Dire que l’on regrette d’être devenue mère est encore un tabou tenace dans notre société. Heureusement, les réseaux sociaux offrent la possibilité à celles qui le souhaitent d’exprimer, plus ou moins anonymement, leurs difficultés et leurs regrets autour de la maternité. De nombreux témoignages sont publiés sur Twitter, mais aussi sur Instagram, accompagnés du hashtag #RegretMaternel.
Pour certaines de ces femmes qui avaient toujours rêvé d’avoir des enfants, la réalité du quotidien de mère a été une vraie désillusion. Entre la charge mentale et émotionnelle qu’implique de devoir répondre à tous les besoins des enfants et le manque de reconnaissance, le rôle de mère peut sembler effectivement assez ingrat.
Les réseaux sociaux : un espace d’expression pour le regret maternel
Dans les médias et la pop culture, le sujet du regret maternel est rarement abordé, et dans la vraie vie, il peut être difficile de se confier sur le sujet à ses proches, ses collègues ou sa voisine de palier.
C’est un des trucs géniaux permis par les réseaux sociaux : l’anonymat (relatif) qu’ils procurent permet de libérer la parole des mères sur leurs difficultés et leurs regrets, mais aussi de trouver d’autres personnes qui vivent la même chose que soi. Et ainsi de se sentir moins seules.
En dehors de ces espaces, à qui pourrait-on confier le regret d’être devenue mère ? La difficulté à apprécier le quotidien avec des enfants ?
Ce discours est très difficile à tenir dans notre société qui fourmille d’injonctions maternelles, parfois contradictoires : avoir des enfants, mais pas trop tôt ni trop tard, être une mère dévouée, MAIS rester une femme, etc.
Personne ne semble avoir envie d’écouter les difficultés des mères exacerbées par la pandémie : charge mentale accrue (comment protéger ma famille et faire les courses avant le couvre-feu ?), incertitudes maximales (les écoles vont-elles fermer ?) et manque de relais (impossible de confier les petits à leurs grands-parents un week-end pour souffler).
Regret maternel et peur de ne pas être écoutée
L’un des freins à l’expression du regret maternel est d’ailleurs la peur de ne pas être écoutée, notamment au sein de sa propre famille. Si nos mères et grands-mères ne se sont jamais confiées sur les aspects difficiles de leur maternité, comment trouver la force de démarrer une conversation sur le sujet ? Est-ce que Mamie ne va pas nous répondre qu’elle a élevé quatre enfants toute seule, sans couches jetables ni petits pots et qu’elle ne s’est jamais plainte ?
Alors, peut-être que celles qui regrettent d’être mères peuvent trouver du soutien auprès des femmes de leur génération ? Mais est-ce que les futurs parents ou les personnes qui veulent des enfants ont envie d’entendre ces histoires ? Ou est-ce qu’ils préfèrent se boucher les oreilles en chantonnant « Lalalalala, j’entends pas » ?
Au fond, je crois que la majorité des parents d’aujourd’hui n’a pas trop envie de parler du sujet, parce que cela voudrait dire se questionner sur ses propres choix de vie et faire un bilan qui n’est pas forcément agréable.
L’écoute et la compréhension sont alors peut-être à trouver du côté des personnes childfree qui ne souhaitent pas avoir d’enfant ? Hummm, à condition qu’elles ne répondent pas : « Bah, fallait pas faire d’enfant alors ! »
(Si quelqu’un trouve le bouton reset, qu’il fasse tourner…)
Regret maternel et peur d’être jugée
En plus de la peur de ne pas être écoutée, les mères qui regrettent d’avoir eu des enfants redoutent aussi de s’exposer à des jugements si elles prennent la parole sur le sujet. Il n’y a qu’à voir certains des commentaires sous les tweets des mères qui osent dire qu’elles regrettent d’avoir eu des enfants…
Avec l’accès à la contraception et à l’IVG, tous les enfants sont censés être désirés, alors il y a peut-être moins d’empathie pour les mères qui regrettent d’en avoir eu.
Le mythe tenace de « l’instinct maternel » fait que certaines femmes ont aussi peur de passer pour des « monstres » ou des « mauvaises mères » si elles expriment des ambivalences, alors même qu’elles ne disent jamais qu’elles négligent leurs enfants du fait de leurs regrets. C’est peut-être d’ailleurs ce qui dissuade certaines mères de parler de leurs ressentis à des professionnels de santé.
« Si je dis que je regrette d’avoir eu des enfants, ou que je n’aime pas mon quotidien avec eux, est-ce qu’on ne va pas me les retirer ? »
Enfin, l’un des derniers obstacles que je vois à la libération de la parole sur le sujet, c’est la crainte de certaines mères de blesser leur enfant, qui n’a pas demandé à venir au monde, en exprimant leurs regrets. Ne rien dire pour ne surtout pas prendre le risque que leurs enfants l’apprennent un jour est une stratégie sans doute adoptée par certaines mères.
Pouvoir dire qu’on regrette d’être mère est essentiel
Ce n’est pas parce que l’on entend peu les mères qui regrettent d’avoir eu des enfants qu’elles n’existent pas. La preuve avec ces messages postés sur Twitter donc, mais aussi avec un témoignage que nous avions déjà publié sur ce sujet : « J’aime ma fille, mais je regrette d’être devenue mère ».
La chercheuse israélienne, Orna Donath, a également consacré une thèse au sujet en 2015 (traduite en français et publiée en 2019 sous le titre Le Regret d’être mère). Elle y recueillait le témoignage de 23 femmes de tout âge dont le seul point commun était de regretter d’avoir eu des enfants.
Alors en attendant que les histoires de ces femmes soient racontées dans les médias, les films ou les séries, et qu’on puisse avoir des discussions apaisées sur le sujet avec nos proches ou nos collègues, les réseaux sociaux sont un formidable exutoire pour les mères qui ressentent de l’ambivalence.
Les plateformes comme Twitter et Instagram sont aussi un moyen de s’organiser collectivement pour améliorer la situation. Plus les femmes seront informées sur la réalité de la maternité et plus on luttera contre les injonctions à avoir des enfants, moins il y aura de désillusions à l’arrivée chez les mères.
Les réseaux sociaux sont aussi un bon moyen pour les militantes féministes de réclamer un meilleur partage de la charge parentale avec les pères, mais aussi au-delà de la famille nucléaire. Et elles obtiennent parfois des victoires politiques, comme l’allongement du congé paternité (bon, à un mois seulement, mais on va dire que c’est un premier pas).
Merci donc à Twitter et aux autres réseaux sociaux de libérer la parole des mères (et l’écoute des autres) pour que le poids du silence ne s’ajoute pas à celui des regrets.
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