Dès l’annonce de sa grossesse, la superstar donne le ton. Contrairement aux photographies traditionnelles inspirées de madones ère Renaissance et de scénographies fleuries et angéliques, Rihanna adopte un style urbain, mains dans les poches d’un jean oversize troué aux genoux, puffer Chanel vintage rose sur les épaules, largement ouvert afin de laisser apparaitre son ventre dans les rues glaciales de New York. Tout au long de sa grossesse, elle gardera le cap de la dissidence, « quand j’ai appris que j’étais enceinte, je me suis dit : il n’est pas question que j’aille faire du shopping dans les allées maternité. J’aime trop m’habiller, choisir mes vêtements. Je ne vais pas laisser cette partie disparaître parce que mon corps change » déclare-t-elle au magazine Vogue.
À lire aussi : Rihanna sur la parentalité, Fenty Baby, et son nouvel album : 7 confidences clés de son interview pour Vogue
« Maman ou putain »
Riri envoie donc gaiement valser les normes qui voudraient qu’une femme enceinte fasse preuve de « décence » en ne dévoilant pas son ventre et en ne faisant pas montre de séduction au travers de ses vêtements. « Maman ou putain », il conviendrait de choisir. Trop peu pour la chanteuse qui prend plaisir à afficher son glorieux abdomen à chacune de ses apparitions, dégainant une garde-robe ultra-colorée, sexy, en transparence, laçage, strass, dans un mélange de style urbain, chic, trash, au gré de ses humeurs, à l’image de la nuisette see-through qu’elle portait au défilé Dior de la Fashion week 2022, ou encore d’un ensemble Alaïa en dentelle orange pétant et transparent accessoirisée de gants de vamp, à mi-chemin entre Catwoman et Greta Garbo lors d’un photoshoot Vogue dans une chambre du Ritz parisien. Rihanna aime la mode, et enceinte ou non, elle en fait la démonstration.
À lire aussi : Rihanna, enceinte au Super Bowl : décryptage de son look rouge
En couverture du British Vogue, Rihanna mène la danse
En bonne trublionne, Rihanna va plus loin que d’imploser la bienséance de la garde-robe de grossesse, c’est à la figure de la mère en retrait, douce, malléable, qui s’efface devant son enfant et le pater familia qu’elle s’attaque. La couverture du dernier British Vogue la mettant en scène avec son conjoint et leur enfant en est une master classe. Mise en valeur par le duo de photographes Inez van Lamsweerde et Vinoodh Matadin et Edward Enninful au stylisme, on observe Rihanna mener la danse en véritable matriarche.
Elle est positionnée au premier plan du cliché, la poitrine bombée, dans une posture presque surnaturelle, le cou cassé vers l’arrière pour faire monter plus haut encore son menton. Sur une plage isolée de Malibu, la Barbados babe fixe l’objectif avec aplomb et désinvolture tandis que son compagnon, le rappeur ASAP Rocky, se tient en arrière-plan, yeux clos, corps rentré vers l’intérieur, épaules et dos arrondis, déposant un baiser sur la joue de leur enfant potelé et tout-sourire qu’il tient d’un bras contre son torse – c’est par ailleurs lui et non sa compagne qui porte le décolleté. Dans une complète inversion des rôles traditionnels, il campe une posture « maternante », enveloppante.
Cette couverture est un chambardement du schéma patriarcal en cela qu’elle présente une femme que la maternité ne définit qu’en partie, occupant l’espace, et dont l’individualité ne disparait pas au profit de son enfant mais au contraire se déploie encore davantage. Rihanna tient la main de son conjoint comme connexion à leur cellule familiale, mais elle s’émancipe du cantonnement au domaine domestique en regardant vers l’extérieur, son regard vert hypnotique droit sur l’objectif, incarnation de la sphère publique traditionnellement réservée aux pères.
Les limites de la « Wonder Woman »
Il y a néanmoins un bémol au narratif véhiculé par Rihanna. De fait, elle nourrit l’idée moderne et aliénante qu’il est possible pour les femmes de combiner leurs différents rôles sociaux avec grâce et facilité et surtout, d’y exceller. La Wonder Woman caribéenne mène de front parentalité et business : sa carrière musicale (certes en semi-pause), sa marque déclinée en plusieurs secteurs dont les cosmétiques Fenty Beauty et la lingerie Savage X Fenty en collaboration avec le groupe LVMH. Mais aussi une prestation iconique au Super Bowl en plein post-partum et enceinte de son second enfant. Tout cela infuse des illusions délétères au commun des (mères) mortel(le)s qui ne bénéficie pas des conditions matérielles et du confort économique de Riri lui permettant une certaine balance vie privée/vie publique.
Par ailleurs, la glorification d’une Rihanna peut devenir source de pression lorsque le seul besoin (légitime) de personnes enceintes peut être de se reposer et se vêtir de jogging neuf mois durant plutôt que de dead une prestation de treize minutes perchée sur des plateformes coulissant entre cinq et vingt mètres de hauteur. D’autant plus que le statut de mère est assorti de jugements et critiques quoi que vous fassiez. Rihanna n’y échappe pas et est régulièrement attaquée malgré ses moult performances parce qu’elle tarde à sortir son neuvième album studio.
La condition maternelle a cela de particulier qu’elle met constamment en échec, que vous soyez Rihanna ou ma cousine Sarah.
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires