Pour de plus en plus de Français et Françaises, recourir à Vinted ou d’autres plateformes de revente de vêtements d’occasion entre particuliers devient un réflexe pour se débarrasser de ce qu’on ne veut plus. Seulement, cela commence à inquiéter Emmaüs qui a donc lancé le 17 mars 2023 une campagne qui tacle le géant lituanien de la seconde main. Tandis que Vinted aime à tenir comme slogan « Tu ne le portes plus ? Vends-le ! », l’association détourne la formule en : « Tu ne le portes pas, donne-le » sur des campagnes d’affichage et sur les réseaux sociaux.
Emmaüs infiltre Vinted pour inciter aux dons aux associations plutôt qu’à la revente
Emmaüs va même plus loin en s’étant créé un faux profil sur Vinted pour porter son message, comme on peut le lire sur son compte Instagram :
« Aujourd’hui, nous avons infiltré la plateforme Vinted pour l’utiliser comme un média en créant de fausses annonces dans lesquelles les vêtements véhiculent notre message d’appel au don : Si tu ne le portes pas, donne-le.
« Nous avons infiltré Vinted pour rappeler que grâce à notre modèle social et solidaire ce sont chaque année plus de 70 000 personnes qui sont accueillies, hébergées, aidées ou accompagnées vers l’emploi grâce à Emmaüs. »
« Pourquoi infiltrer Vinted ? Emmaüs vient de lancer une grande campagne de communication pour inviter chacun et chacune à consommer moins et consommer mieux. Contrairement aux idées reçues, les plateformes de seconde main ont un impact négatif sur l’environnement. Elles favorisent la « re-consommation », la fast fashion, les surplus de production, le gaspillage, ou encore la multiplication des déchets… »
La campagne d’Emmaüs qui infiltre Vinted crée la polémique
Cette cocasse campagne de communication vise donc à sensibiliser sur la baisse des dons auprès d’associations comme Emmaüs. Cependant, elle génère un accueil mitigé, comme on peut le lire dans les commentaires des publications Instagram de l’organisme fondé par l’Abbé Pierre en 1985 :
« Quand on nous dit en arrivant dans notre dressing Emmaüs qu’ils ont déjà trop d’habits, qu’il faut de fait déposer en borne Relais, et qu’on sait comment finissent les vêtements en borne relais… Effectivement, je préfère tenter ma chance en les mettant sur Vinted dans un premier temps, puis en les mettant sur Geev [application qui permet de faire des dons d’objets et de nourriture entre particuliers de façon géolocalisée, ndlr] si ça ne se vend pas… »
« La faute à qui ? Vos vêtements pour les plus précaires ont été victimes de la gentrification, on ne trouve plus rien d’actuel et de joli, des doudounes usées à 35 € j’étais dégoûtée à mon dernier passage »
Pas tout à fait d’accord, on peut faire les 2 : je vends sur vinted, si au bout de 1 an, c’est pas vendu, je donne à Emmaüs. Vendre sur Vinted aide aussi à soulager nos portefeuilles, c’est nécessaire pour ma part.
Emmaüs et Vinted sont-ils complémentaires ou mutuellement exclusifs ?
Ce dernier commentaire en particulier pointe justement comment cette campagne, pleine de bonnes intentions, présente ces deux options comme étant mutuellement exclusive. Or, il n’en est rien : on peut en effet vendre des choses sur Vinted, en donner d’autres à son entourage direct ou indirect, et faire des dons auprès d’Emmaüs ou via des bornes Le Relais.
Certes, certaines personnes peuvent abuser de plateformes comme Vinted en y déployant des dynamiques semblables à la fast-fashion, et donc perpétuer de l’hyperconsommation, comme on en parlait dans l’épisode « Seconde main » du podcast « Matières Premières ». Mais beaucoup d’autres subissent actuellement de plein fouet les effets de l’inflation sur leur budget. Ces personnes peuvent non seulement préférer se fournir en seconde main sur des plateformes comme Vinted par souci d’écologie et d’économie, mais aussi en avoir besoin pour y vendre des articles afin d’arrondir leurs fins de mois de plus en plus difficiles.
