— Publié le 29 janvier 2014
Je te vois venir. Juste parce que tu es née avec internet, et que tu as appris à écrire des emails bien avant que je ne sache taper « http » dans la barre d’adresse, tu crois maîtriser l’art de l’email. Erreur, erreur jeune padawan, car l’email PROFESSIONNEL est un exercice périlleux extrêmement codifié. Surtout, la méconnaissance de ces codes peut éventuellement te créer des soucis. Plutôt que d’apprendre sur le tas — et de tes éventuelles erreurs, laisse-moi te guider.
Génèse d’un mode de communication anachronique
Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si l’email était utilisé uniquement par des gens qui l’utilisent de manière innée. Là n’est pas le cas : si tes collègues/tes supérieurs hiérarchiques/tes interlocuteurs virtuels sont nés avant les années 80, vous n’appartenez pas au même monde.
Pour certains d’entre-eux, l’email n’est autre qu’un courrier qu’on envoie par internet au lieu de l’envoyer par la poste. Ces gens sont facilement reconnaissables : ils font figurer leur adresse email dans leur signature, comme s’ils ignoraient que tu l’as automatiquement dès lors qu’ils t’envoient un email (et de fait, nombreux sont ceux qui l’ignorent. Ne te moque pas, c’est très sérieux).
Il te faudra donc respecter les codes de la lettre : objet, expéditeur, formule d’adresse, corps du message ordonné, formule de politesse, signature. Ces gens intègrent généralement la moitié de leur CV + une image de 32 mégas dans leur signature du mail. Ils te « prient de bien vouloir agréer leurs plus sincères salutations », et tu te sens un peu perdu•e alors que tu te verrais bien simplement leur répondre « ok bien reçu, on se voit sur place ! a+ ».
Pour aller plus vite, voici un modèle de réponse :
Objet : <nom du projet>, précédé du nom de ton entreprise si c’est un email extérieur
« Bonjour,
J’accuse réception de votre email concernant <objet > (il suffit bien souvient de copier-coller le leur)
Je vous confirme/ < ma participation à > < insérez événement > (ils vous invitent souvent à une conférence, un petit déjeuner, un apéro, bref, un événement dont vous vous moquez bien, mais auquel vous voudriez bien RSVP sans pour autant vous engager strictement. Comme sur Facebook, quoi).
Je vous remercie pour votre < intérêt / sollicitation / invitation > (supprimez la mention inutile)
Dans l’attente de vous rencontrer « de visu » ( = IRL pour les vieux, mais tu peux sauter cette étape si tu ne crains pas de paraître trop abrupt•e),
Cordialement,
<Signature > : le prénom-nom est d’usage, le pseudo est à proscrire. Rappelle-toi crénom : cette personne a cru t’envoyer une lettre en bonne et due forme. Ne signe pas « A. » pensant que le « Albertine Dupont » qui s’affiche à la réception de tes emails envoyés satisfera ton interlocuteur. Un peu de respect pour tes aîné•e•s, merci. »
Email artisanal, huile sur canvas de 1950
Qui mettre en copie ?
À partir de ce chapitre 2, nous abordons la communication email des initiés : ces gens connaissent l’email, tu peux donc t’affranchir partiellement des codes ci-dessus cités. Mais attention, ne relâche pas ta concentration pour autant.
Si tu vois passer un « Cdlt », attention : ce n’est pas une licence pour l’utilisation libre du langage SMS, loin de là. Il s’agit de l’abréviation validée et approuvée de la formule de politesse « cordialement ».
… Comment savoir si une abréviation est « validée et approuvée » ? C’est bien simple. Il suffit de suivre le théorème de « la validation hiérarchique » : si le plus haut gradé hiérarchique inclus dans la conversion utilise une abréviation, cette abréviation est validée.
Si tu ne comprends pas cette abréviation, trois solutions sont possibles :
- la technique de l’autruche : ignore le problème. Quelqu’un d’autre le résoudra.
