Initialement publié le 17 février, voir la mise à jour du 18 février, en fin d’article
Jeudi 16 février, le hashtag #TeamHumiliés était en Trending Topic sur Twitter, c’est-à-dire que de nombreux messages étaient postés en l’incluant. Beaucoup de monde réagissait simultanément à une citation d’Emmanuel Macron, candidat à l’élection présidentielle avec son mouvement En Marche.
Dans un entretien donné à l’Obs, Emmanuel Macron a déclaré ceci :
« Une des erreurs fondamentales de ce quinquennat a été d’ignorer une partie du pays qui a de bonnes raisons de vivre dans le ressentiment et les passions tristes. C’est ce qui s’est passé avec le mariage pour tous, où on a humilié cette France-là[…]
Il ne faut jamais humilier, il faut parler, il faut « partager » des désaccords. »
Passons sur le fait que j’ai du mal à utiliser le terme « désaccord » pour parler d’homophobie assumée ; l’euphémisme est déplacé.
Emmanuel Macron semble donc considérer que ce sont les personnes « anti-mariage pour tous » qui sont sorties humiliées de ces cinq dernières années de débats (et de manifestations) contre les droits civils des personnes LGBT.
De quoi déclencher la colère de toutes celles et ceux qui ont été personnellement insultés, voire carrément agressés en raison de leur orientation sexuelle.
https://twitter.com/_MonsieurQ_/status/832182328214581248
Sous la colère, je cherche à comprendre. Comment est-il possible de dire, en 2017, « qu’on a humilié cette France-là » ?
Certes, il est vrai que « cette France-là » crie à l’insulte, au mépris, elle le répète à l’envi et surtout, elle « ne lâche rien » sur le sujet, conformément à son ordre de marche.
« Cette France-là » se sent humiliée, je peux le comprendre. Mais ce que je ne comprends pas, en revanche, c’est qu’un homme si déterminé à incarner l’avenir et le renouveau se mette à caresser dans le sens du poil une bête à l’agonie.
De la part du candidat qui appelait, il y a deux semaines à peine, les femmes à s’engager en politique pour justement filer un coup de neuf et de jeune à l’Assemblée, c’est assez paradoxal.
« On a humilié cette France-là »
C’est vraiment dur de lire ces mots, quand on se repasse le film des cinq dernières années.
Les insultes homophobes, les manifestations et leurs slogans abjectes, les débats indignes au sein de l’hémicycle, les cris d’orfraie des plus conservateurs de nos élus.
Tout ceci a été humiliant, pour toutes celles et ceux dont il était question. Beaucoup de gens étaient opposés au mariage et à l’adoption des couples de même genre, donc la loi mariage pour tous allait à l’encontre de leurs convictions. D’accord.
Mais l’absence de cette loi allait à l’encontre des droits fondamentaux de millions d’autres.
Des opinions, des convictions d’un côté. Des droits fondamentaux de l’autre. Comment peut-on sincèrement les placer sur le même plan, et surtout, considérer que ce sont les premiers qui sont humiliés par le résultat ?
Ce qui est humiliant, c’est de devoir sourire à la machine à café, pendant que vos collègues se racontent leur dimanche place des Invalides, dans les rangs de la Manif Pour Tous. C’est humiliant de les entendre débattre de votre capacité ou non à élever des enfants, en votre présence.
Mais ils ne savent pas, bien sûr. C’est paradoxal, au fond. Ils vous insultent en raison d’une facette de vous-même qu’ils sont incapables de déceler. Parce que ça n’est pas écrit sur votre front.
Vous êtes une femme, et c’est fabuleux parce qu’au cours d’une même pause café, vos collègues sont capables de vous cantonner à votre futur et inéluctable rôle de génitrice (« bientôt le mariage et les enfants ! »), tout en affirmant, deux phrases plus loin, que la famille c’est un-papa-une-maman-sinon-rien.
