C’est dans son mémoire My Body — qui sortira le 19 octobre — qu’Emily Ratajkowski raconte les sordides dessous du tournage du clip qui l’a révélée au grand public : Blurred Lines de Robin Thicke (en featuring avec T.I. et Pharrell).
Un fond blanc, trois mannequins qui dansent parfois nues, parfois en crop-top blanc, un placement de produit pour une marque d’alcool, trois chanteurs (habillés, eux) aux pas de danse parfois approximatifs…
En somme, un clip qui reprend des codes déjà bien connus dans l’industrie de la musique, basés sur un sexisme décomplexé et une abondance de femmes-objets.
Mais les coulisses de Blurred Lines étaient visiblement pires encore que la partie émergée de l’iceberg.
Blurred Lines, condensé de sexisme à tous les niveaux
Vous vous en souvenez sûrement : le titre avait déjà fait vivement réagir à sa sortie. The Guardian relatait (dans un article intitulé Blurred Lines : le morceau le plus controversé du siècle) que l’association des étudiants de l’université d’Edinburgh avait banni cette musique, car elle faisait la promotion d’une attitude inquiétante concernant les relations sexuelles et le consentement.
Au-delà de cet exemple, les réponses féministes face à ce titre et à son clip avaient été nombreuses.
Une parodie avait été créée par l’humoriste américaine Melidan Hughes pour répondre à Robin Thicke, dans laquelle elle l’appelait un « douchebag » et lui expliquait qu’il n’avait pas son consentement.
Une autre vidéo avait été réalisée par trois étudiantes de l’université d’Auckland ; trois hommes en caleçon y dansaient pour elles. Leur volonté était de résister au machisme et montrer qu’il faut traiter les hommes et les femmes de manière égale.
Emily Ratajkowki, agressée par Robin Thicke sur le tournage de Blurred Lines
Emily Ratajkowski, qui était par moments topless dans le clip, révèle que pendant le tournage, Robin Thicke lui a attrapé les seins lorsqu’elle était dos à lui, sans que ça ne soit consenti ni prévu dans la mise en scène du clip.
En 2015, « Emrata », de son surnom, avait déjà confié à U.K. InStyle que le fameux clip de Blurred Lines était devenu « the bane of my existence » — le fléau de son existence. Elle n’avait pas parlé de son agression sexuelle à ce moment-là, mais avec le recul, on peut comprendre son choix de termes aussi forts pour décrire son expérience…
Les extraits du mémoire d’Emily Ratajkowski, reportés dans le Sunday Times, décrivent l’agression de Robin Thicke comme soudaine :
« Soudainement, venant de nulle part, j’ai senti le froid et l’intrusion des mains d’un inconnu attrapant mes seins nus par-derrière. (…) Il a souri d’un air maladroit et a trébuché en arrière, ses yeux cachés par ses lunettes de soleil.
J’ai tourné ma tête vers l’obscurité derrière le plateau de tournage. La voix de [la réalisatrice, Diane Martel] s’est craquelée lorsqu’elle m’a crié : “Tout va bien ?” »
La jeune mannequin explique ensuite que pour la première fois durant le tournage, elle s’est sentie nue. Elle a senti « la chaleur de l’humiliation envahir son corps » et dit ne pas avoir vraiment réagi « comme elle aurait dû » — on comprend sans peine la sidération qui a pu la saisir au moment d’une telle agression.
La réalisatrice du clip de Blurred Lines témoigne également
La réalisatrice du clip Diane Martel n’a pas laissé ce geste passer. Elle a confirmé au Sunday Times que l’agression s’est bien produite, et a ajouté :
« Je me souviens de ce moment où il a attrapé ses seins. Un dans chaque main. Il se tenait debout derrière elle, ils étaient tous les deux de profil par rapport à moi.
J’ai crié de ma voix très agressive de Brooklyn : “Qu’est-ce que tu fous, putain ? On arrête ! Le tournage est terminé”. »
Les deux femmes ajoutent que Robin Thicke était ivre lors du tournage, et se serait excusé plus tard auprès de l’actrice.
