C’était hier soir, le 15 décembre, sur TF1 : Emmanuel Macron s’est à nouveau adonné à l’exercice du grand entretien, cette fois pour esquisser un bilan de son quinquennat, à moins de six mois du premier tour de l’élection présidentielle.
Quelques semaines après les révélations d’Envoyé Spécial sur son ancien ministre de l’Environnement Nicolas Hulot, et les témoignages de femmes qui l’accusent de viol et d’agressions sexuelles, la question de son maintien au gouvernement en 2018 après les premières révélations du média Ebdo paraissait incontournable.
Comment Emmanuel Macron a-t-il réagi à ces premières accusations il y a trois ans, telle était l’une des questions de la journaliste Audrey Crespo-Mara.
« J’ai fait comme à chaque fois quand il y a des accusations contre un ministre », a affirmé le président. « Avec le Premier ministre de l’époque nous avons vu Nicolas Hulot, il a nié avec beaucoup de force, il nous a dit que tout cela n’existait pas. »
Encore des discussions d’homme à homme
Il n’a l’air de rien, ce petit « à chaque fois », mais si quelque chose d’aussi grave a tendance à se répéter trop souvent, il faut déjà peut-être se poser des questions sur l’exemplarité de son gouvernement.
C’est vrai qu’Emmanuel Macron l’a fait à chaque fois, cela dit.
On se souvient de ses discussions « d’homme à homme » avec Darmanin. De sa relation de « confiance » avec son ministre de l’Intérieur. Et puis dans le cas de Hulot, il nous raconte aujourd’hui les sentiments de celui qui est blessé et qui nie avec conviction. Une discussion les yeux dans les yeux, encore une.
On imagine presque la scène se dérouler sous les nôtres, d’yeux : Emmanuel Macron demandant si ce qui est sorti dans la presse est vrai, l’intéressé qui secoue la tête avec vigueur, clame farouchement qu’il n’a rien fait, que ce sont des mensonges pour lui nuire, et puis… OK, on passe à autre chose.
Laissez la justice faire son travail
Emmanuel Macron se dit lui même « intraitable » et « engagé », et clame qu’il s’en remet à la justice dans ses affaires :
« Il faut que la justice puisse faire son travail, il faut prendre très au sérieux ces accusations, il faut les instruire, que la justice fasse son travail de révélation de la vérité et qu’après les bonnes décisions soient prises. »
Il faut les prendre au sérieux, certes, mais c’est vers les mis en cause que se tend l’oreille présidentielle pour entendre leurs justifications.
Quel « autre choix » pouvait-il être fait que de maintenir Hulot à son poste, s’interroge Macron ? Il semble étonné lui-même du peu d’alternatives, alors que si si, il était possible d’agir autrement, de faire d’autres choix : celui de croire les victimes peut-être, de prioriser leur parole ? D’estimer qu’une fonction de ministre induit un minimum d’exemplarité ? Que la lutte contre les violences faites aux femmes, grande cause du quinquennat sur le papier, mérite au moins cette vigilance ?
« On ne peut pas regretter quand on ne sait pas tout » a tranché Emmanuel Macron.
Les victimes sont toujours hors-champ ; seule compte finalement la conviction du président, celle martelée encore récemment avec cette phrase terrible le 1er décembre, quelques jours après les révélations sur Nicolas Hulot :
« Nous n’accepterons jamais une société de l’opacité ou de la complaisance, et nous ne voulons pas non plus d’une société de l’inquisition. »
On est à deux doigts de l’accusation de « tribunal médiatique », expression chère à celles et ceux qui n’accordent aucun crédit aux enquêtes journalistiques étayées qui ont pourtant révélé depuis 2017 de nombreuses affaires de violences sexuelles, et ce, dans toutes les sphères de la société, avec les déflagrations que l’on connaît.
« Invoquer la toute-puissance d’un prétendu “tribunal médiatique” n’a souvent d’autre but que de délégitimer le travail de la presse, et d’éviter de répondre au message en accusant le messager lui-même », analyse l’historien Alexis Lévrier pour Le Monde.
« La dénonciation du “tribunal médiatique” n’est presque toujours qu’un subterfuge, une inversion de culpabilité, et finalement une manière de prolonger l’éternel procès en illégitimité du journalisme. »
Terrible moment de ce grand entretien mené par deux journalistes… dont l’un a fait lui-même l’objet d’accusations de harcèlement sexuel dans une enquête menée par les journalistes du quotidien suisse Le Temps en octobre 2020 qui révélait des « gestes déplacés, propos salaces, utilisation de fausses identités sur les réseaux sociaux » au sein de la RTS.
Il s’était retiré et avait alors été remplacé à l’antenne de LCI, avant d’être réintégré courant 2021, l’enquête interne n’ayant pas conclu « à des actes relevant du harcèlement sexuel ou psychologique, d’atteinte à la personnalité ou d’une quelconque infraction pénale ».
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Crédit photo : TF1 (captures)
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