Je suis une fille gentille. Je suis polie. Je dis s’il te plaît et merci. Je dis bonjour à la dame, même quand elle a mauvaise haleine. Je reste au téléphone avec toi quand tu pleures parce que ta copine t’a trompée avec ta maman. J’arrose ton chat et je nourris tes plantes pendant que tu es en vacances. Je te prête mon exemplaire dédicacé de Raisons et Sentiments. Je t’ai filé un tampon quand ton nez s’est mis à saigner. Je tiens tes cheveux pendant que tu vomis sur mes chaussures. Je te soutiens quand tu dois surmonter la terrible perte de ton chargeur de téléphone. Je suis allée t’acheter des rustines pour ton vélo quand tu as crevé, et je n’ai pas relevé quand tu as omis de me rembourser. Je dis « C’est pas grave » quand tu décommandes au dernier moment parce que ton Plan Cul Régulier t’a envoyé un SMS dans lequel il te dit qu’il te lècherait bien le lobe de l’oreille, alors que j’avais passé l’après midi à te cuisiner un soufflé au jambon. Et quand tu m’as dit que mes blagues étaient drôlement pourries, j’ai investi dans un guide intitulé « l’humour marrant pour les nuls ». Quand tu me demandes de te rappeler alors que je suis moi-même en hors-forfait depuis 24 jours, j’accepte, même si à la fin du mois je devrai probablement vendre un organe vital pour pouvoir payer ma facture.
Au travail j’arrive avec un quart d’heure d’avance. Je dis « oh ça va t’inquiète » quand toi tu arrives avec 20 minutes de retard de ta pause et que ça raccourcit d’autant la mienne. Je fais des heures sup’ qui ne seront ni payées, ni rattrapées tout ça parce que ma chef m’a dit que j’étais mignonne. Je souris poliment quand tu me dis que je ne fais pas un bon travail, que je fais des erreurs alors qu’en fait c’est toi qui a fait une connerie. Je dis toujours d’accord quand tu me proposes de faire des trucs chiants dont tu veux te débarrasser, pas du tout dans mes prérogatives initiales. Je reste stoïque et souriante face au client qui me hurle dessus que je suis une incompétente parce qu’on a pas accepté son règlement en pesos argentins. J’ai ravalé ma fierté quand tu m’as annoncé que mon poste était supprimé mais que c’était pas grave parce qu’à la place tu m’as donné un autre travail. Certes un travail éminemment chiant, profondément inintéressant, sans le moindre intérêt, ou l’usage du cerveau n’est pas requis voire même carrément déconseillé, mais un travail quand même. Quand tu m’as demandé si ça me convenait, j’ai dit « oh ben oui, ça va aller hein ». Quand tu m’as dit que j’étais une petite veinarde, j’ai acquiescé. C’est vrai ça, ça aurait pu être pire, on aurait pu me proposer de m’enfoncer des tournevis dans les narines, et ce de manière non rémunérée. Quand je vais à un entretien d’embauche et que tu ne me donnes aucune nouvelle, je dis rien. Quand enfin tu m’appelleras pour me dire que je suis pas prise, rapport que je refuse toute forme de promotion canapé, je dirais « tant pis, ça ira, ne vous inquiétez pas, de toute façon, j’ai pas besoin d’argent, je vais sucer des cailloux et faire les pare-brises aux carrefours pour vivre ».
Tout ça, c’est parce que je suis gentille. Je ne veux pas déranger. Quand je marche dans une crotte de chien, je lui demande pardon. Quand on me marche sur le pied, je demande à l’autre, confuse, s’il s’est fait mal au talon. Quand on me passe devant à la caisse du Carrefour City, je demande au type qui m’a doublée s’il a besoin que je lui porte ses sacs. C’est ce que font les filles gentilles: on les passe au hachoir et elles disent merci. Parce qu’il faut rester polie, douce et mignonne en toute circonstance, c’est ce que m’a appris ma mère. S’écraser, ne pas déranger, ne pas se faire remarquer. Parce qu’il faut être gentille. C’est mieux. C’était l’argument de ma mère : les gens ont plus d’amour et de respect pour les oisillons dépourvu de caractère. Bon, c’est vrai que ma mère croit que Hannibal Lecter est un chef cuisinier de renom et que c’est à ça qu’il doit sa célébrité. En tout cas, promouvoir l’innocence, la douceur et la pureté comme armes efficaces pour avancer dans la vie, en voilà de belles valeurs à inculquer à un enfant s’il veut devenir une petite chose soumise qui s’exprime dès qu’elle est seule mais qui face aux personnes concernées s’écrase, option vielle carpette.
