Emma Gonzalez est l’une des jeunes femmes qui m’inspire le plus.
Pourtant, elle n’a sans doute jamais voulu devenir inspirante. En tous cas pas comme ça, pas suite à une fusillade dans son lycée.
Pas parce qu’elle mettrait toute sa peine et son énergie dans un combat qu’elle a commencé à mener du jour au lendemain, sans préavis.
En deuil.
Emma Gonzalez, figure du combat contre les armes à feu
Mais toujours est-il que, jour après jour, elle s’engage corps et âme pour que ce qu’elle a vécu avec les autres élèves de son lycée n’arrive plus à d’autres.
C’était encore le cas le 5 octobre dernier, alors que ses mots étaient publiés dans le New York Times :
« Le 16 février [2018], une femme de la direction scolaire m’a demandé de prendre la parole lors d’un rassemblement en faveur du contrôle des armes à feu.
Pour ce qui semblait être la première fois, des adultes me traitaient moi et mes pairs comme si ce que l’on avait à dire leur importait.
J’ai commencé à écrire mon discours, et je n’ai pas arrêté avant d’atteindre le pupitre. J’y ai tout donné. Tous mes mots, mes pensées, mon énergie, chaque fait politique que je connaissais. […]
Le discours avait une structure : j’avais une pensée, j’écrivais un nouveau paragraphe, je remplissais les trous, je hurlais mon désespoir, puis j’effaçais ces coups de gueule.
J’avais des vagues durant lesquelles tout ce que j’écrivais n’était qu’un cri de ma conscience :
« Comment est-ce que ça a pu se produire ? Tellement de personnes sont mortes, tellement de personnes sont mortes.
Je ne peux pas faire ça. Comment est-ce que je fais ça ? Comment est-ce que nous faisons ça ? ». »
Militer, pour supporter la douleur
Dans ce texte, Emma Gonzalez revient sur son militantisme.
Sur les sources de celui-ci, la douleur, le besoin d’agir. Sur la manière dont l’engagement lui a gardé la tête hors de l’eau.
« Pour ceux d’entre nous qui avons rejoint le mouvement, il n’y avait pas de temps pour dormir.
On peut voir très clairement dans les premières interviews que nous avons données que nous avions ces cernes larges et sombres autour des yeux.
Personne n’avait d’appétit.
Personne ne voulait quitter la maison de Cameron, pas même pour prendre une douche.
Pas un de nous ne voulait arrêter de travailler. Arrêter de travailler signifiait commencer à penser.
Et penser à quoi que ce soit d’autre que la marche et les solutions à apporter aux fusillades, c’était craquer. »
Elle explique à quel point lorsqu’elle s’est finalement laissée aller, effondrée, elle n’avait plus qu’une envie : n’avoir plus conscience de rien.
Devenir un arbre. Pas mourir, non elle est très claire à ce sujet, mais cesser de ressentir.
Militer n’est pas un long fleuve tranquille
Ce n’est pas comme si cette peine s’était effacée au fil des mois.
Avec les autres membres du mouvement, ils ont décidé de partir sur les routes au fil de l’été afin de partager leur expérience, d’encourager d’autres jeunes à s’engager, à voter surtout.
Une opération nécessaire, mais qui n’est pas simple tous les jours.
« Nous savons tous ce que c’est que d’être Harry Potter désormais.
Même lorsque les gens viennent calmement vers nous pour dire « merci », on ne sait jamais s’ils veulent en fait se rapprocher pour nous abattre à bout portant. »
Ces mots témoignent du traumatisme, mais aussi de la réalité de la mission que ces jeunes se sont donnée.
Faire face chaque jour à leurs opposants, c’est faire face à des gens armés.
Alors oui, Emma Gonzales « craque », si c’est comme cela que l’on qualifie le fait de fondre en larmes.
Mais pour elles, ces larmes ont une vertu thérapeutique au même titre que son combat.
« Je pleure énormément.
Mais pleurer est sain, et ça fait du bien – je ne comprend vraiment pas pourquoi les gens y voient tant de mal.
Peut-être parce que c’est bruyant.
Mais pleurer c’est un moyen de communication, et la communication est formidable.
C’est de ne pas communiquer qui nous maintient dans cette situation. »
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« Certaines personnes ne s’intéressent pas à la politique, d’autres n’ont pas le choix »
Ce texte est dans la droite lignée des discours qu’elle prononce généralement : il vise à réveiller
, il vise à faire changer les choses, en particulier en ralliant le plus de jeunes possibles à son combat.
Il vise encore à faire comprendre que si « certaines personnes ne s’intéressent pas à la politique, d’autres n’ont pas le choix ».
« Les gens disent « je ne joue pas au grand jeu de la politique, je ne prête pas attention à la politique » – bien, l’environnement est de plus en plus pollué, des familles sont séparées et déportées, les prisons sont privatisées, des Nazis de la vraie vie vivent tranquillement parmi nous, les natifs américains sont tellement dépossédés que notre pays continue en réalité de les coloniser, Puerto Rico a été abandonné, le système d’éducation américain a été transformé en machine à profit, et chaque jour 96 personnes sont tuées par balles.
Tu peux ne pas être un grand fan de politique, mais tu peux toujours participer.
Tout ce que tu dois faire, c’est de voter pour les personnes dont tu crois qu’elles travailleront à résoudre ces problèmes, et si elles ne le font pas comme elles devraient, alors c’est ta responsabilité de les appeler, d’organiser une réunion publique et de leur demander de s’y présenter – de leur rappeler leur responsabilité.
C’est leur boulot de bâtir un monde meilleur. »
Ta voix compte
Ce discours sur le vote et sur l’engagement est de plus en plus pressant car aux États-Unis, les élections de mi-mandat approchent.
C’est une opportunité de faire évoluer le parlement américain de sorte à ce qu’il penche davantage du côté progressiste.
Une nécessité qui apparaît d’autant plus urgente à l’heure où Brett Kavanaugh, un juge extrêmement conservateur, vient d’être nommé à la Cour Suprême.
De là, il pourra influencer la législation pendant des décennies – et ce malgré les accusations d’agressions sexuelles formulées contre lui.
Mais ce rééquilibrage en faveur du progrès ne se produira que si les jeunes votent massivement.
S’ils en ont le pouvoir, encore faut-il qu’ils aient conscience de la force qui est la leur.
Qu’ils sachent que leur opinion compte, au moins autant que les autres sinon davantage, puisqu’ils sont le futur.
« Tout ce que nous avons fait et tout ce que nous ferons, c’est pour eux. C’est pour nous-mêmes.
C’est pour chaque personne qui a vécu quelque chose de similaire à notre expérience, pour chaque personne à qui ce n’est pas encore arrivé, pour chaque personne à qui ça n’arrivera jamais.
Ce n’est pas quelque chose que nous oublierons un jour. Ce n’est pas un combat que nous abandonnerons, ça ne le sera jamais. »
Ce discours s’applique au contexte américain, mais pas seulement.
Les combats à mener existent partout, il y a une infinité de manière de s’engager, il y a des élections ici aussi, dans moins d’un an.
Et ici aussi, ta voix peut compter.
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Les Commentaires
Son discours et ses 6 minutes de silence m'avaient bouleversée. J'aime beaucoup ses mots sur les larmes.