Augustin est un rescapé. Aujourd’hui âgé de 19 ans, ce jeune Lillois faisait partie de ces enfants que l’on a vu dans les rangs de la Manif pour tous pendant les débats sur le mariage pour tous en 2012 et 2013.
Ces enfants dont on se demandait justement, à l’époque, combien d’entre eux allaient se découvrir gay, lesbienne, bisexuel, trans à l’adolescence et à quel point ils allaient être traumatisés d’avoir été traînés malgré eux dans ces manifestations.
À travers le témoignage d’Augustin, c’est un début de réponse qui nous parvient.
La journaliste Rozenn Le Carboulec a recueilli sa parole dans le cadre d’Au nom du fils, troisième saison du podcast Quouïr (Nouvelles Écoutes). En six épisodes, elle parvient à montrer l’impact de cette mobilisation homophobe sur une génération de jeunes LGBTI+, mais aussi à analyser les discours de l’époque, les contradictions de celles et ceux qui ont marché contre l’égalité et leur farouche défense d’un modèle de famille soi-disant idéal.
Si la parole d’Augustin et de sa famille est centrale, c’est aussi les mots d’activistes et de chercheurs et chercheuses en sociologie, en linguistique, qui permettent de saisir comment ces quelques mois ont pu causé autant de dégâts.
Aller plus loin que les témoignages
Ce n’est pas la première que Rozenn Le Carboulec se consacre à comprendre l’impact de la Manif pour tous sur les jeunes LGBT :
« Début 2021, j’ai écrit un article pour Le Monde où je donnais la parole à des jeunes LGBT qui ont été emmenés la Manif pour tous par leurs parents. J’ai estimé qu’il fallait aller plus loin, j’avais envie d’ajouter à cette base que sont les témoignages, de la contextualisation et de suivre le cheminement d’un de ces jeunes sur la durée pour analyser cette période et ce qu’il pensait. »
Comme beaucoup de personnes LGBTI+, Rozenn Le Carboulec garde elle aussi un souvenir vif de 2013 :
« Je ne sais pas si on peut parler de traumatisme, c’est une période dont je me souviens très bien qui m’a profondément marquée, profondément blessée. J’avais une réelle incompréhension de ces personnes qui allaient dans la rue défiler contre nos droits.
Je suis allée sur les bas côtés des manifestations parce que j’avais besoin de comprendre qui étaient ces gens, j’ai pris des photos pour documenter ce qu’il se passait, j’ai bien sûr participé à des contre-manifestations parce que j’avais besoin d’extérioriser cette douleur qu’on ressentait tous et toutes à l’époque.
Je travaillais au Plus qui était l’espace participatif du site de l’Obs où on publiait des tribunes et on nous avait demandé de publier une tribune du porte-parole de la Manif pour tous. J’avais refusé. J’étais très en colère vis-à-vis de ce média qui était censé être de gauche, progressiste, qui avait été à l’avant garde sur plein de combats, avec le manifeste des 343 et le droit à l’avortement et qui là ne se positionnait pas en faveur du mariage pour tous. J’ai vécu ça très violemment. »
Ne pas remuer le couteau dans la plaie
C’est via un appel à témoignages relayé par le compte Instagram Le Coin des LGBT qu’Augustin entre en contact avec elle. Rozenn Le Carboulec décèle rapidement qu’il a le recul et la maturité pour devenir le fil conducteur du podcast.
