Toute ma vie, j’ai expérimenté le harcèlement de rue. Quand j’avais 13 ans et que j’allais au collège à 7 heures du matin je me faisais parfois fixer avec insistance par des hommes qui devaient avoir 30 ans de plus que moi — et je savais bien que ce n’était pas normal.
Bien que j’étais consciente que cela existait et que ça me mettait mal à l’aise, j’ai un souvenir très vif de la sortie d’une vidéo sur Madmoizelle en 2016 avec laquelle je n’étais pas vraiment d’accord.
Une idée trop extrême pour la moi de 17 ans
Vous l’avez peut-être deviné, je parle de la vidéo de Marion Seclin sortie en 2016 : #TasÉtéHarceléeMais… t’as vu comment t’étais habillée ? qui a servi de prétexte à une horrible vague de harcèlement en ligne.
Je me souviens très nettement avoir regardé cette vidéo en 2016. J’avais 17 ans et j’étais en terminale au lycée. Je trouvais son propos exagéré à l’époque. J’avais même été assez agacée, je me souviens avoir dis des phrases du genre :
« Oh mais ça va ! Quoi ? On va plus parler aux gens dans la rue maintenant ? Ça a rien de grave franchement… Y a pire ».
Le point que je trouvais abusé à l’époque, c’était l’idée qu’un homme qui m’arrête dans la rue pour me donner un compliment, c’était pas OK. Je n’étais pas d’accord avec ça parce que je considérais qu’à partir du moment où on me disait quelque chose de gentil, je n’avais pas à me sentir importunée.
L’idée selon laquelle « personne n’est légitime pour me donner son avis sur mon physique » était trop extrême pour moi.
Avec le recul, ce propos en particulier résume totalement ce que je pense aujourd’hui et je n’aurais probablement pas pu le dire aussi bien que Marion à l’époque !
À force d’expérience, j’ai compris
J’ai expérimenté toute ma vie le harcèlement de rue, bien avant de voir cette vidéo, et pourtant je n’étais pas d’accord avec ce propos. Je me souviens même en avoir parlé avec mes copines au lycée : on étaient toutes d’accord pour dire que c’était abusé.
Pourtant, je commençais doucement à m’intéresser au féminisme et je constatais avec colère les comportements sexistes autour de moi.
C’est que le harcèlement de rue faisait tant partie de notre quotidien qu’il était confondu, parfois, avec une forme de validation. Si on se faisait arrêter dans la rue par des mecs, du haut de nos 17 ans, on se disait que c’était probablement une confirmation de notre beauté physique.
Mais en grandissant et en évoluant, je me suis rendue compte que le propos de Marion dans cette vidéo était très parlant pour moi. Six ans plus tard, je me rend compte qu’elle résume les situations que j’expérimente tous les jours.
Peut-être qu’il fallait juste quelques années de harcèlement en plus pour que je comprenne, malheureusement…
La colère a remplacé l’indifférence
Eh oui, j’ai changé d’avis. Bien plus que ça, même : ce que dit Marion dans la vidéo, c’est précisément ce que je hurle tous les jours, à peu près à chaque personne qui veut minimiser le harcèlement de rue face à moi.
Depuis plusieurs années maintenant, le harcèlement de rue que je subis s’est aggravé. J’ai été insultée, suivie, on m’a couru après… J’ai même été accostée par un mec qui était à son balcon pendant que je marchais en pleine rue ! Je ne peux pas compter le nombre de fois où on me fait chier dans la rue en un mois.
Et depuis que ces expériences se sont multipliées, j’ai nourri une vraie haine pour ce phénomène qui ne semble pas s’arrêter. Aujourd’hui je suis à 100% d’accord avec la vidéo, que je trouvais vraiment « abusée » en 2016.
Je me dis que aujourd’hui, je ne répondrais pas « merci » avec le sourire à ce mec de 45 ans qui me dit que je suis jolie tout en tenant la main de sa petite fille, alors que j’étais en 3ème à l’époque.
Le confinement, le rappel d’une vie sans harcèlement
Je pense que l’expérience du confinement n’a fait qu’aggraver les choses ; je dirais même que c’est précisément la période à laquelle je me suis rendue compte que le harcèlement de rue était insupportable. Mars 2020 m’a fait perdre les habitudes des rues remplies de gens et des interactions avec des inconnus.
En mai 2020, quand j’ai recommencé à sortir, j’étais terrifiée si un mec venait me parler dans la rue, et j’ai l’impression que c’est arrivé beaucoup plus qu’avant. Sauf que je ne le tolérais plus du tout, parce que je n’avais pas eu à m’en préoccuper pendant des mois durant le confinement.
Je me suis rendue compte que la jeune moi de 17 ans avait tellement assimilée que c’était prétendument « normal » de se faire accoster en pleine rue à toute heure de la journée et de la nuit, que j’étais offusqué par le discours d’une fille qui disait qu’il fallait que ça cesse.
Une lutte plus complexe qu’il n’y paraît
Aujourd’hui je me tue à expliquer à tous les boomers de mon entourage que non, la rue n’est pas un endroit pour des rencontres ou de la drague. Que non, je ne me sentirai jamais en sécurité face à un inconnu qui vient me parler dans la rue, même s’il est très gentil. Que non, c’est pas « mignon » de me courir après et de me faire sursauter en me tapant sur l’épaule pour me dire que je suis belle.
Je suis toujours très énervée quand je dois expliquer tout ça, parce que je me rend compte que c’est tellement injuste que je doive me préoccuper de ça. J’aimerais juste marcher dans la rue et penser à rien. Mais non, je regarde le reflet dans les vitres pour vérifier que personne me suit.
Je pense que la colère vient de là : le fait que ça soit un souci qu’on nous impose et qui ne semble pas s’en aller.
Les expériences de la vie m’ont fait me rendre compte qu’il fallait que je me déconstruise et que j’arrête de subir en faisant des grands sourires. J’ai compris que la vidéo de Marion postée en 2016 était la première étape qui m’a fait réaliser que le harcèlement de rue n’était pas normal, même s’il m’a fallu du temps.
Le harcèlement de rue n’a pas disparu et ça ne va sûrement pas s’arrêter de si tôt. La seule chose qui peut potentiellement s’arrêter, c’est qu’on l’accepte. Aider une meuf qui semble se faire emmerder, ou en parler au maximum aux gens autours de nous pour leur faire comprendre que ce n’est pas anodin, ça peut faire évoluer les choses.
Alors oui, on ne peut pas être une méga-super-féministe d’un coup, ça prend du temps. Mais l’important, je pense, c’est de réaliser qu’on a fait du chemin et qu’on a évolué dans le bon sens.
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