Pleine de bonne volonté, cette campagne de sensibilisation de la part d’Emmaüs peut donc sembler contre-productive, en ce qu’elle culpabilise les particuliers, au lieu d’interroger la responsabilité directe de plateformes comme Vinted, et surtout l’inaction de l’État pour réguler vraiment la fast-fashion et l’ultra fast-fashion. À l’heure où des milliers d’emplois disparaissent en France avec la fermeture d’enseignes milieu de gamme comme Camaïeu, Cop.Copine, et San Marina, le gouvernement pourrait mieux encadrer le secteur pour qu’il cesse de détruire l’emploi local et la planète, en passant par la maltraitance d’une main d’œuvre majoritairement féminine et racisée.
La France jette ses déchets textiles en dehors de chez elle
En attendant, le ministère de l’Écologie dresse un constat inquiétant concernant la collecte des textiles usagés, sans pour autant proposer d’agir à la racine côté production et distribution :
« La collecte des textiles usagés s’est élevé à 244 500 tonnes en 2021. Le territoire national dispose de 44 830 points d’apport volontaire dans des bornes sur l’espace public (ou privé) ou auprès d’associations.
Une fois les textiles usagés collectés, l’étape suivante consiste à trier les textiles usagés collectés : en 2021, 190 550 tonnes ont été triées par l’un des 66 centres de tri conventionnés avec l’éco-organisme Refashion.
Après avoir été triés, ces textiles sont destinés à 58 % à la réutilisation, 33 % au recyclage, 9 % à la valorisation énergétique sous forme de combustible solide de récupération (CSR).
[…] Cependant, la collecte des textiles usagés reste insuffisante : elle atteint environ 35 %, le reste des textiles usagés rejoignant les ordures ménagères pour être incinéré ou enfoui. En outre, la filière dépend de l’exportation pour la réutilisation et le recyclage des textiles usagés. »
C’est une façon pudique de dire que la France jette ses déchets textiles en dehors de chez elle.
En réalité, si l’Hexagone n’en veut pas, c’est souvent parce qu’il s’agit de vêtements trop usagés pour être reportés, et ils finissent bien souvent par s’accumuler dans des décharges à ciel ouvert (comme au Ghana ou au Chili) où ils se dégradent dans les eaux, générant une importante pollution. D’où la pétition pour qu’on arrête de traiter l’Afrique comme la poubelle de la fast-fashion occidentale. Plutôt qu’opposer Vinted et Emmaüs pour culpabiliser les particuliers en temps de crise sanitaire, sociale, économique et politique, peut-être vaudrait-il donc mieux interpeller le gouvernement sur son inaction.
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Les Commentaires
J'avoue être en désaccord avec la conclusion de l'article, avec l'appel au gouvernement. Enfin, je suis tout à fait d'accord avec cela, mais dans le cas de la fast fashion, le consommateur est très souvent au courant des conséquences écologiques et sociales désastreuses de cette industrie. Je sais bien que beaucoup de personnes n'ont pas le choix que d'acheter dans ces enseignes à bas prix, je ne parle pas d'elles, les précaires n'ont pas à se promener avec des vêtements usés jusqu'à la corde. Soyons honnêtes, il y a également énormément de consommateurs (trices ?) plus aisés qui achètent plein de fringues inutiles sur Shein et consorts, et je ne vois pas où est le problème à les culpabiliser elles. C'est un peu la même chose avec la viande (et je ne suis pas végétarienne), tu sais qu'en consommant ton entrecôte tous les jours, tu participes à une industrie désastreuse pour la planète, c'est ton choix, on a le droit de t'en rappeler les conséquences !