Il était temps ! Pour la première fois, un festival de cinéma offrira une programmation vraiment décoloniale. Exit les films qui entretiennent une vision du monde gangrénée par des rapports de pouvoir mortifères : le racisme, le sexisme et l’impérialisme, que l’on peut retrouver même jusque dans le plus inoffensif (en apparence) des blockbusters ou des films d’auteur.
Décolonisation et résistance
Vous n’allez pas au Festival de Cannes cette année ? Tant mieux ! Du 14 au 25 mai, le Decolonial Film Festival nous plonge dans une aventure cinéphile stimulante avec une trentaine de films, diffusés dans des cinémas à Paris et en région parisienne. Fiction, documentaires ou court-métrage : peu importe la forme. Ce qui compte, c’est de montrer des œuvres qui nous décentrent de points de vue colonialistes du monde.
Dans un communiqué, les membres du DFF expliquent ainsi vouloir « permettre une vision plus globale de l’histoire coloniale et de la façon dont elle continue d’affecter les diasporas ». Le cinéma travaille notre imaginaire et notre façon de penser le monde et d’agir, c’est pourquoi le DFF souhaite :
proposer des pistes de réflexion pour repenser notre manière d’agir en société. Le Decolonial Film Festival espère créer un espace engagé et accessible avec un regard critique sur les questions de colonisation, de pouvoir et de résistance.
Pour sa première édition, la programmation est axée autour de thèmes clés dans la pensée décoloniale : résistances, diasporas, spiritualités et héritages. Un programme qui annonce une plongée passionnante dans des récits, des univers, et des personnages peu visibles ailleurs. À propos du DFF, la cinéaste et artiste guadeloupéenne Malaury Eloi Paisley précise que le festival est loin de ces initiatives qui instrumentalisent le décolonialisme, sans pour autant montrer des œuvres vraiment révolutionnées par cette pensée :
» Le mot décolonial est employé à toutes les sauces, et certains festivals font des programmations pour se donner bonne conscience, sans véritablement remettre en question le système. Ce festival existe, parce que c’était nécessaire.
Le coordinateur du festival Sam Leter ajoute également que le DFF met en lumière de nombreux pays « parce qu’il y a plein de régions dans le monde, qui ont, malheureusement, été victimes de cette histoire coloniale. »
Un festival collectif et libre
Les films projetés pendant ces 10 jours ont été choisis par un comité de programmation composé d’une dizaine d’associations et de collectifs féministes, queer et antiracistes issus du monde culturel. On y retrouve notamment le média queer Manifesto XXI, le Festival Ciné-Palestine, Tsedek!, un collectif de juif·ve·s antiracistes et décoloniaux en solidarité avec les palestinien·nes, ou encore la plateforme Cinewax, spécialisée en cinéma africain. Chaque projection sera suivie de discussions avec le public. Une attention particulière sera apporté au public jeune et scolaire, comme l’expliquent les programmateurs :
Nous savons aussi que les discours décoloniaux sont souvent antagonisés dans la sphère publique, et qu’ils restent malheureusement trop niches. Notre ambition est de sortir des cercles académiques et militants pour ouvrir la discussion au plus grand nombre.
Pour garantir sa liberté de programmation, de ton et d’expression, l’équipe du Decolonial Film Festival ne s’est associé à aucune institution privée, privilégiant ainsi un financement participatif. Sa cagnotte est ouverte jusqu’au 9 mai 2024. Les cinq personnes (dont quatre femmes) qui composent l’équipe du festival seront rémunérées à la même hauteur, pour abolir toute relation de pouvoir au sein de l’organisation.
Dahomey de Mati Diop en avant-première exceptionnelle
Bonne nouvelle, le festival s’ouvrira avec le très attendu Dahomey, de la cinéaste franco-sénégalaise Mati Diop.
Ce documentaire à la lisière du cinéma fantastique suit la restitution en 2021 de 26 œuvres du royaume de Dahomey, au Bénin. Ces dernières avaient été pillées par les colons français en 1892. Il a valu à la réalisatrice l’Ours d’or, récompense suprême au Festival de Berlin. Le film sera diffusé le mardi 14 mai au Luxy à Ivry. Il sera suivi d’une discussion avec la réalisatrice (sous réserve) modérée par Elvire Duvelle-Charles, puis par une soirée au Hangar avec Bamao Yendé du label Boukan Records.
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Parmi les autres séances, on retrouvera notamment une soirée dédiée à Frantz Fanon, une projection du film palestinien Le sel de la mer d’Annemarie Jacir ou encore Le champ de Thiaroye du grand écrivain et réalisateur sénégalais Ousmane Sembène.
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