Margaret Booth, Andrée Davanture, Moufida Tlatli, Thelma Schoonmaker, Sally Menke… Toutes ces femmes ont un point commun : celui d’avoir influencé le cinéma, par le montage notamment.
Vous ne connaissez pas leur existence ? Ce n’est pas étonnant ! Ces techniciennes et artistes n’ont pas toujours eu une place de choix dans l’industrie du 7e art.
Le cinéma, une histoire de femmes
Nous sommes au tout début du 20è siècle. Le cinéma fait son apparition ; aux États-Unis, Hollywood se développe à pas de géant.
Pour les femmes, à cette époque, il n’existe que peu d’options — en gros, on peut être dactylo ou s’occuper du foyer. Pourtant, dans les rues de Los Angeles, le bruit court qu’une industrie donnent du travail aux femmes… Et cette industrie ? C’est le cinéma !
Au début du 20ème siècle, ce dernier a plus que besoin des femmes pour assembler les pellicules, comme l’explique Clara Kuperberg, monteuse, productrice et réalisatrice du film Et la femme créa Hollywood :
« Elles avaient des petites mains, étaient habiles et savaient coudre. Voilà pourquoi les femmes ont été choisies pour monter. Elles ne s’arrêtaient pas et montaient toute la journée sans attribution spécifique.
C’était un travail intense, extrêmement technique, mais sans notion artistique au départ. Bon nombre d’entre elles étaient considérées comme des ouvrières, des “petites mains”. Pourtant, elles ne travaillaient pas à l’usine, mais bel et bien dans les légendaires studios de cinéma. »
Les stars éphémères du début du siècle
Ces monteuses du début du siècle sont à l’époque assez reconnues, ce qui peut surprendre de nos jours.
« Margaret Booth, monteuse à la MGN, était LA superstar du moment, elle venait sur tous les tournages et était invitée aux plus grandes projections », raconte Clara Kuperberg. Elle recevra d’ailleurs un Oscar honorifique pour son exceptionnelle contribution à l’art du montage en 1978.
À cette même époque, l’industrie cinématographique permet aux monteuses d’évoluer facilement et rapidement. Les femmes accèdent ainsi aux postes les plus prisés du cinéma comme la réalisation.
Car jusqu’aux années 30, les portes semblent grandes ouvertes ! De nombreuses archives des années 20 attestent que les femmes étaient partout : devant la caméra, derrière, dirigeant des plateaux entiers, créant et associant des images exceptionnelles.
Mais cela ne pouvait pas durer… Le cinéma commence à rapporter gros. Et alors que les hommes affluent à Hollywood, Paris et dans toutes les grandes villes où le 7e art se développe, les monteuses, elles, sont reléguées à l’ombre.
Petit à petit, les postes de réalisatrices sont donnés aux hommes, comme le déplore Clara Kuperberg.
« Avec la Grande Dépression, les hommes qui n’avaient plus de travail sur la côte Est ont débarqué sur la côte Ouest et Hollywood est devenu une industrie florissante pour eux. »
C’est dans ces mêmes années que la profession se syndique, excluant définitivement les femmes — qui, elles, ont interdiction d’intégrer un syndicat.
Dans l’ombre de ces nouveaux cinéastes exclusivement masculins, les colleuses restent pourtant colleuses, la reconnaissance en moins. Leur talent de couture, leur rapidité et leur minutie sont inégalables et surtout indispensables aux hommes.
Des sixties aux années 1980, l’heure du changement a sonné
Il faut attendre la fin des années 1960 — voire le début des années 1970 — pour constater un nouveau changement de paradigme.
Un peu partout dans le monde, des formations voient le jour pour les apprentis et apprenties cinéastes. Des sections de montage ouvrent, et les femmes peuvent enfin les intégrer.
Au même moment débarquent sur le devant de la scène de nombreuses monteuses phares et connues du grand public : Thelma Schoonmaker (monteuse de Scorsese, qui obtiendra trois Oscars du meilleur montage) ou encore Sally Menke (monteuse fétiche de Quentin Tarantino).
Enfin, les femmes prennent aussi le « contrôle » de l’enseignement puisqu’elles sont de plus en plus nombreuses à l’université. C’est le cas de Verna Felds, monteuse talentueuse qui enseigna son art à deux pontes du Nouvel Hollywood : George Lucas et Steven Spielberg. Rien que ça !
En Afrique du Nord, aussi, les monteuses ont l’occasion de prouver ce qu’elles valent, comme l’explique Patricia Caillé, maîtresse de conférences spécialisée en cinéma du Maghreb, à Madmoizelle :
« Après la décolonisation, il n’y avait toujours pas de formation au montage dans les pays du Maghreb. Les femmes étaient envoyées sur des tournages étrangers ou dans des écoles de cinéma en Europe et en URSS. »
Beaucoup vont rapidement sortir du lot : des femmes comme Moufida Tlatli « pensent le cinéma autrement que comme des exécutantes ou techniciennes, elles ont une véritable vision et ont fait, ou font encore, réellement avancer le cinéma en Afrique du Nord », précise Patricia Caillé.
« Quand il s’agit de la place des femmes dans le cinéma, la Tunisie n’a rien à envier à la France. Pourquoi ? Parce que la plupart des films montés et réalisés par des femmes rencontrent beaucoup plus de succès dans les salles obscures tunisiennes que chez nous. »
Patricia Caillé, maîtresse de conférences
Quelle reconnaissance pour les femmes qui ont fait le cinéma ?
En France, la reconnaissance du métier et des femmes qui le pratiquent semble en effet dérisoire.
Andrée Davanture, née en 1933 et décédée en 2014, a monté des centaines de films dans l’hexagone. Elle a également participé à l’essor du cinéma africain, œuvrant ainsi pour le 7e art à travers le monde. Mais comme le déplore Patricia Caillé :
« Quand ses archives ont été proposées à la Cinémathèque Française, l’organisme les a refusées. »
En France, on constate une chose : il y aura toujours une grande différence pour une cinéaste entre obtenir un prix et rentrer dans le patrimoine cinématographique.
L’histoire des colleuses/monteuses n’est pas terminée. Pourtant, une chose est sûre : ces femmes sont les seules professionnelles de l’histoire du cinéma qui ont survécu pendant plus d’un siècle, supportant les crises économiques ou artistiques et surtout les égos de cette industrie parfois trop souvent patriarcale et misogyne. Alors longues vies à elles !
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