- la technique du manager : demande à une personne hiérarchiquement inférieure (un•e stagiaire, j’imagine), de rechercher la réponse, quitte à aller la demander au supérieur. C’est bien, ça va le•la former au rapport à l’autorité !
- la logique : « répondre à tous » en demandant ce que signifie l’abréviation. Honnêtement, si tu es la personne la plus basse dans la hiérarchie dans cet échange de mail, tu ne risques rien : au pire, ton chef appréciera ton humilité. Au mieux, tes collègues te revaudront le coup : ils avaient honte de demander, et tu leur auras bien sauvé la face.
Quant à savoir qui mettre en copie lorsque tu envoies un email, c’est assez simple, distinguons plusieurs cas, que nous développerons :
- Tu es à égalité hiérarchique avec ton interlocuteur. Vos supérieurs respectifs vous ont chacun donné leurs consignes, et vous ne rencontrez aucune difficulté particulière : vous pouvez échanger entre vous sans mettre la terre entière en copie.
- Même configuration, sauf que vos échanges sont tendus : tu mets ton chef en copie cachée (nous allons y venir). Oui je sais, ça fait bâtard, mais dis-toi bien que ton interlocuteur fait sûrement la même chose.
- Même configuration, sauf que vos échanges sont TRÈS tendus : vous mettez vos chefs en copie visible. Naturellement, dans cette dernière configuration, il faudra prendre soin de bien « répondre à tous » à chaque nouvel envoi.
Mais nous allons y venir.
Revenons à nos moutons : le « cc »
Le « cc », ou « la copie », est la version numérique de « je demande l’autorisation/ j’informe mon chef ».
« Je déteste être mis à part »
Toute personne en copie d’un email est considérée comme ayant été informée. Doivent donc figurer obligatoirement en copie de tout email professionnel :
- Ton supérieur hiérarchique (car c’est souvent un homme, ne nous voilons pas la face), surtout si c’est lui qui t’a demandé d’initier la correspondance. Tu dois le mettre en copie pour qu’il sache que ça y est, la prise de contact a eu lieu.
- Les personnes qui prennent part au projet, même si elles ne sont pas directement concernées par cet email. Ne fais pas de rétention d’information, c’est très pénible.
- La secrétaire (ne soyons pas hypocrites, c’est souvent unE secrétaire) : oui, tu la spammes à mort et elle se retrouve avec environ 250 emails par jour dans sa boîte. Rassure-toi : elle ne les lit pas. Elle se considère dans la boucle et pourra retrouver l’email en cas de besoin. Facilite-lui la vie en venant lui expliquer oralement l’objet de tes 26 mails de la journée, et de l’interminable fil de « répondre à tous » qui s’en suivra. Au final, tout ce qu’elle devra retenir est qu’elle doit réserver une salle de réunion pour X personne, pour le jour Y à l’heure Z. Résume-lui tout ça dans un email intitulé < synthèse – < OBJET > > et tu deviendras très vite sa•on préféré•e du service.
À ce stade, tu te demandes :
« Mais… à quoi ça sert de la mettre en copie, si je lui résume le sujet à la fin ? »
Tu ne suis pas : ça sert à la tenir informée. Toute personne en copie doit être considérée comme « informée ».
Après, si tu veux que les personnes intègrent certaines informations en particulier, tu les en informes directement. Aussi, ta secrétaire se fout bien de tes échanges sur le contenu de l’ordre du jour, mais tu dois la tenir informée de l’évolution de ton projet de réunion, pour au final, l’informer de la tenue effective de la réunion afin qu’elle réserve la salle et les équipements adéquats.
Je ne comprends rien.
Si, à ce stade, tu es déjà largué•e, il est encore temps d’aller élever des tortues géantes aux Galapagos. Conseil d’amie.
La copie cachée, ou le « bcc »
La copie cachée, c’est le « level gros batard » de la copie. Autrement dit, tu mets en copie cachée les personnes que tu veux informer de la discussion en cours, à l’insu de tes interlocuteurs.