Le sexisme ET l’homophobie, deux claques pour le prix d’une. Vous êtes bien sûr, M. Macron, que ce sont eux qui ont été humiliés par le débat de société qui a abouti à l’adoption définitive de la loi mariage pour tous ?
La #TeamHumiliés arrive à bout de sa patience
En 2012, Jack Parker écrivait une lettre ouverte aux anti-mariage pour tous : « vous avez déjà perdu ».
Pendant cinq ans, j’ai suivi les actions politiques de la Manif Pour Tous, et son lobbying sans relâche contre tous les projets de société poussés par la majorité socialiste :
- Les ABCD de l’égalité, pour enseigner l’égalité entre les genres dès l’école primaire
- L’adoption pour tous les couples
- Le droit à mourir dans la dignité
- L’accès à l’IVG en France
- L’accès à une information pratique et objective sur l’IVG, en France
La Manif Pour Tous est aussi un lobby très investi en politique : après les élections municipales, puis les élections régionales
, voici qu’elle s’organise pour peser dans le débat présidentiel par le biais de Sens Commun, rangé derrière François Fillon.
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Cinq ans plus tard, ils ne lâchent toujours rien, mais ça ne devrait pas être une surprise, c’est leur slogan.
Pendant ce temps, la France avance… mais c’est dur de continuer sur cette voie lorsque même ceux qui prétendent incarner le renouveau regardent en arrière.
Je parle de vous, Emmanuel Macron. Mais je vais tout de même vous faire une concession.
Vous voulez rassembler ? Réconciliez-nous
Vous avez raison, Emmanuel Macron : on a humilié « cette France-là ».
Ce « on », c’est la classe politique, celle qui n’a pas pris sa responsabilité de moteur de la société : une partie de cette élite s’est enfoncée dans le populisme le plus abject, utilisant et nourrissant la peur de l’autre pour faire valoir sa « proximité » avec le peuple.
En cédant du terrain politique et idéologique à la Manif Pour Tous, vous reproduisez ce schéma, humiliant à la fois, et surtout en premier lieu, toutes les personnes LGBT, mais également toutes ces Françaises et ces Français un peu largués dans leur époque.
Tous ces gens dont la classe politique a ignoré les doléances, tout en se gavant de leur désespoir.
Vous voulez rassembler ? Réconciliez-nous.
Mais ça doit commencer par reconnaître que ce ne sont pas les agitateurs de drapeaux roses et bleus qui ont été humiliés au cours des cinq dernières années. Sauf à préciser qu’ils l’ont été par toutes celles et ceux qui ont légitimé leur colère par des mensonges éhontés, des insultes aux femmes et aux personnes LGBT.
L’homophobie et le sexisme ne sont pas des opinions tolérables en 2017. L’ignorance n’est pas une circonstance atténuante à l’injure homophobe (passible de 6 mois de prison et de 22 500 € d’amende, au passage).
Et la violence verbale décomplexée, elle n’a pas commencé sur les réseaux sociaux. Certains élus ont donné un dangereux exemple, avec des mots qui heurtent.
On n’est pas « humilié » par une loi qui répare une injustice sociale.
Les humiliés, ce sont toutes celles et ceux qui ont dû endurer ces débats, et qui revivent encore cet affront à chaque fois qu’un homme politique croit bon de céder du terrain sur la tolérance.
Brusquer les uns, pour calmer les autres ?
Ce soulèvement des humiliés sur Twitter est intervenu entre deux autres prises de paroles du candidat En Marche. La première a eu lieu en Algérie, mercredi 15 février. En entretien avec un journaliste de Echorouk TV, Emmanuel Macron a déclaré :
« La colonisation fait partie de l’histoire française […] C’est un crime, c’est un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie.
Et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face, en présentant nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes. »
L’article du Monde du 17 février consacré à cette citation met en perspective les mots du candidat : « jamais un responsable politique français n’avait utilisé des termes aussi forts ».
