L’image est spectaculaire et a fait le tour du monde : des dizaines de femmes seins nus, à vélo ou à moto, ont envahi les rues de Berlin ce samedi 10 juillet sous le mot d’ordre « Oben ohne für alle, sonst gibst krawalle ! », en français :
« Seins nus pour tout le monde, ou alors il y aura des émeutes ! ».
Un geste de protestation pour réagir à un incident survenu fin juin dans un parc berlinois, où une femme, une Française résidant dans la capitale allemande, a été expulsée parce qu’elle était seins nus.
Virée d’un parc pour avoir été topless
Dans un post publié sur Facebook, Gabrielle Lebreton a raconté l’incident : fin juin, elle passait son après-midi au parc de Treptow avec un de ses amis et leurs enfants respectifs.
C’est alors que deux gardiens du parc sont venus lui demander de se couvrir la poitrine. Pourquoi ? a-t-elle répondu. Parce qu’elle n’est pas dans une zone nudiste. Or, Gabrielle Lebreton n’était pas nue et portait bien un bas de maillot de bain.
Gabrielle Lebreton leur a alors demandé pourquoi elle devrait dissimuler sa poitrine, alors que des hommes pouvaient aller et venir dans tout le parc torse nu. Alors qu’elle pointait, à juste titre, cette discrimination, le ton a changé et elle a été fortement incitée à quitter les lieux. C’est ensuite l’argument de la présence des enfants dans le parc qui a été mis sur la table.
Les deux gardiens ont fini par quitter les lieux pour ensuite revenir… accompagnés par la police, qui a ordonné à Gabrielle Lebreton de quitter le parc.
Les corps des femmes, cet éternel problème
Qu’on soit en train d’allaiter, ou en train de profiter des doux rayons du soleil sur une plage ou un parc, il faut croire qu’il y aura toujours quelqu’un pour venir nous dire que nos seins sont un problème, pour nous sommer de nous rhabiller, ou de faire ça ailleurs, loin des regards.
En 2021, la pratique des seins nus semble toujours sujet à controverse. Une enquête de l’Ifop et de Vie Healthy menée en 2019 montrait un net recul de la pratique : elles étaient 43% des femmes entre 18 et 50 ans à le pratiquer en 1984, elles sont maintenant 19%, soit une sur cinq à oser se mettre seins nus à la plage.
Selon les principales intéressées, le frein principal est le risque pour la santé d’une exposition au soleil trop importante (56%) qui arrive bien en tête, derrière la crainte d’être harcelée ou d’être observée avec insistance par des hommes.
Toutefois, chez la tranche d’âge la plus jeune, les 18-25 ans, la crainte du harcèlement l’emporte sur les inquiétudes liées à l’impact de l’exposition sur la santé : le regard concupiscent des hommes arrive en tête (59% des répondantes), la crainte de faire l’objet d’une agression (51%), la crainte de critiques négatives sur son physique (41%).
Si la crainte pour sa propre sécurité est aussi présente, c’est aussi parce que le regard moralisateur de la société joue encore aujourd’hui contre les femmes :
ce sont les femmes qui suscitent le désir en s’exhibant, c’est donc elles qui provoquent l’agression.
Sur la plage, comme ailleurs, notre comportement vestimentaire est trop souvent encore tenu responsable des désagréments, remarques ou agressions que l’on peut subir : sous-entendu, si on ne voulait pas se faire reluquer ou harceler, on n’avait qu’à pas faire tomber le maillot.
Et sur la plage, comme ailleurs, on n’a jamais la garantie d’avoir du secours ou du soutien si un homme s’en prend à nous alors qu’on était tranquillement en train de se dorer la pilule.
Ainsi, les gardiens du parc de Treptow, tout comme la police, ont préféré demander à une femme de se couvrir, plutôt que de s’assurer qu’aucun homme ne viendrait l’importuner.
Son témoignage aura permis de mener une action féministe afin de dénoncer le perpétuel double-standard entre les hommes et les femmes dans l’espace public.
« Libérer ses seins, montrer ses seins va redevenir, et c’est ce que l’on vit aujourd’hui je crois, un acte féministe assez fort, qui n’est pas anecdotique puisque ne plus porter de soutien-gorge ou bronzer seins nus, c’est tenter de se libérer des représentations objectivantes et sexualisantes », estimait la philosophe Camille Froidevaux-Metterie, autrice de Seins. En quête d’une libération chez Anamosa.
Un topless forcément militant ?
Sur Twitter, une fan du groupe Måneskin, vainqueur italien de l’Eurovision 2021, a relevé une story du groupe où Victoria la bassiste – et seule femme du groupe – pose topless et accompagnée de ses collègues batteur et chanteur : « Imagine trainer avec ses potes et ne pas être sexualisée… jalousie »
Que la vie serait douce si on pouvait sortir seins nus sans risquer de se faire sexualiser, objectifier ou brimer, mais aussi sans avoir à se justifier. Juste être, sans s’inquiéter, comme tous ces hommes cisgenres à la plage, au parc, ou dans tout espace public, qui enlèvent leur t-shirt sans se poser aucune question et sans que quiconque ne conteste leur droit à le faire.
Cette tranquillité d’esprit ne devrait en aucun cas être réservée aux seules femmes qui rentrent dans les normes de minceur et les standards de la désirabilité, il faudrait que toutes puissent avoir ce luxe.
Dans Corps de femmes, regards d’hommes. Sociologie des seins nus, Jean-Claude Kaufmann montre que le corps des femmes « navigue entre trois registres », la banalité, la sexualité et la beauté :
« Sur la plage, le corps de la femme passe sans cesse de l’un à l’autre. Le plus souvent, elle n’est ni totalement dans la banalité, ni dans la beauté, ni dans la sexualité : elle est entre deux ou entre trois, dans une situation équivoque. »
Cela induit une surveillance et un contrôle tacite de la nudité dans ces espaces publics. Comment alors déconstruire ce flot d’injonctions implicites qui façonnent les comportements et corsètent nos libertés ?
Si faire du topless a une résonance politique, comme en témoigne la mobilisation de soutien à Gabrielle Lebreton à Berlin, n’aurait-on pas aussi le droit de partir au soleil l’esprit léger sans avoir besoin de revendiquer quoi que ce soit, débrancher le temps de quelque temps l’hypervigilance à tous les détails de notre société sexiste ? De mettre de côté la casseuse d’ambiance en soirée en nous, et ne pas avoir un discours féministe tout prêt à dégainer dès qu’on se prendra une réflexion sur le fait d’être tous seins à l’air ?
Et vous ? Songez-vous à faire du topless cet été ? Ou avez-vous renoncé par crainte de faire face à des remarques désapprobatrices ?
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