« Je fais de la politique » est une phrase que je ne pensais jamais dire, et pourtant…
Un matin d’avril 2013, alors que j’allais au marché dominical de ma commune (campagne lifestyle représente), j’ai vu un adjoint me pointer du doigt et s’arrêter sur le parking. C’est là qu’il m’a posé une question à laquelle je ne m’attendais pas :
« Tu le sais sûrement : l’année prochaine, en mars, auront lieu les élections municipales et on voudrait des jeunes, alors on a pensé à toi. Ça te dit ? Et ce n’est pas pour remplir la liste, c’est pour être élue, hein ?! »
Il se trouve que non, je ne le savais pas, mais j’ai fait comme si j’étais au courant avec un grand sourire. Pourtant, autant vous dire que quand cette question est venue à mes oreilles, j’ai dû avoir une tête qui traduisait énormément d’étonnement. Une voix dans ma tête m’a encouragée :
« Allez, teste, tu ne connais pas, ça doit être plutôt cool comme expérience ! »
Quand certain•e•s réfléchissent plusieurs semaines pour répondre à ce genre de proposition ; j’ai pris ma décision en (approximativement) une demi-seconde et j’ai dit oui.
Moi, 22 ans, conseillère municipale ?
Ma condition de jeune fille bien élevée me faisait penser qu’à ce moment je leur permettais de remplir la liste, « de boucher » un trou en quelque sorte ; je pensais que je n’avais pas d’atout particulier, que je leur rendais un service et que c’était un épisode de ma vie, que ça ne changerait pas grand-chose. C’était pourtant un épisode qui devait durer six ans si on était élu•e•s, mais à ce stade je n’en avais pas encore pris conscience.
« Les conseillers municipaux sont élus (pour un mandat de 6 ans) au suffrage universel direct par les électeurs français et européens inscrits sur les listes électorales. Le mode de scrutin dépend de la taille de la commune. Le maire et ses adjoints sont ensuite élus par le Conseil municipal. »
Alors j’ai attendu que la campagne débute, j’ai rencontré la tête de liste (qui était le maire sortant), ainsi que l’équipe. Évidemment, du haut de mes 22 ans, j’étais le « bébé » du groupe, donc on ne venait pas vers moi au premier abord. Alors que mon cerveau m’ordonnait de ne pas faire la potiche et d’aller partager un verre de vin avec des « jeunes de quarante ans », je restais impressionnée et en admiration devant des élus (une partie de la liste se représentait) et des personnes que je pensais supérieures à moi.
Parce que finalement, je me demandais un peu ce que je faisais là. J’avais la tête pleine de questions quant à ma légitimité : « Qu’est-ce que tu vas apporter à des citoyen•ne•s alors que toi, tu vis chez tes parents ? Quel est ton avis sur la vie locale ? Comment tu vas gérer tout ça ? Mais t’es qui pour penser pouvoir améliorer la qualité de vie de ton village alors que tu as 22 ans ? »… Pourtant, comme quiconque étant majeur et résidant ou ayant un commerce dans la commune, il était tout à fait juste que je me présente.
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L’élection
La campagne a battu son plein, j’ai rencontré des « jeunes vieux » qui m’ont permis de voir où étaient mes forces, qui m’ont permis de grandir et me lâcher. J’ai commencé à prendre conscience de ce que je faisais… et à ne plus dire « oui » ou « non » pour ne pas déranger, mais à faire des choix. Après cinq réunions publiques (dont une que j’animais devant 200 personnes !), le 23 mars 2014 notre liste a été élue à 51% et avec 60 voix d’écart après environ six mois de campagne.
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Je ne vous explique pas l’ascenseur émotionnel quand, assise à l’un des bureaux de vote, je voyais notre groupe perdant, puis re gagnant, encore perdant et ainsi de suite pendant tout le dépouillement (qui dure au moins une heure), en présence de proches, des autres candidats qui vont de bureau en bureau (il y en a trois au total), de la population qui se collait à nous pour voir le nombre de voix, alors que nous, assesseurs des bureaux de votes, nous ne devions pas nous déconcentrer et continuer notre dépouillement pour éviter les erreurs.
