : “c’est un très grand tort d’avoir raison trop tôt”.
Un dernier passage pour terminer cet éloge. Il se passe de commentaires :
“Voici venu le temps de la vérité et du courage.
Du courage, j’en ai vu pendant toute ma campagne, en traversant notre pays. J’ai vu le courage des habitants des quartiers nord de Marseille qui refusent qu’on abandonne leur quartier aux dealers, […] j’ai vu le courage digne des familles touchées par la folie meurtrière de Mohamed Merah et ont résisté à la tentation de la haine.
J’ai vu le courage et j’ai vu la beauté de notre nation, nation citoyenne que je veux débarrasser définitivement de la fiction infâme de la race. Voilà pourquoi dans cette campagne je rends coup pour coup à la représentante du parti de la haine. Celle que j’ai choisi ce soir de ne pas nommer parce qu’au fond elle est innommable. Celle qui m’attaque devant les tribunaux, non pas pour je ne sais quelle prétendue diffamation, mais bien en réalité parce qu’elle ne supporte pas la vision de la France que je porte.
À elle et à ses partisans je veux dire tranquillement : nous sommes chez nous. Nous sommes chez nous, nous les Français et les Françaises, métèques venus des quatre coins du monde pour faire France, nous les métis et les métisses, nous les immigrés qui travaillons sur les chantiers et nous cassons le dos pour ériger des bâtiments. Nous sommes chez nous, nous les Bretons, les Corses, les Occitans, nous les polak, les portos, les ritals et les espingouins, nous les youpins, les nègres, les bougnoules, nous les norvégiennes ménopausées, nous l’Europe, nous le monde, nous la planète, parce que nous sommes la liberté d’aimer, l’égalité devant la loi, et la fraternité dans la République. Nous sommes chez nous.”
Du fond du coeur et avec les tripes, Eva : Bravo.
Et merci.
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
Bon, Jour J mais je réponds quand même!
Faire de la politique autrement, c'est avant tout de la transparence, dire ce qu'on fait, et faire ce qu'on dit. C'est à dire ne pas faire de promesses dans le vent, de pas promettre des choses qu'on ne pourra pas tenir, et des propositions démagos.
Je crois honnêtement que si EELV n'avait pas présenté de candidat-e, l'écologie aurait été absolument absente de la campagne. Là, elle n'a pas été assez visible c'est vrai, mais c'est aussi du au traitement médiatique, on a eu une campagne relayée très économico centré à cause de la crise, qui fait paniquer la population.
Et c'est là qu'on constate cette espèce de pensée unique dans l'univers médiatique, à savoir qu'on sépare crises économique, sociale et écologique, alors qu'elles sont liées, et que leurs résolutions sont interdépendantes.
En ce qui concerne l'accord, j'ai passé beaucoup de temps à l'expliquer aux gens qui me disaient en gros la même chose que toi. C'est un accord programmatique, c'est à dire qu'on s'est mis autour d'une table, et on a regardé sur quels sujets on arrivait à s'accorder. Ca n'a pas été possible pour un certain nombre, et des points très importants pour nous, comme l'amorce de la sortie du nucléaire, l'arrêt du chantier Notre Dame des Landes...
Du coup, ne pas se présenter, c'était dire "OK, y a des désaccords mais tant pis, on se fout derrière le PS". Alors que non, il y a clairement des divergences de priorités, de stratégies, de points de vue. Et présenter une candidature c'était acter cela.
Oui l'accord a fait évoluer le programme du PS sur des aspects (comme la rénovation des bâtis par exemple), tout comme il a plus que très largement inspiré JLM. Mais nous avons des visions encore très différentes.
Par contre, comme tu le dis, il semble urgent que EELV soit enfin représenté au parlement, d'où le besoin de députés et d'où l'accord sur les législatives.
Faire de la politique autrement, c'est faire ce qu'on dit et dire ce qu'on fait, et ne pas prendre les citoyens pour les imbéciles. C'est le non cumul de mandats. C'est la parité. C'est des comptes de campagne clairs. La politique autrement, c'est tout ça. Par contre, à un moment, pour avoir un poids dans le pays, il faut faire des accords, sinon tu es inexistant, et peut-être pur dans ton coin, mais tu ne sers à rien, alors à quoi bon?
Joly dimanche à vous toutes!