« Je ne pouvais pas faire six épisodes avec une personne qui aurait été uniquement dans la colère et dans le traumatisme, et pour qui ça allait être beaucoup trop douloureux de me parler de tout ça sur la durée. Il fallait quelqu’un capable de remuer tout ça sans que ça le blesse de nouveau. Augustin m’a semblé avoir cette capacité. C’est aussi le seul dont la famille acceptait de témoigner. »
Bientôt dix ans après ce déferlement de haine homophobe, comment aborder ce sujet sans ressasser à nouveau des discours pénibles et violents ? Comment dépasser le rabâchage des mêmes slogans plein de bêtises et d’outrances ? « Ça a été un questionnement constant », confirme Rozenn Le Carboulec : « Comment faire entendre les paroles de la famille qui parfois peuvent être des paroles homophobes et blessantes, tout en ne remuant pas le couteau dans la plaie et ne pas blesser de nouveau et surtout apporter une critique et une contextualisation à leur discours ? »
« J’ai mis des sons d’archives de la Manif pour tous seulement dans l’épisode 1, pour poser le sujet mais permettre aussi de rappeler pour des personnes qui n’étaient pas là, qui l’ignorent, pour tous ces jeunes LGBTI+ qui me contactent aujourd’hui et qui confondent Manif pour tous et Marche des fiertés. Je pense qu’il faut ces sons d’ambiance pour restituer la violence des discours à l’époque, le déferlement de haine. »
C’est aussi la force d’Au Nom du Fils, sa capacité à montrer et à transmettre l’histoire récente de la communauté LGBTI+, à faire en sorte que cette période ne soit pas occultée, oubliée.
« Je n’ai pas laissé de violence gratuite, même si j’ai conscience que ça peut être très violent pour certaines personnes », reconnait Rozenn Le Carboulec.
Car, oui, entendre la famille d’Augustin se justifier, ou ne pas toujours prendre la mesure des conséquences de ces manifestations, cela peut a minima mettre en colère. Mais la construction des épisodes permet aussi de ne jamais laisser planer d’ambiguïtés sur leurs propos :
« J’ai choisi de leur opposer des paroles d’experts, de militants, de contextualiser, et à chaque fois, un peu fact-checker leurs propos. OK, un papa et une maman, c’est ce qu’il y a de mieux pour un enfant, vraiment ? On se rend compte que dans les études menées depuis des dizaines d’années, rien ne montre ça. C’est dans la parole des intervenants autre que la famille qu’on contrecarre la violence. »
Toutes une génération marquée par la Manif pour tous
Si le récit d’Augustin permet de montrer un dialogue possible, Rozenn Le Carboulec tient à rappeler que son vécu constitue une rareté :
« Augustin représente une exception dans le flot de témoignages que j’ai pu recevoir, la plupart des jeunes LGBTI+ qui ont été emmenés à ces manifs sont encore extrêmement traumatisés par ce qu’il s’est passé. »
Le dernier épisode de Au nom du fils, qui sortira fin novembre, donnera la parole à d’autres rescapés. Un passage obligé, selon la journaliste :
« Toutes les familles ne se remettent pas en question, je ne peux pas terminer sur un happy end. Dans la majorité des témoignages que j’ai reçu, ce sont soit des personnes qui ne sont pas out et qui ne le seront peut-être jamais, soit des personnes qui ont fait leur coming out et qui ont coupé les ponts avec leurs familles. »
Cette saison 3 de Quouïr est loin d’être facile à écouter, tant elle nous replonge dans ces mois où la parole homophobe s’est libérée dans une grande indifférence. Reconnaître enfin l’impact de la Manif pour tous, alors si prompte à vouloir protéger les enfants, c’est aussi pointer toute l’hypocrisie de ce mouvement et montrer enfin les dégâts réels qu’il a provoqué.
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Les Commentaires
Je me rappelle de ce moment et justement de regarder les photos avec tous ces gamins (dont certains étaient vraiment jeunes et doivent encore être mineurs). J'étais tellement triste pour elleux et je me disais que statistiquement c'était obligé qu'un certain nombre s'identifient un jour ou l'autre comme LGBT et comment elles/ils le vivraient ? J'étais aussi énervée contre leurs parents car je ne comprenais pas qu'on fasse prendre ce risque à ses enfants. De ce point de vue là le podcast et notamment le témoignage de la mère d'Augustin apporte des réponses. Je me pose toujours la question pour les autres enfants (j'ai pas accès à l'article du Monde) et je me demande si en tant que LGBT+ on aurait pu faire/on pourrait faire quelque chose de plus pour elleux?