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Source : Henrique Campos / Hans Lucas
Éditos de la rédac

En 2023, une mère dénonçant l’inceste vécu par son enfant est diabolisée, et cela doit cesser

Malgré la déflagration causée par #MeTooInceste, le tabou entourant les violences sexuelles intrafamiliales reste bien réel. Si la parole s’est libérée, qu’en est-il de l’écoute ? La société et le système judiciaire ont-ils pris la mesure de ce fléau ? À en juger par l’ignorance à l’égard de la parole des enfants et la stigmatisation des mères protectrices, il semblerait que non. C’est ce que nous révélons dans une enquête édifiante.

Les chiffres sont là, éloquents, sidérants : d’après un rapport de la CIIVISE (Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants) chaque année, 160 000 enfants sont victimes d’inceste. À l’échelle d’une classe, ce sont environ trois enfants qui sont concernés par des violences sexuelles intrafamiliales.

Depuis près de trois ans et la publication de La Familia grande, le récit puissant de Camille Kouchner sur l’inceste vécu par son frère, l’onde de choc continue de se répandre, libérant la parole de dizaines de milliers de personnes clamant : « moi aussi, j’ai été victime d’inceste ».

Pour autant, la société et le système judiciaire ont-ils réellement pris la mesure de cette réalité, partagée par de trop nombreuses personnes ? La voix des victimes est-elle réellement audible, alors que, dans neuf cas sur dix, un enfant qui révèle l’inceste voit son témoignage nié, au profit du maintien de la cohésion familiale ? Près de trois ans après l’émergence du mouvement #MeTooInceste, il y a de quoi douter. D’autant que, une fois la parole courageuse des victimes entendue, une fois le filtre du cercle familial passé, un autre défi majeur s’annonce : celui du temps judiciaire, qui, souvent, peut se révéler être une double peine.

La parole de l’enfant est ignorée, la mère protectrice est stigmatisée, vilipendée

C’est ce qu’ont vécu Pauline Bourgoin* et Sophie Abida. Elles sont deux à livrer leurs témoignages dans l’enquête que nous publions, « #MeTooInceste : quand le système judiciaire broie les mères qui portent la parole de leurs enfants ». Elles sont deux, mais leur histoire est également celle de nombreuses autres femmes, mères ayant écouté la parole de leur enfant, et souhaité se battre pour que ces violences cessent.

En écoutant leur enfant raconter les violences sexuelles dont il était victime de la part de leur père, ces femmes ont vu leur vie basculer et se briser contre le mur de l’institution judiciaire en laquelle elles espéraient trouver une aide. Ce qu’elles racontent est similaire, bouleversant et révoltant.

Ces parcours montrent que, non seulement la parole de l’enfant est ignorée, mais la mère protectrice est stigmatisée, vilipendée.

Défaire les mécanismes à l’œuvre dans cette inversion de la culpabilité

Dans l’enquête que nous publions, fruit d’un travail de 6 mois, Charlotte Arce et Elisa Covo, journalistes à la rédaction de Madmoizelle, vont à la rencontre de ces mères pour recueillir leur parole, mais aussi celles d’avocates, comme Pauline Rongier, de spécialistes dans le recueil de la parole des enfants comme Flavia Remo ou de membres d’associations de protection de l’enfance.

À travers cette enquête, elles s’attachent aussi et surtout à défaire les mécanismes à l’œuvre dans cette inversion de la culpabilité dont pâtissent de nombreuses mères ayant voulu protéger leur enfant. Des mécanismes sexistes institutionnalisés qui inondent les cours de justice pour faire des mères le parent « aliénant », au profit de la toute puissance de la présomption d’innocence du père, quand devrait primer la présomption de véracité.

Car les pères sont rarement la cible du « syndrome d’aliénation parentale », qui présente les mères comme « manipulatrice », « possessive », « fusionnelle »… « Ce concept est mobilisé en faveur des pères et en défaveur des mères », explique le juge des enfants et co-président de la CIIVISE, Édouard Durand, interviewé par Madmoizelle dans le cadre de notre enquête. « La pratique de la protection de l’enfance, en tant que juge des enfants depuis bientôt vingt ans, m’a conduit à constater que nous portons un regard très différent sur les pères et sur les mères », affirme-t-il.

Continuer à faire de l’inceste un sujet de premier plan

À l’aune de toutes ces révélations, peut-on vraiment parler d’une victoire sur le fléau de l’inceste qui ronge notre société ? Si la parole s’est effectivement libérée, n’est-ce pas une insulte aux victimes de ne pas les écouter ? « On ne peut pas dire simultanément : nous vous invitons à révéler les violences que vous subissez et classer les plaintes sans suite dans 70 % des cas », pointe le juge Édouard Durand. C’est là une réalité qui devrait être une idée fixe pour chaque personne constituant chaque maillon de l’institution judiciaire. Il serait aussi légitime de se questionner sur ce que cela révèle vraiment sur notre société, qui tait la parole des enfants, l’ignore, la réduit et la décrédibilise.

Alors, que faire désormais ? Que faire alors que l’avenir de la CIIVISE, qui a accompli en plus de deux ans un travail de recueil de témoignages énorme, est toujours incertain ? Des pistes existent, et il est urgent de penser concrètement leur mise en œuvre : réduire le nombre de classements sans suite pour aboutir à un traitement judiciaire plus protecteur de l’enfant et de son parent protecteur ; suspendre les poursuites pour non-représentation d’enfant dans les situations d’allégations de violences contre l’enfant ; ne pas confier l’enfant à un parent présumé agresseur. L’inverse semble tellement illogique.

Il faut, aussi, évidemment continuer à faire de l’inceste un sujet de premier plan, et en cela, les prises de paroles de personnalités publiques visibles sont salvatrices. Non seulement parce qu’elles rendent le combat contre l’inceste visible, mais aussi parce qu’elles envoient un message à toutes les victimes : « vous n’êtes pas seul·es ».

Pour la rédaction de Madmoizelle, il s’agira de continuer à porter des voix qu’il est impératif d’entendre, celles de ces mères, assurément, comme nous le faisons dans cette enquête. Et celle de chaque personne qui se bat contre l’inceste et la stigmatisation institutionnalisée des mères qui protègent leur enfant.

Car en France, en 2023, lorsqu’une mère dénonce un inceste vécu par son enfant, c’est elle que l’on diabolise. Et cela doit cesser.

* Le prénom a été modifié car la témoignante a requis l’anonymat.


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Les Commentaires

3
Avatar de Beki
17 juillet 2024 à 10h07
Beki
@Azala : Recyclage d'article, il a bien été écrit en 2023.
1
Voir les 3 commentaires

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