Madmoizelle. Quel est votre rapport à l’écriture ?
Élise Nebout. J’ai toujours aimé écrire ! Entre 15 et 25 ans, je vivais littéralement pour ça. C’était le seul moyen pour moi de m’exprimer, de déployer mes idées et mon imaginaire. La page blanche est un espace de grande liberté, de découverte de soi, d’amusement. En vieillissant, j’ai appris à exprimer ma valeur autrement, et presque mécaniquement… j’ai moins écrit ! La nécessité d’écrire s’est faite moins forte.
Les mots sont salvateurs, même s’ils peuvent aussi avoir un usage plus ludique et récréatif.
Élise Nebout.
Madmoizelle. Quand avez-vous commencé à écrire ?
Élise Nebout. Au moment de l’adolescence, autour de 13-14 ans. Cet âge est particulier, et, comme beaucoup, j’ai vécu difficilement cette transition entre l’enfance et l’âge adulte. J’avais le sentiment que je ne trouverais jamais ma place, je me sentais flottante et extérieure à moi-même. L’écriture m’a un peu sauvé, en me ramenant à moi. En écrivant, je voyais bien que je n’étais pas une coquille vide. Non, des mots sortaient de moi. C’était donc que j’étais réelle et vivante ! Les mots sont salvateurs, même s’ils peuvent aussi avoir un usage plus ludique et récréatif.
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Madmoizelle. À quel moment de la journée préférez-vous écrire ?
Élise Nebout. Le matin, de loin ! J’aime les débuts, les commencements, quand tout est blanc, vierge. Chaque journée qui commence, je me réjouis à l’idée de tout ce que je vais pouvoir réaliser, accomplir, écrire. Je me sens pleine d’entrain et de bonheur. Vers 16h, souvent, ce n’est plus la même limonade.
Madmoizelle. Avez-vous un lieu de prédilection ?
Élise Nebout. Partout ! Chez moi, à l’école, dans des cafés. En tout cas, je ne suis pas fétichiste sur ce point. Du moment que j’ai mon ordi, je peux écrire. Et j’aime aussi bien écrire pour mon travail que des textes plus personnels. Je suis absolument omnivore, comme dans mes lectures. J’ai une sorte de curiosité insatiable, même si je n’approfondis pas toujours assez.
Madmoizelle. Vous avez cofondé une école d’écriture. Écrire, ça s’apprend ?
Élise Nebout. On s’est donné une mission avec Les Mots : détruire un mythe. Celui du chef d’œuvre écrit d’un seul trait, sous le coup de l’inspiration. Sans travail, sans effort – juste avec du génie ! Je rappelle souvent qu’il a fallu 17 ans à Victor Hugo pour aboutir à la version finale des Misérables ou encore, qu’avant d’être récompensé par l’Académie française, Joël Dicker a écrit 5 romans jamais édités ! Et puis, il est intéressant de constater que cette idée qu’écrire ne s’apprendrait pas est en fait assez récente : les grandes périodes de rayonnement de la littérature française sont celles où justement les écrivains se rencontraient, lisaient leurs manuscrits, se conseillaient, formaient des courants ! C’est ce que nous avons tenté de recréer à l’école, façon 21ème siècle. Pour apprendre à écrire, il faut… écrire ! Construire une phrase, raconter une histoire, inventer des personnages, composer des dialogues : de nombreux aspects de l’écriture sont techniques et tout cela se pratique, se transmet et s’enseigne. À l’école, toute personne qui passe la porte d’un atelier va écrire un texte. Et c’est ainsi que nous voyons beaucoup de personnes progresser et bien souvent publier des textes qui dormaient dans des tiroirs ou qu’ils ou elles rêvaient de publier depuis longtemps !
Madmoizelle. Comment gérez-vous la page blanche lorsque cela arrive ?
Élise Nebout. Mal… et je la connais bien ! Ma technique ? J’écris en mode automatique sans regarder la page. Littéralement : je détourne les yeux de mon ordinateur. Comme je maitrise assez bien mon clavier, j’écris vite, sans réfléchir, en regardant ailleurs, dans le vague – je pense qu’on me prendrait pour une drôle de personne si on me surprenait à ce moment-là !
Quand j’écris, j’ai le sentiment d’être au bon endroit. De ne pas perdre mon temps. J’ai le sentiment d’un temps gagné, bien utilisé.
Élise Nebout.
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Madmoizelle. Quel est le livre qui a changé votre façon d’écrire, ou qui est un incontournable pour vous ?
Élise Nebout. « Les Vagues » de Woolf, définitivement ! Elle m’a fait prendre conscience qu’on pouvait écrire sans être dans la synthèse, mais au contraire dans la profusion et la continuité. Il y a une forme de langueur poétique dans son écriture, dans laquelle je me reconnais absolument, et c’est en la lisant que j’en ai pris conscience. Que j’ai réalisé que c’était une valeur importante pour moi : la poésie, la beauté, une certaine vision douce, esthétique et lente de la vie.
Madmoizelle. Qu’est-ce que cela vous procure, d’écrire ?
Élise Nebout. Joie, compréhension, passion et un sentiment d’accomplissement profond. Quand j’écris, j’ai le sentiment d’être au bon endroit. De ne pas perdre mon temps. J’ai le sentiment d’un temps gagné, bien utilisé.
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Madmoizelle. Comment écrivez-vous ? Êtes-vous plutôt machine à écrire, carnet ou ordinateur ?
Élise Nebout. Ordinateur, définitivement ! Et des notes sur mon Iphone, aussi. J’adore acheter des carnets, aussi, pour la beauté de l’objet, mais force est de constater qu’ils finissent toujours en carnets « to do », moins réjouissant donc !
Madmoizelle. Un conseil pour les lectrices de Madmoizelle qui aimeraient profiter de l’été pour commencer à écrire ?
Élise Nebout. Un premier conseil, ne mettez pas la barre trop haut. Il n’y a rien de tel pour s’inhiber. Je conseille aussi de cultiver un rapport « enfantin » à l’écriture : jouez, amusez-vous, essayez d’être dans le plaisir, la curiosité et la découverte, plutôt que la contrainte ! Ensuite, bien sûr, l’écriture est un long chemin, avec des illuminations grandioses, mais aussi de moments plus troubles – c’est normal, même nos auteurs aguerris traversent ça ! Il faut croire en soi, persister. Un autre conseil qui m’a beaucoup plu, que j’ai entendu récemment, est de Martin Winckler : Martin répondait à une participante qui avouait ne pas réussir à aller au-delà de 10 pages, car elle se relisait à l’infini : « Écrivez au kilomètre, il sera bien temps APRÈS, une fois tout écrit d’un premier jet, de tout remanier, affiner, corriger ». Cette idée d’« écrire au kilomètre » m’a fait « tilt ». D’ailleurs, je dirai que c’est exactement ça Les Mots… un endroit où certaines idées vont soudain vous faire « tilt » et débloquer quelque chose en vous ! Et ce qui est amusant, c’est que ce n’est jamais la même chose pour votre voisin ou voisine !
Portrait de Une : Élise Nebout à l’école Les Mots, par Quentin Chevrier
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