Un vol de dix minutes. DIX MINUTES. Le temps de cuisson d’un œuf dur. Ou d’un coït médiocre avec un homme hétérosexuel. Ou du clip de Telephone avec Lady Gaga et Beyoncé. Dix minutes.
C’est pour ces dix minutes que la Terre s’est arrêtée de tourner (ou presque) ce mardi 20 juillet, pour nous laisser admirer Jeff Bezos grimper à bord de Blue Origin accompagné de son frangin Mark, de l’astronaute Wally Funk et d’un chanceux étudiant néerlandais nommé Oliver Daemen, s’envoler vers les cieux à bord de cet engin à la forme équivoque (ne me faites pas croire que vous n’avez pas remarqué) et se poser dans le désert texan.
Que ce soit clair, jamais, au grand jamais, je ne rêve de m’enfermer dans un espace plus petit qu’une chambre de bonne parisienne (et visiblement plus onéreux) pour être propulsée vers l’infini et l’au-delà. J’ai bien assez à gérer en termes d’angoisses quand je dois prendre un avion.
Et au bout de ses dix minutes de vol, ont réapparu Jeff Bezos et ses voyageurs de l’espace, émergeant de leur capsule comme s’ils avaient fait « the moon and back » et qu’on ne les avait pas vus depuis trois ans.
Je veux bien croire que le temps, c’est très relatif dans certaines circonstances, mais quand même, des grosses accolades et du champagne comme à la fin d’un Vendée Globe, n’en fait-on pas un peu trop ?
(Laissez-moi être cynique, je SAIS que c’est une victoire de revenir en entier quand on part dans ce genre de boîte de conserve).
Un chapeau de vrai bonhomme pour Jeff Bezos
Et c’est sans oublier le chapeau.
Ce fameux chapeau de cow-boy porté par Jeff Bezos en s’extirpant de Blue Origin, car évidemment, pourquoi se priver de plaquer le mythe de la conquête de l’Ouest, toute pétrie de virilité et de suprématie blanche qu’elle est, sur celle de l’espace ?
Un accoutrement un brin plouc que n’a pas manqué de relever l’humoriste Jimmy Fallon lors de son late show :
« On sait que tu es riche quand tu mets un chapeau de cow-boy et et que tous les gens qui bossent pour toi disent “Oh, ça te va bien, tu n’es qu’un homme du peuple qui va dans l’espace.” »
Avant d’ajouter : « C’est un mélange entre Buzz L’Éclair et Woody. »
Et il ne s’agit pas que d’une conquête, mais surtout d’une course à qui décrochera la timbale du tourisme spatial, puisque tout ce cirque se joue entre hommes blancs, riches et puissants, Jeff Bezos et ses concurrents tout aussi mégalos Richard Bronson (parti dans l’espace à bord de son vaisseau Virgin Galactic le 11 juillet) et Elon Musk.
Je soupçonne Jeff Bezos d’aimer les symboles, comme le souligne Le Monde : partir un 20 juillet, date des premiers pas de Neil Armstrong sur la Lune, c’est tout sauf hasardeux.
Mais surtout pour quelle autre raison choisir Wally Funk pour monter dans Blue Origin à ses côtés, et lui permettre de réaliser son rêve de partir dans l’espace, faisant ainsi d’elle la doyenne des astronautes ? En vrai, c’est un beau symbole. Une belle revanche, comme le souligne Numerama, qui livre plus de détails sur le rêve manqué de Wally Funk et surtout sur sa détermination face à la NASA.
Avec ce geste, le patron d’Amazon parvient à donner une dimension humaniste et généreuse à son voyage.
Dix minutes qui (nous) coûtent cher
De retour sur Terre après son périple, Jeff Bezos s’est dit bouleversé d’avoir pu voir la Terre dans toute sa beauté « mais aussi sa fragilité ».
Bon nombre d’entre nous étions déjà au courant de ce fait, sans toutefois avoir besoin de s’envoler à bord d’une fusée pour en être convaincus. On espère qu’après l’émotion, ce cher Jeff aura une épiphanie et sortira son chéquier pour autre chose que des fusées.
Peut-être se dira-t-il, qu’aussi attrayante et bénéfique soit la conquête de l’espace, la préoccupation des 99% qui ne songent même pas à se payer un billet dans une navette spatiale est plutôt de ne pas voir son habitat et sa santé mis en danger à cause du réchauffement climatique.
Mais la goutte d’eau, c’est peut-être ce moment où Jeff Bezos a affirmé sans ciller qu’il remerciait tous les employés d’Amazon, et chaque client, « parce que c’est vous les gars qui avaient payé tout ça… merci du fond du cœur. »
Personnellement, j’ai un peu la paupière qui tressaute à force de contenir mon énervement face à tant de… de quoi au juste ? De cynisme ? Ou de crédulité béate ?
Les employés d’Amazon sont sûrement très contents d’avoir vu leur boss s’envoyer dans l’espace dix minutes et de savoir en prime que c’est un peu grâce à eux.
Car dix minutes, c’est aussi le temps qu’ils n’ont pas pour aller faire pipi quand ils doivent rester à leur poste pour garder la cadence.
À lire aussi : Thomas Pesquet, la tête dans les étoiles mais les pieds à nouveau sur Terre !
Crédit photo image de Une : CBS via Youtube
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Les Commentaires
Boycottons Amazone !!
Refusons d'aller dans l'espace, laissons les autres planètes tranquilles