« Des vacances en échange de travaux ». C’est ainsi qu’est titré un reportage BFM réalisé dans un hôpital d’Etampes (91) et largement relayé sur les réseaux sociaux. On y voit une quinzaine de jeunes « issus de quartiers prioritaires » effectuer des travaux de peinture. Un « chantier citoyen » qui leur promet, en retour, une semaine de vacances en Espagne.
« La gratuité ça n’existe pas »
Dans la vidéo, Mama Sy, éducatrice spécialisée et conseillère régionale, abonde : « On a un principe assez clair : de dire que la gratuité n’existe pas. Dire à des jeunes: ‘vous voulez partir en vacances, on va vous les financer’, il ne faut pas avoir peur de dire qu’on a rien sans rien ».
La vidéo n’a pas tardé à faire réagir. D’abord, parce que ce devrait être le rôle de l’État d’investir dans l’entretien de son système hospitalier public, plutôt que d’exploiter des jeunes désireux de partir en vacances, comme l’ont souligné de nombreux internautes.
Ensuite, parce que cette vision méritocratique est martelée aux personnes les plus discriminées, comme si la notion même de privilège n’entrait pas en ligne de compte : « les plus discriminés pour stages, formations, emplois, sont ceux-là même à qui on veut inculquer le sens du « mérite » (= faut travailler pour avoir droit à) » peut-on par exemple lire dans un tweet.
Pourtant, les chiffres le montrent : Selon l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire, les jeunes âgés de 15 à 29 ans vivant dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) sont deux fois plus touchés par le chômage que les jeunes des quartiers environnants (pourquoi, d’ailleurs, ne pas avoir plutôt employé des personnes salariées pour effectuer les travaux de rénovation ?).
Le taux de pauvreté atteint 42 % dans ces quartiers prioritaires contre 16 % dans les villes auxquelles ils appartiennent. Un rapport publié en 2016 par l’Observatoire national de la politique de la ville n’est pas plus optimiste : « un diplômé bac + 5 de plus de 30 ans a 22 % de chances de moins d’occuper un emploi de cadre lorsqu’il est issu des quartiers prioritaires ».
Comme le résume l’autrice et enseignante Sophie Audoubert le résume dans une tribune publiée sur Slate en novembre 2022, la méritocratie, cet idéal instillé dès les bancs de l’école, n’a finalement que très peu de poids dans ce succès :
Le mythe de la méritocratie sert à nourrir l’illusion des bienfaits supposés d’une compétition scolaire dont les règles sont complètement faussées et qui, loin de sélectionner les meilleurs ou les plus méritants indépendamment de leur origine sociale, sélectionne en réalité les plus riches, lesquels sont désignés d’avance, et dès le collège, comme les gagnants « légitimes ».
Et les adolescents enregistrent ce message qu’on leur inculque, comme en témoigne Noah, 16 ans, interrogé par BFMTV « Si on veut quelque chose, il faut se donner les moyens, il faut travailler et on récolte ce que l’on sème » répète le jeune homme.
Aujourd’hui, même le droit aux vacances se gagne quand on est adolescent. Une triste réalité confortée par des phrases comme « la gratuité, ça n’existe pas » qui permettent d’enfoncer le clou des inégalités au nom d’une sacro-sainte méritocratie dont ces jeunes sortent trop souvent perdants.
Pourquoi ne pas leur avoir plutôt inculqué des valeurs de partage et de solidarité en leur permettant de partir en vacances ? Tout dépend, finalement, du modèle de société que l’on veut voir advenir.
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