Et puis ô joie ! Ô bonheur ! Je suis devenue conseillère municipale. La fête qui a suivi est l’une des plus marquante de ma vie, surtout quand, verre à la main, je me suis rendu compte que, non seulement j’étais légitime, mais qu’en plus l’ensemble de la liste était heureuse de m’avoir. C’est donc la fierté qui a pris le dessus : « Fête ça, des élues de 22 ans il ne doit pas y en avoir des masses ma grande ! ».
Mois de mars oblige, toute l’année était déjà planifiée : il fallait récupérer les dossiers des sortants (qui étaient pour certains dans la liste d’opposition), se faire aux services administratifs et techniques, et apprendre à travailler avec eux et aménager son emploi du temps. Parce que quand on est élu•e dans une petite commune comme la mienne, nous ne sommes pas uniquement là pour donner des orientations, mais aussi pour travailler : adieu les semaines à quarante heures et bienvenues à celles de 60 à 70 heures !
Être conseillère municipale
Ça fait maintenant un an et demi que je suis « conseillère municipale déléguée à la communication », et c’est incroyable. Il m’a fallu deux mois pour arrêter de pleurer chaque matin tellement tout ça était nouveau, effrayant, stimulant et tellement enrichissant à la fois.
Trois semaines avant d’être élue, j’ai rejoint, à la communication, une start-up qui forme les femmes au leadership. La vie est très bien faite pour le coup : une grande partie de notre activité correspond à la formation d’élu•e•s de toute la France et de tous les partis. Avant j’étais dans des agences de communication à horaires fixes (du moins pour l’heure d’arrivée) et peu malléables ; là, qui dit start-up dit adaptation.
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Cependant, je traite l’essentiel de mon travail d’élue à la pause déjeuner ou le soir en rentrant. Mes dossiers sont pratiquement tous synchronisés pour pouvoir me connecter avec n’importe quel appareil et travailler de n’importe où (merci le partage des données !). Les réunions, commissions et conseils privés qui finissent à 23h ou minuit ne sont pas rares, et même si ça prend beaucoup de temps, c’est une nouvelle façon d’apprendre à se dépasser.
Même si ça prend beaucoup de temps, ça m’apprend à me dépasser
Comme c’est une commune modeste (de 3400 habitant•e•s environs), nous n’avons pas de service de communication ; c’est donc moi qui organise toute la communication impulsée par la mairie et en traite une grande partie. Des relations presses à la rédaction de textes pour le bulletin municipal, l’administration du site, la réalisation des messages de communication pour les outils propres aux villes (panneaux et banderoles informatives), ou la réalisation d’affiches, dépliants… je fais beaucoup de choses.
Il y a de plus toute une partie relationnelle avec les associations, les groupes de travail et les entreprises qui passent par certains de nos vecteurs et canaux de communication pour se faire connaitre ou parler de leurs activités. Cela prend beaucoup de temps : il faut retraiter les informations, les adapter à notre ligne éditoriale…
Heureusement, j’ai une super commission avec des membres qui m’aident à réécrire des textes, gérer une partie du site Internet, relire et j’en passe. Nous sommes cinq dans cette commission et chacun prend une partie du travail. Mon rôle est d’être une sorte de facilitateur, et je dispatche une partie des « missions » entre chacun (même si tout cela se fait de façon très naturelle).
La politique est noble, défend les intérêts de habitants !
Après avoir pensé ne pas être faite pour ce milieu, j’ai appris beaucoup de choses. La première c’est que la politique est noble et que dans sa valeur primaire il s’agit de s’engager sur un territoire qui nous fait vibrer pour défendre les intérêts et la qualité de vie de ses habitants. Bien loin des Bygmalion, comptes suisses et emplois fictifs qui font la Une des médias, les élus locaux se battent réellement pour améliorer la qualité de vie de chacun (même si évidemment il y a des exceptions).
J’ai appris que ce n’était pas facile, car nous sommes aussi élu•e•s pour être des « punching balls » : nous devons protéger les employé•e•s de la commune tout en défendant et mettant en place un programme électoral qui ne plait pas forcément.