Prenons un exemple concret : tu as de bonnes relations avec un fournisseur, mais il est en train de te mener en bateau sur cette commande, ce qui a le don de te plonger dans la contrition la plus profonde.
Oui, on n’en a pas vraiment parlé, mais plus tu adoptes un langage soutenu dans tes emails pros, plus tu en envoies plein la gueule à tes interlocuteurs, en énervant les plus pénibles d’entre eux. Le langage soutenu est à l’email pro ce que le clash est au rap : une escalade de conflit codifiée.
Bref, ce fournisseur te prend carrément pour un•e bleu•e sur ce coup-là. Tu n’as pas trop envie de le froisser, rapport aux bonnes relations que vous entretenez, mais en même temps, tu ne veux pas non plus te laisser marcher dessus, rapport au fait que tu n’aimes pas non plus te froisser avec ton chef (tu sais, la personne qui t’augmente ?) et qui compte sur cette commande.
Que faire ? Tu réponds le plus courtoisement du monde à ton fournisseur, à base de :
« nonobstant les difficultés dont vous me faites légitimement part, j’insiste néanmoins sur l’importance que < insérez entreprise > accorde à cette livraison ;
En espérant que ces mots sauront vous assurer de la nécessité pour nous d’être livrés selon les délais que nous avions négociés au préalable,
cordialement. »
Tu me diras, cet email ainsi rédigé n’a rien de « clashant ». SAUF QUE ! Tu auras pris le soin de mettre le chef en copie CACHÉE de cet email. À partir de là, deux scénarios sont possibles :
1. Il s’en contrecarre : grand bien lui en fasse, mais te voilà délesté•e de ta responsabilité de sous-fifre.
Il se considère informé du fait que le fournisseur se moque de toi, il choisit de ne pas réagir, mais ça devient donc son problème et plus guère le tien. S’il t’en tient rigueur, tu sortiras ton joker : « mais chef, j’vous ai mis en copie ! Vous avez bien vu que ce n’est pas de ma faute si nous sommes livrés en retard ! »
Si tu avais pris le soin de relancer oralement ton chef au moment de l’échange litigieux pour t’assurer qu’il avait bien lu l’email, considères-toi « perché ».
2. Le chef envoie lui-même un email bien senti (voire passe un coup de fil) au fournisseur. Le problème n’est plus entre tes mains. Joie.
Tu pourras, à l’occasion, bitcher de vive voix avec ton fournisseur à propos de ton chef (« oui, j’ai vu l’email, franchement c’était abusé, désolé hein ! »), histoire de réparer vos relations. Mais ne bitche jamais par email, malheureux•se ! Ton contact, s’il est fourbe, pourra toujours mettre ton chef en copie… cachée !
Afin de préserver la cordialité de tes relations avec tes collègues, il est fortement recommandé de ne jamais, jamais écrire dans un email quelque chose que tu ne voudrais pas qu’un autre collègue lise. PERSONNE n’est jamais à l’abri de la copie cachée.
« Répondre à tous »
Combien de fois as-tu pesté contre ton pote spammeur, celui qui s’obstine à « répondre à tous » aux emails groupés de type « apéro chez moi vendredi soir ? ». En l’espace de quelques heures, il est capable de répondre aux 25 personnes de la liste de diffusion que « opé ! quelle heure ? », puis « ah t’as dit 20h pardon j’avais lu trop vite », suivi de « moi ce sera plutôt 21h du coup. J’ramène du blanc ! », et 20 minutes plus tard « J’avais pas de blanc au frais, du coup j’ai pris du rouge. Quelqu’un amène du saucisson ? », etc.
Vous finissez par ne plus inclure ce pote dans les mails communs, et préférez lui transférer les infos à part, c’est tellement plus simple pour tout le monde, surtout pour vos nerfs.
Mais ça, c’est dans le cercle privé, où il n’existe pas de hiérarchie. Dans l’univers professionnel, l’utilisation du « répondre à tous » est non seulement nécessaire, mais essentielle à la fluidité de la communication à tous les niveaux de la hiérarchie.
