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En cloque, mode d’emploi

Attention, cette critique cherchant à rendre compte du film dans sa totalité, il est déconseillé de la lire si on ne l’a pas encore vu !

La belle et le clochard

Depuis l’affiche américaine qui tourne en ridicule le personnage joué par Seth Rogen (« what if this guy got you pregnant ? »), le point de départ du film joue sur les apparences. Prenez Alison, beauté typique ; approchez-la de Ben, qu’on veut à tout prix présenter comme le mec repoussant par excellence : tel semble être le parti pris d’En cloque. Comme si quelque chose, lors de cette soirée en boîte un peu trop arrosée pour les deux personnages, n’avait pas tourné rond et que c’était par hasard que dans le lit d’Alison-la-princesse s’était retrouvé Ben-le-looser, presque obligé de lâcher, pour se convaincre lui-même qu’il ne rêve plus, un « you’re prettier than I am ! » qui rappelle jusqu’au bout qu’on veut marquer leur différence.

Un peu comme la citrouille de Cendrillon, tout s’évapore dès le réveil : avec un plan assez cruel – mais aussi très drôle – sur le corps nu de Ben, à peine caché par le drap, et sur le visage grimaçant d’Alison, le film souligne que l’alcool aidant, cette histoire n’était qu’un accident. Comme si le rapprochement entre ces deux corps si différents l’un de l’autre ne pouvait pas être réel.

Pourtant, on le sait dès lors qu’on connaît le titre : quelque chose a fait dévier les personnages de la trajectoire convenue qui était supposée renvoyer chacun dans son monde. C’est en fait le schéma attendu dans lequel Ben retournerait dans son coin qui n’a pas sa place dans la comédie. Dans la fiction, se déploie une autre dimension du monde.
Le film évacue d’emblée tout psychologisme : il ne s’agit pas de savoir quelles sont les motivations d’Alison, qui décide de garder l’enfant. On voit ses hésitations, mais on n’a pas accès à son intériorité, à un raisonnement sensé qui nous ferait comprendre par a+b pour quelles raisons elle fait ce choix. L’élément perturbateur, le véritable point de départ de la comédie, qui vient transformer un schéma convenu des relations homme/femme, se pose dans le film comme début d’une action et non résultat d’un raisonnement intime.

Aire de jeu

C’est précisément ce qui ouvre l’espace de la comédie : comment, avec cet élément perturbateur qu’est une naissance à venir, ces deux personnages vont-ils s’approcher, pouvoir se rapprocher au-delà d’une soirée de beuverie ? Il s’agit en fait de créer dans le film un espace dans lequel confronter, comme pour une expérience, deux corps étrangers. Prendre deux personnages, les unir, et voir ce qui se passe, en les laissant avancer seuls.

Il est précisément question pour Ben non pas de renier ses anciens potes (à l’humour aussi attardé que drôle, et qui sont toujours là pour distancier l’approche entre Ben et Alison) et de se ranger dans une vie de famille déjà toute tracée. Au contraire, il s’agit pour lui, car c’est bien de lui et de la peur de l’engagement que traite principalement le film, de conquérir sa liberté dans un monde qui semble a priori l’emprisonner. Sous le regard de Judd Apatow, réalisateur qui observe ses personnages se débrouiller dans l’aire de jeu qu’il a mise en place, comme sous le regard du spectateur, il va s’agir pour ce beau personnage qu’est Ben de conquérir sa liberté en grandissant.

Quoi de plus éculé, va-t-on dire, que ce parti pris : une belle femme tombe enceinte d’un mec un peu lourdaud, d’un gros flemmard qui a peur de s’engager dans un couple. Au-delà de cet aperçu qui se limite aux grandes lignes du film, on sent vite qu’il y a quelque chose de franchement bouleversant dans En cloque. Quelque chose qui par le biais de blagues idiotes et drôles, qui font sourire presque malgré soi, laisse un personnage s’épanouir dans un univers auquel il semblait tout à fait étranger. Lui qui jouait encore les ados avec ses copains au début du film va s’affranchir de ces contraintes – sans que jamais le film ne porte de jugement à leur sujet en les présentant comme un horizon du couple à éviter à tout pris. Au contraire, il y a pour Ben deux bords du monde : celui de la bêtise drôle de ses copains-ados, celui de la rigidité de structures familiales. Face à ces deux limites, s’ouvre pour Ben un monde de possibles que lui seul peut conquérir, accomplissant par là-même une quête personnelle – ce qu’on appelle grandir.
Il est réducteur, aussi, de voir dans cette façon de matérialiser l’épanouissement de Ben du conformisme. La fin est morale, sans doute ; mais pas moraliste pour autant. Tout était possible, une voie s’est ouverte comme une autre aurait pu le faire. Qu’elle passe par l’union de Ben et Alison tranche certes avec une tendance pseudo-rébellion plus facilement acclamée dans le cinéma, mais est loin de confiner le film dans des mœurs archaïques et convenues.