« Le conseil municipal représente les habitants. Ses attributions sont très larges depuis la loi de 1884 qui le charge de régler « par ses délibérations les affaires de la commune ». Cette compétence s’étend à de nombreux domaines. Le conseil municipal donne son avis toutes les fois qu’il est requis par les textes ou par le représentant de l’État.
Il émet des vœux sur tous les sujets d’intérêt local : il vote le budget, approuve le compte administratif (budget exécuté), il est compétent pour créer et supprimer des services publics municipaux, pour décider des travaux, pour gérer le patrimoine communal, pour accorder des aides favorisant le développement économique.
Le conseil exerce ses compétences en adoptant des « délibérations ». Ce terme désigne ici les mesures votées. Il peut former des commissions disposant d’un pouvoir d’étude des dossiers.
Le conseil municipal doit se réunir au moins une fois par trimestre et l’ordre du jour, fixé par le maire, doit être communiqué avant le début de la séance. Celle-ci est ouverte au public sauf si l’assemblée décide le huis clos ou si le maire exerce son pouvoir de « police des séances », notamment en cas d’agitation, et restreint l’accès du public aux débats. »
J’ai aussi appris que ce n’est pas parce qu’on est jeune et qu’on est une femme qu’on ne peut pas se lancer dans cette aventure ; j’ai appris à me méfier des gens, j’ai pris quelques claques, en retour j’ai donné des taloches, et plus que tout, j’ai découvert qui j’étais en arrêtant de dire « oui » pour faire plaisir mais en prenant des partis pris.
Car on s’en doute, le fait d’être jeune n’est pas forcément un avantage. À plusieurs reprises cela a été un obstacle quand j’ai touché des egos ou trop agacé par mes décisions. Si j’étais un homme de 40 ans, beaucoup ne s’adresseraient pas à moi de la façon dont ils le font, avec des emails cassants et blessants, ou en me demandant parfois si je suis la secrétaire de mairie (d’une façon assez peu respectueuses des secrétaires de mairie), ou de qui je suis la fille ! Cependant tout cela reste encore gérable, du moins plus que les négociations souterraines, les réunions de petit comité qui visent à établir des stratégies. Des actions m’ont fait perdre la confiance que j’avais en certain•e•s de mes collègues.
« Ben vous êtes la secrétaire de qui alors ? »
Les difficultés viennent aussi de moi : je suis très susceptible, un trait de caractère embêtant quand on est au contact des citoyen•ne•s et des associations de commerçant•e•s qui ont très souvent des reproches à nous adresser (fondés ou non). Et puis je me pose souvent la question de la légitimité, n’osant parfois pas faire des choses de peur de déranger ou de ne pas être comme il faut.
En conclusion…
Mais si je n’avais pas été cette gentille fille qui dit « oui » pour aider et faire plaisir, je n’aurai jamais vécu cette expérience. Je la conseille à tous les jeunes : se lancer sur une liste, s’encarter s’ils ont des opinions politiques fortes et partager une passion commune avec des personnes qu’ils ne rencontreraient sûrement jamais par ailleurs est vraiment quelque chose de fort à vivre.
Mon petit village, c’est ma première passion et je m’imagine pas m’en éloigner. L’exercice du mandat est devenu ma deuxième passion : au lieu d’habiter dans la métropole voisine, j’ai choisi de déménager au sein de ma commune dans un appart qui me permet de continuer d’exercer mon mandat. Mon choix en étonne beaucoup mais je pense qu’une expérience comme celle-là est difficilement compréhensible pour ceux qui ne la vivent pas (et je l’entends tout à fait). Je suis plus épanouie aujourd’hui comme élue que ce que je ne l’ai jamais été… et qui sait, je serai peut-être Madame la Maire de cette commune un jour !
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Les Commentaires
Moi aussi je suis une déçue de la politique politicienne, celle du gouvernement, mais je pense que ça n'a rien à voir avec le niveau communal où les élus vivent dans la ville, sont directement concernés par les mesures, connaissent bien les habitants et les problématiques qu'ils ont à résoudre... Donc bravo à ceux qui s'en sortent bien