Emily Ratajkowski prend la parole sur les violences sexuelles
Cette agression n’est pas la seule que la mannequin a subie. Elle avait déjà raconté une agression sexuelle perpétrée par le photographe Jonathan Leder en 2012.
Cela s’est passé, chez lui, lors d’un shooting ; la jeune Emrata d’alors ne savait pas qu’il lui faudrait poser en lingerie avant d’arriver sur place. Après avoir bu du vin proposé par le photographe, il lui a dit qu’il voulait essayer de la prendre en photo nue. C’est après cette séance photo qu’il l’a agressée sexuellement et qu’elle l’a repoussé.
Les révélations d’Emily Ratajkowski montrent les violences que les mannequins et danseuses ont subi, et continuent malheureusement de subir dans le cadre de leur travail.
Elles nous permettent aussi d’ouvrir une réflexion sur ces femmes que la société est prompte à condamner comme actrices de leur propre oppression — alors qu’elles sont parfois victimes d’actes innommables, et ont surtout besoin d’être soutenues et entendues.
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Les Commentaires
Je vois que la plupart des réactions sur ce topic disent "qui est surpris?" mais... je sais que plusieurs MadZ ressentent (ou ressentaient, je ne sais plus qui avait cette position et donc si c'est toujours le cas) une forte animosité pour Emily Ratajkowski, j'ai déjà lu des discours très durs ici l'accusant de faire le jeu de l'objectification des femmes, du patriarcat en ayant profité de son physique pour gravir les échelons et en ayant ainsi sciemment introduit des tas de complexes aux jeunes femmes. C'était un discours en mode "être féministe c'est aussi reconnaitre que la responsabilité des femmes dans ce système et ne pas les exempter". Je pense que pour beaucoup, y compris pour des femmes s'identifiant comme féministes, Emily Ratajkowski c'était la complice de Robin Thicke, celle qui contribue à la culture du viol en participant gaiement à ce genre de clip et qui participe largement à la construction d'un système autour d'un physique très normé. Donc en réalité, oui, je pense que pas mal de monde va ressentir de la surprise en apprenant ça vu ce que j'ai déjà pu lire sur elle par le passé.
Je me souviens quand je lis ces choses dures sur elle, je ne savais même pas trop quoi répondre, car c'était souvent très argumenté et ça se voulait nuancé, du genre "oui peut-être qu'elle a eu des mauvais difficiles MAIS MALGRE TOUT elle a participé à ça". Moi, ça me donnait surtout l'impression de ce genre de situation où vous savez, on nous apprend à détester les autres femmes et à se retourner contre elles, notamment pour ne pas qu'on forme d'alliances avec les chéries du patriarcat qui alors pourraient sortir de leur rôle de faire-valoir des hommes puissants parce qu'elles auraient des soutiens inconditionnels dans la lutte féministe. Mais c'est vrai que je ne connaissais pas assez Emily Ratajkowski pour savoir si c'était une personne très conservatrice et anti-féministe, donc je me disais que peut-être qu'effectivement, elle minaudait à poil dans un clip qui valorisait la culture du viol parce qu'elle partgeait ces opinions? Peut-être que quand elle avait l'air de s'amuser toute nue à quatre pattes avec un jouet qu'un mec habillé qu'on lui fait rouler sur le dos, elle trouvait vraiment ça hyper fun et avait même eu l'idée toute seule? Dur à dire donc je me disais "bon, peut-être que c'est MadZ ont de bonnes raisons de parler comme ça, je ne sais pas".
Bref, tout ça pour dire que l'histoire d'Emily Ratajowski, je trouve ça quand même assez intéressant et édifiant d'un point de vue féministe, sur la manière dont ces femmes qu'on perçoit comme les complices du sexisme dans toute leur splendeur sont peut-être dans une position bien plus complexe qu'on le pense.