Quand faut-il « répondre à tous » ? C’est assez simple : tant que la discussion implique plusieurs interlocuteurs, il est normal de maintenir tout le monde dans la boucle.
Quand la boucle contient des supérieurs hiérarchiques qui ne prennent pas une part active au projet, il faut tout de même veiller à les maintenir dans la boucle.
Alors que dans la sphère privée, le « répondre à tous » peut être une ignorance de l’étiquette au point de devenir une forme de spam, dans le monde professionnel, c’est l’inverse : cette pratique doit être observée. C’est répondre uniquement à l’émetteur du message qui sera perçu comme un manquement à l’étiquette. Ou éventuellement un « fuck » à ton chef, puisque tes interlocuteurs pourront considérer que tu ne daignes pas l’informer de ta réponse.
Imprime bien ça.
Tant que tu ne t’enquiers pas de savoir « qui ramène le saucisson », ne t’inquiète pas : tu ne spammes personne.
« Cordialement », on se relit
Tu verras sans doute passer, au cours de ta vie professionnelle, des emails criblés de fautes d’accords et de conjugaison, dignes de tes meilleures dictées de primaire. Mais que cette négligence ne t’incite pas à baisser la garde : je te rappelle que toi, tu es jeune, et que si toi tu fais des fautes, ce sera à cause d’internet et des SMS. Alors que tes respectables aînés, eux, ne font que « des fautes d’inattention ».
Veille donc particulièrement à éviter toute « faute d’inattention » dans ta correspondance numérique. Normalement, ton email devrait être court, la relecture ne devrait pas te prendre plus de quelques minutes.
Et afin d’éviter le moindre fail, tu peux utiliser la checkliste suivante, pour davantage d’efficacité :
- Ai-je mis un objet ? Il faut mettre un objet. Si possible, ne pas mettre tout le corps du mail dans l’objet.
- L’objet est-il concis, contient-il les mots clefs du projet/du motif de mon mail ?
- Ai-je « répondu à tous » ? Si non, ai-je mis mon supérieur en copie ?
- Ai-je mis des gens en copie cachée ? Si oui, ai-je bien fait attention à ne pas transférer des emails précédents (où la copie cachée figurerait dans les informations du mail ?)
- Si j’ai transféré un email, ai-je bien supprimé d’éventuels commentaires désobligeants dans la conversation transmise ? (Si on te transmet un email en disant « putain, non mais tu le crois, ce con ? », il serait préférable d’effacer ce passage avant de remettre tout le monde dans la boucle.)
- Si j’ai intégré « cordialement » à ma signature automatique de mail (comble du cynisme), ai-je bien évité de réécrire une formule de politesse nulle par dessus ?
- Ai-je bien mis la pièce jointe en pièce jointe ? (« avec la pièce jointe, c’est mieux ;-))
- Avant l’envoi, n’hésite pas à passer ton texte sur bonpatron.com, un correcteur orthographique très utile.
Un dernier truc de sioux : en règle générale, je relis intégralement mon email, et j’ajoute les destinataires en dernier, au moment où le mail est prêt à être envoyé. Ça évite parfois de faire partir un email trop vite (ou une fausse manipulation), ça évite aussi parfois d’envoyer sans la pièce jointe, fail reconnu fléau officiel de l’email professionnel.
Voilà, tu as maintenant toutes les clés pour rédiger des emails professionnels efficaces, et éviter tout impair dans la communication.
N’oublie pas de terminer tout email par l’usuel « cordialement », formule de politesse bien pratique, puisqu’elle recouvre à peu près tous les sens et tous les tons, du courtois « bien à vous » jusqu’à un « va mourir, connard » bien salé.
Mais de rien, voyons, ça m’a fait plaisir. 14 760 signes pour expliquer la technique de l’email professionnel, c’est bien la preuve que ce n’est quand même pas sorcier…
Cordialement,
Marie Charlotte.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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