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Chronique

« Elles sont pas fortes, c’est des filles » : Illana Weizman questionne les stéréotypes de genre à l’école

Deux fois par mois, l’essayiste et militante féministe et antiraciste Illana Weizman signe une chronique pour Madmoizelle dans laquelle elle analyse un fait de société, parfois à partir de son expérience personnelle. Cette semaine, elle questionne les stéréotypes de genre auxquels sont exposés les enfants à l’école, dès le plus jeune âge, et trace des pistes pour les briser.

Vendredi dernier, je me traine en direction de l’école de mon fils pour aller le récupérer, à moitié en pyjama et somnolente, l’esprit tout embué de la fatigue de la semaine accumulée. En attendant l’ouverture des grilles, j’échange des banalités avec d’autres mères tout en observant la poignée de pères présents au milieu de ce panorama maternel.

Je me rappelle alors que, quand j’étais gamine, on appelait ce moment « l’heure des mamans ». Le jour où l’on verra autant de pères que de mères à la sortie des classes, on aura un tantinet avancé, mais ce n’est visiblement pas pour tout de suite, malgré la création marketing estampillée « nouveaux pères ».

La sonnerie retentit et je ne peux réprimer un sourire attendri en entendant la mélodie rythmée des centaines de petits pas galopant vers le portail de la maternelle. Chacune des caboches scannant l’espace à la recherche de son parent. Je croise alors le regard de mon fils qui, me voyant, dévoile toutes ses dents miniatures et court vers moi pour me gratifier d’un câlin appuyé dont lui seul a le secret.

– « Comment s’est passée ta journée mon amour ? »

– « C’était cool, j’ai joué avec Éric et Tom, et puis on a dessiné, et puis on a couru et puis on s’est jetés du sable et… et… »

– « C’est génial ! J’ai vu des photos sur lesquelles tu grimpais sur une corde, tu es super fort ! »

– « Oui, je suis fort maman, c’est parce que je suis un garçon ! »

– « Ah, mais j’ai vu que Libi et Sarah savaient aussi grimper à la corde, elles aussi sont très fortes »

– « Non, c’est pas pareil, elles sont pas fortes, c’est des filles »

« Premier bouton enclenché : la culpabilité, grand classique de la maternité »

Je le regarde, interloquée. Mon fils n’a que 4 ans, un tout petit bout de vie et, déjà, certains stéréotypes de genre qui ne se basent sur aucune réalité matérielle se sont infiltrés en lui. Premier bouton enclenché : la culpabilité, grand classique de la maternité. Est-ce que quelque chose dans mon comportement ou mon discours lui a laissé penser que les garçons étaient plus forts que les filles ? Est-ce que cela vient de l’école ? De notre famille étendue ? La réponse est probablement que cela vient de tout ce petit monde, moi comprise, qui faisons société. 

De façon plus ou moins consciente, chaque individu ou groupe de socialisation que les enfants croiseront au cours de leur développement favoriseront la reproduction de rôles et comportements genrés. Cela passera par un compliment fait à une petite fille sur sa tenue ou sa coiffure versus un compliment fait à un petit garçon sur sa personnalité drôle ou téméraire. Ou encore, par les jeux vers lesquels chacun et chacune seront poussés, physiques et d’aventure pour les garçons (voitures, jeux de ballons), plus intimistes et au-dedans pour les filles (dinette, poupée, corde à sauter).

« Dès 4 ans, 70% des enfants ont intégré des représentations discriminantes »

La géographe du genre Edith Maruéjouls en fait le constat dans ses recherches, les garçons sont au centre des cours de récréation et les filles reléguées aux coins et aux marges. Ainsi, tandis que les petites filles sont attendues et conditionnées sur le registre de la douceur et de l’effacement, les garçons le sont sur celui de la force et de l’occupation de l’espace.

Selon une étude de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), il est observé que, dès le plus bas âge, les enfants sont exposés à des normes de genre qui vont les influencer dans leurs comportements, leurs représentations, leurs préférences. Ainsi, dès 4 ans, 70% des enfants ont intégré des représentations arbitraires et discriminantes : « Ils assimilent spontanément le pouvoir au masculin et l’identifient comme dominant le féminin », rapporte l’étude. 

Je me mets à hauteur de mon fils, un genou posé au sol :

– « C’est vrai que tu es fort mon cœur, mais ce n’est pas parce que tu es un garçon, mais simplement que tu es un enfant plein de curiosité et d’énergie. Maman t’a montré les vidéos de son cours de pole dance, tu me trouves forte ? »

– « Oh oui, faut être trop trop forte pour la pole dance avec la tête en bas et tout… ».

Il se tait et me regarde pendant 5 bonnes secondes sans rien dire — j’ai une passion pour les expressions faciales des enfants pendant leur temps de réflexion. Dans une montée de sourcil ou un pincement de lèvre, c’est chacun de leurs questionnements et leur résolution qui apparaissent en temps réel.   

– « Mais alors, tu es une fille et en plus tu fais de la pole dance, alors les filles aussi sont fortes ! »

On n’aura pas déconstruit le patriarcat avec cette réalisation ponctuelle, mais on va continuer à s’y atteler.

Pour suivre Illana Weizman et lire ses réflexions au quotidien, rendez-vous sur son compte Twitter et sur son compte Instagram.

À lire aussi : Léo, 4 ans, a déjà bien intégré le sexisme, et c’est loin d’être anodin

Visuel de Une : © Getty Images
Portrait d’Illana Weizman : © Sarah Salazar

Création graphique : Audrey Godefroy / Madmoizelle


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