Retour vers le futur

En témoigne le personnage de Pete. Pete est le mari de Debbie, sœur d’Alison. Pete, c’est Ben quelques années plus tard : avec une maison, une femme, des enfants. Ben qui aurait accomplit un travail sur soi pour se conformer ? Non : les scènes avec ce déjà père et déjà mari sont parmi les plus belles du film et servent de contrepoids à ce qui pourrait – à tort – être considéré comme un conformisme de la part de Judd Apatow.
On le voit bien avec Pete : rien n’est jamais accomplit. Le couple n’est jamais présenté avec manichéisme ou facilité. C’est plutôt un travail de tous les instants, quelque chose de violent, manifesté dans le film par les tensions entre Pete (interprété par l’admirable Paul Rudd) et Debbie, par exemple lors du parcours supposé surprendre Pete en plein adultère. Mais aussi les tensions entre Pete et Ben – scène de l’anniversaire au terme de laquelle Pete, tout juste attaqué par son nouveau copain, se retrouve dos à la caméra, tourné vers sa fille à qui il chante « happy birthday ». Ou même, les tensions de Pete à Pete, lors de cette belle scène dans la chambre d’hôtel à Vegas. Quoi de plus amusant, mais aussi quoi de plus grave que de manifester l’angoisse d’être père, d’être mari par ces plans où le trouble du personnage n’apparaît que lorsque Pete, désemparé, ne sait plus quoi faire d’autre que se mordre les doigts, passer d’un siège à un autre… comme si le cadre trop étroit de la caméra enfermait le personnage comme son couple l’étouffe parfois.

Pete offre un contre modèle au couple en devenir, ou du moins un espace de réflexion dans lequel pourra se projeter Ben ou le spectateur choisissant, où il veut, sa place.

Face à la pression du couple, aux peurs qui les assaillent, les gars n’ont qu’une façon de faire : jouer les clowns, se projeter imaginairement de manière à reconquérir leur liberté – et par la même occasion, de déployer dans la fiction un espace où s’évacuent ces angoisses, ou se déploient d’autres possibilités, d’autres fantasmes, de liberté le plus souvent.

A ce titre, la scène du restaurant est à la fois la plus drôle, la plus angoissée, et la plus saisissante du film. Dans un dialogue entre les deux garçons, sous le regard atterré et peu compréhensif des femmes, Pete et Ben projettent leurs angoisses et leurs désirs – monter dans la Delorean, remonter le temps, jouir de leur liberté – de façon particulièrement drôle. Par des plans qui successivement englobent un couple puis l’autre, se projette la même image, comme s’ils étaient le strict reflet l’un de l’autre. Un rigolo qui a soif de liberté, une fille qui n’y comprend rien. Ben et Pete sont face à face, mais rarement tous les deux dans un même plan ; comme si ce qu’ils se disaient ne réussissait pas à sortir du cadre du couple, seul concerné par leur propos. D’où le besoin de déconner, pour évacuer la peur. Les femmes ne sont jamais exclues de la conversation : elles sont toujours avec l’un ou l’autre des deux hommes, comme si c’était leur volonté seule qui les empêchait de rire elles aussi – et donc de comprendre.

Homme et femme ?

Sans vouloir tomber dans la critique facile ou se contenter du prétexte qu’on est sur un site féminin, il faut tout de même constater, puisque c’est notre point de vue, que l’antagonisme hommes-femmes du film est assez léger. Les hommes ont peur de s’engager ; les femmes sont chiantes comme la pluie, capricieuses et possessives. Voilà la seule faiblesse d’En cloque : celle de ses personnages féminins.

Cela dit, rien n’empêche, qui qu’on soit, de se sentir plus proche de Ben ou de Pete que d’Alison ou de Debbie. On dirait même plus que d’une certaine façon, ça va de soi… A soi, en fait, de faire la transformation : le film ne dit pas qu’il est de la nature de ces filles d’être exigeantes et dures, ça se présente comme ça. C’est peut-être le parti pris du film, peut-être le parti pris d’Apatow, comment savoir.

Ce qui importe, en fin de compte, c’est de se considérer en tant que spectatrice à la même place que n’importe quel autre spectateur, et non cantonnée dans le rôle éculé des deux femmes. Il serait bien trop excessif de taxer le film de sexisme. Malgré la faiblesse de ces personnages, c’est à notre tour non pas de juger, mais de nous placer où on se sent le mieux, car jamais il ne semble que le film enferme les femmes dans un camp plutôt que dans l’autre – il y a comme une autonomie des personnages, qui donnent alors le sentiment qu’elles s’y enferment d’elles-mêmes.

Ce qui est sûr, c’est qu’En cloque est un film dans lequel chaque personnage a son mot à dire, où on n’en trouve pas un pour jouer le méchant désigné par avance, le faire-valoir d’autres personnages à admirer presque par obligation. Voir la scène entre Debbie et le videur qui lui refuse l’entrée de la boîte : l’inattendu du dialogue, savoureux, fait de la comédie un monde où toute liberté est possible.


Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.

Les Commentaires

6
Avatar de Syrena
9 octobre 2008 à 15h10
Syrena
J'ai bien aimé ce film mais je l'ai revu plusieurs fois et à force je me suis un peu lassée... Le dialogue n'est pas très intéressant et la traduction est mal faite...
0
Voir les 6 commentaires

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