On m’a dit que la vie ouvrait ses bras aux filles gentilles. C’est faux. L’avenir appartient aux connasses.
"Tu crois que j'me suis tapé Tom Cruise en lui jouant de la mandoline ?"
La connasse, quand elle veut te dire merde, elle rajoute « putain d’enculé ». C’est pour que tu comprennes bien.
La connasse, quand elle est pas d’accord, elle te toise, te jette un regard plein de mépris, et te dis « non je suis pas d’accord. On va faire comme moi j’ai décidé ». Et si à toi ça te convient pas, elle te fera un grand sourire et te dira que c’est elle qui décide, et que si t’es pas d’accord t’as qu’à partir à la pêche aux crevettes.
La connasse, quand tu lui exprimes ton refus, elle a plusieurs solutions de repli. Soit elle se drape dans sa fierté en partant la tête haute pour revenir à la charge dans les minutes qui suivent, jusqu’à ce que tu sois tellement saoulée que tu hésites entre accéder à sa demande ou la découper en tout petits morceaux. Soit elle t’annonce sans sourciller que d’accord ou pas d’accord, elle n’en fera qu’à sa tête. A moins qu’elle ne te fasse croire que tout va bien, les yeux brillants et le sourire mielleux, pour te court-circuiter dès que tu auras le dos tourné.
La connasse, tu lui marches sur le pied, elle te met un uppercut.
La connasse, t’essaies d’abuser de sa gentillesse, elle s’assoit sur ta tête et te dit que si tu essaies de recommencer, elle t’épluchera comme une banane.
En fait, la connasse, elle en a rien à carrer que tu la trouves connasse. Elle a compris qu’on était en guerre, et elle a compris que ça servait à rien de se battre avec de la barbe à papa, des bulles de savons et des œillades de faons. Elle y va à coup de coudes, de pieds, de tête, de dents. Elle sait où elle veut aller. Elle sait aussi que les places sont chères. Et s’il faut qu’elle écrase une caisse de chatons pour y arriver, elle sait où sont ses priorités, et elle ira à coup de pioche. Et pendant ce temps là, la fille gentille distribuera des « excusez-moi de vous déranger pour vous demander pardon » et restera à la traîne.
Au final, la fille gentille se retrouvera assise dans un coin, la petite fille aux allumettes (le conte le plus triste de l’univers). En passant à côté d’elle, les gens pencheront la tête sur le côté en prenant un air contrit. Mais personne ne lui tendra pas la main. Quant à la connasse, elle grimpera la côte en filant des coups de coude à tout ceux qui se trouveront sur son passage. Et elle arrivera au sommet, toute seule comme une grande.
Je me demande si en décidant d’être une jeune biche aux abois, douce et mignonne, je ne me serais pas trompée de voie. A moins que encore une fois, il n’y ait un temps pour chaque chose, et chaque chose en son temps. Que je réserve mon fiel et mes petits poings nerveux au joli garçon d’à côté, afin qu’il accepte de venir me renifler le cou. Et que je garde mes yeux de faon apeuré pour la mamie qui me passe devant à la superette en me disant « je me permet, hein, j’ai juste un caddie plein de croquettes et de paquets de litière, et puis en plus je suis vielle, alors j’ai tout les droits ». Ou l’inverse. Après tout, tout est une question de contexte et de registre.
Et toi, t’es plutôt une gentille fille ou une véritable connasse ?
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Les Commentaires
Y a pas d'entre-deux, vraiment ?
Je suis une fille gentille, mais je me laisse pas forcément faire, surtout avec les gens que j'aime je n'hésite pas à leur dire ce qui peut causer problème, j'ai même de l'ambition (depuis peu x) ) mais je serai jamais prête à marcher sur quelqu'un pour y arriver...