Vis ma vie de Parisienne au mois de juillet, qui a vu la mort de près.
Emportés par la foule qui nous traîne et nous entraîne, Écrasés l’un contre l’autre, nous ne formons qu’un seul corps.
Moite et frisée je suffoque contre mon gré dans le creux d’une aisselle germanique qui, forte d’avoir sué des heures durant sur le pavé brûlant, a périmé. Ça daube la joie de vivre. Et je me débats à la recherche du peu d’oxygène auquel j’ai droit. L’air vicié qui stagne dans le wagon est squatté sans scrupules par une faune ébahie devant mon quotidien pourri. Non, je ne sais pas où situer ton hôtel sur ton plan de Paris en tchèque. Tu m’aboies à la gueule dans une langue obscure, je donne tout ce que j’ai pour t’expliquer que je porte une saharienne kaki Yves Saint Laurent, pas la tenue d’été de la RATP. Mais bientôt vous m’encerclez et me voilà cernée.
Et perdue parmi ces gens qui me bousculent Étourdie, désemparée, je reste là.
Ils arborent allègrement une dégaine interdite par la loi. Je sens que je fais une plaque d’eczéma. Alors que l’Allemand, son dessous de bras et moi fusionnons dangereusement, je cherche un point de fuite, un petit plaisir des yeux. Ma quête est stoppée net par ses chaussettes. Oui oui, dans les sandales à scratch, le modèle multifonction type Décathlon surboosté, anti-choc, doublure en titane, pare-feu, spécial catastrophe naturelle, t’sais. Un rire que je ne me connaissais pas, sadique et gras, s’échappe de moi. C’est alors que, d’une voix suave, mon pire cauchemar prend forme : « Veuillez patienter, suite à un problème technique, nous devons rester immobilisés jusqu’à ce que vous creviez comme des rats ». Vive la France. S’en suit une avalanche de « What ? Chou ? Ma qué ? Grütt ??!! ». Je vais péter un câble. Vous vouliez voir Paris ? J’ai envie de dire welcome. C’en est trop, je cherche un eye-contact, pour passer le temps. Un Italien dont le pento s’égoutte comme dans une pub Perrier ? C’est non. Un Suédois en spartiates ? Ne jamais montrer ses pieds avant sa bite. Jamais.
Quand soudain, je me retourne, il se recule, Et la foule vient me jeter entre ses bras…
Oui mais non. La foule ne me fait pas de cadeaux, à moi. Après un moonwalk gracieux, je ferme les yeux. À l’agonie, je prie, je rêve d’évasion et crois voir des montagnes… Non, ce sont des nippons. Médusée par les ponchos anti-pluie qui les recouvre intégralement, je voudrais les photographier en loucedé. Je n’arrive plus à respirer. Il fait 50 degrés. On a pas redémarré. Est-ce que se sont des fantômes ? Ils portent des masques sur leurs visages. C’est l’apocalypse. Est-ce qu’ils sont venus me chercher ? Quitte à y passer, je bondis au milieu des Russes qui se sont mis à chanter.
Suffoquant sous la chaleur et sous la joie J’entends dans la musique les cris, les rires Qui éclatent et rebondissent autour de moi . Je saute, je danse, les gens applaudissent, c’est génial, je les prends dans mes bras. Mais soudain je pousse un cri parmi les rires… Je tournoie.
« Mademoiselle ? Do you hear me ?! » J’ouvre œil, puis l’autre. J’ai mal à la tête. On me plante une bouteille d’eau dans le bec. Allongée sur le quai, mille regards bienveillants sont posés sur moi. Ils viennent de loin, ils sont beaux et bigarrés, grands et noirs, fins et bridés, bleus acier. Je les aime, je leur souris. Je suis au Paradis. Un autochtone homologué fend la foule : « Bah voilà, il nous manquait plus que ça !! ‘Faut qu’elle arrête de stresser, hein , ‘faut qu’elle prenne des vacances!! Bon elle se lève, parce qu’on a pas qu’ça à foutre non plus ! Dédé on a un malaise, kestu branles, merde !! ROoOoh, mais c’est pÔ vRai c’bordel !! Circulez !! Allez hop, you circule, comprendo ?!« . Non, je suis toujours à Paris. Merci la vie.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Une belle plume déjà, et puis il me fait penser à une fable moderne à vrai dire.
Notre héroïne, blasée, qui juge au premier abord tous ces étrangers ; et qui finalement seront les premiers à voler à son secours.
Y'a une jolie morale derrière.