Mais l’idée développée par Emmanuel Macron au cours du même entretien est plus complexe. Il poursuit :
« Les expatriés, les pieds-noirs, comme d’aucuns emploient le terme, ont une autre vision de la colonisation. Je ne m’y retrouve pas, parce qu’elle nie les crimes qui ont été commis. Mais on ne peut pas leur dire « vous n’avez rien été, vous étiez simplement des criminels », parce qu’ils ont leur histoire intime avec l’Algérie.
Donc, on doit savoir faire vivre, tressser ces mémoires, tout en reconnaissant la responsabilité de l’État français. »
C’est un exercice délicat auquel se prête le candidat En Marche, un exercice auquel peu d’hommes politiques se prêtent encore : adopter une position ferme et claire, tout en cherchant à réconcilier plutôt qu’opposer.
Électoralisme ou réelles convictions ?
Peut-être était-ce un équilibre similaire que cherchait le candidat en tendant la main à la Manif Pour Tous ; c’est en tout cas ce que pourrait laisser présager le deuxième « nouveau message » d’Emmanuel Macron. En effet, selon iTélé:
« Emmanuel Macron se déclare favorable à la procréation médicalement assistée, la PMA, pour les femmes seules et les femmes homosexuelles »
Mais je ne présumerai pas de ses intentions, je voudrais qu’il les clarifie lui-même, aussi fermement qu’il a pu condamner la colonisation, la veille.
Je suis fatiguée, à vrai dire, de ces candidat•es qui changent complètement leur discours en fonction de leur auditoire. Ça n’est pas rassembler la nation que de dire à chacun ce qu’il veut entendre.
Au contraire, cela appuie sur les lignes de fractures de la société. Jacques Chirac avait fait campagne sur ce thème, en 1995 : la « fracture sociale ». Vingt ans plus tard, il serait peut-être temps, enfin, de commencer à guérir.
Mise à jour : Emmanuel Macron reprend la parole
Mise à jour du 18 février 2017 — Emmanuel Macron a donné une nouvelle interview à L’Obs, pour réagir à la vague de protestations soulevée par son entretien initial. Il y raconte son vécu de la loi mariage pour tous, depuis les rangs du gouvernement:
« Ma seule envie alors était que l’humiliation de la communauté LGBT exposée à ces déferlements cesse le plus vite possible, que la loi soit adoptée rapidement. Cela a hélas duré. La violence s’est intensifiée. »
Concernant ceux qui ont été « humiliés » selon les termes employés lors de son premier entretien, le candidat En Marche développe :
« Ils ne se reconnaissaient pas dans les leaders outranciers de la Manif pour Tous mais se posaient des questions et on ne prenait pas la peine de leur répondre. Ils se sont sentis bafoués dans leurs convictions profondes. Ils en ont conçu du ressentiment. Ce n’est jamais bon, ce n’est jamais productif.
Ce ressentiment demeure et certains candidats à la présidentielle en font usage, pour le pire. C’est pourquoi j’ai affirmé qu’il ne faut jamais humilier les gens.
Par sa réaction à mon propos, la communauté homosexuelle m’a rappelé que ses plaies sont encore à vif.
Qu’elle a été humiliée, violentée, blessée par un processus qui aurait dû être un soulagement mais a tourné à l’affrontement. Quant aux opposants, ils ont conservé leur amertume et leur rancoeur. Ce n’est pas cela la France que je souhaite. »
L’intégralité de l’entretien est à lire sur L’Obs.
À lire aussi : Pourquoi est-ce que je me suis intéressée à la politique et à l’actu ?
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Les Commentaires
Le truc de ces discours contradictoires, c'est que s'il était élu, il ne pourrait pas les tenir, il serait bien forcé de faire des choix (rappelez-vous de Barbier, l'égalité salariale a un coût). Pour moi, dépasser le clivage droite/gauche comme il prétend le faire est complètement illusoire u.u
J'en parle dans mon blog, si ça vous intéresse : https://uneboueedansloceandevosprej...t-en-passe-de-remporte-le-concours-de-beaute/